Les gouvernements guatémaltèques successifs ont fait la part belle à l’oligarchie traditionnelle depuis de nombreuses années, même si une partie de ces grands propriétaires fonciers ont été affectés par la chute des prix du café à partir de 1997. Plusieurs de ces richissimes familles se sont alors reconverties dans le monde de la finance, une tendance générale qui a occasionné une baisse générale de la production du café.
Quant à celles qui étaient davantage impliquées dans la culture de la canne à sucre, elles se sont au contraire frotté les mains à la perspective des bénéfices qu’elles pourraient engranger grâce à la demande croissante d’agrocarburants émanant des pays industrialisés préoccupés par leur avenir énergétique. Cette frange de l’oligarchie a par conséquent commencé à accroître la pression foncière, tentant d’accumuler davantage de terres à ces fins. Une situation extrêmement préoccupante dans un pays où l’on estime déjà qu’environ 1.9% des grands propriétaires terriens possèdent 56.6% des terres, la plupart destinées aux cultures d’exportation. Cette nouvelle tendance s’accompagne d’une criminalisation de plus en plus fréquente par le pouvoir des actions menées par les mouvements paysans défendant l’accès à la terre pour les plus pauvres.
A l’heure des agrocarburants, la question de la souveraineté alimentaire est donc particulièrement préoccupante au Guatemala ; et elle y revêt véritablement une importance stratégique. En témoigne la décision adoptée en juin 2008 par le gouvernement d’Alvaro Colom qui avait ressorti de ses tiroirs une loi approuvée par le Congrès en 1974 n’ayant jamais été appliquée et stipulant que les grands propriétaires terriens devaient destiner 10% de leur production à l’alimentation de la population. Sous la pression des latifundistes, il a fait abolir cette loi, prétendant qu’elle était inapplicable et anachronique. Par cette mesure, les autorités guatémaltèques envoient donc un message clair aux petits agriculteurs : c’est à eux qu’il incombe de garantir la souveraineté alimentaire du peuple, alors qu’ils ne disposent pourtant pas des moyens suffisants pour assumer cette tâche considérable.
Au dossier agricole s’ajoute la question des ressources naturelles qui font l’objet d’une convoitise insatiable de la part de multinationales ; une convoitise institutionnalisée par le biais du Projet Mesoamérica5. Ces entreprises opèrent littéralement une recolonisation de la région, notamment par leur mainmise sur les richesses du corridor méso-américain qui représente à lui seul environ 12% de la biodiversité de la planète. Travestissant leur avidité financière par des préoccupations prétendument écologiques, elles visent en réalité une appropriation des ressources naturelles des zones protégées. Ce projet soumet les populations locales à une forte pression de la part des multinationales et des autorités gouvernementales. Divers épisodes de violence et de répression à l’égard des populations autochtones pauvres ont ainsi été enregistrés, comme cela a été le cas en janvier 2009 dans la région de la Laguna del Tigre au Département du Péten.
Lors des dernières élections présidentielles au Guatemala une partie des pouvoirs traditionnels avaient fait alliance pour soutenir Alvaro Colom lors de sa campagne électorale, bien qu’il s’affichait comme candidat centriste. Après son accession à la présidence en janvier 2008, ce dernier a toutefois choisi de s’en distancer pour se rapprocher davantage de la social-démocratie, tentant également de trouver dans ce courant des appuis internationaux.
Cet éloignement de Colom des pouvoirs traditionnels a suscité une grande méfiance de leur part et des oppositions sont apparues consécutivement au sein du Congrès. Le scandale révélé en septembre 2008 a mis en plein jour cette atmosphère de suspicion générale : des caméras et micros ont été découverts aux domicile et bureau privés du président et de sa femme. L’affaire a fait grand bruit dans les médias et au sein de l’opinion publique. Soupçonnant la structure parallèle d’être à l’origine de cette tentative d’espionnage, Alvaro Colom a destitué différents chefs militaires et a même chargé certains anciens membres de la guérilla d’assurer sa sécurité personnelle.
Si certaines nouvelles impulsions données par Alvaro Colom pourraient redonner espoir aux mouvements sociaux, les observateurs restent toutefois mitigés et prudents quant aux intentions réelles du chef d’Etat. D’une part, cet intérêt accru pour les questions sociales de la part du président guatémaltèque est, de l’avis de certains, davantage motivé par la recherche d’une aura personnelle que par une préoccupation sincère. D’autre part, certains programmes adoptés restent flous et la mise en œuvre de divers projets devant bénéficier aux populations démunies comporte des zones d’ombre. Ainsi, l’une des mesures prévues pour lutter contre la pauvreté consiste entre autres en l’octroi d’allocations aux familles les plus pauvres afin de les inciter à envoyer leurs enfants à l’école. Les communautés locales ne sont toutefois pas consultées quant à la sélection des familles bénéficiaires, choix qui relève exclusivement des responsables du programme de cohésion sociale dirigé par l’épouse d’Alvaro Colom elle-même. En dépit de quelques avancées intéressantes, il est sans doute encore un peu tôt pour parler d’un véritable renouveau au Guatemala.
Autre dossier épineux pour les autorités guatémaltèques, la pression exercée par les multinationales pour s’approprier les ressources naturelles du pays restera un point extrêmement délicat tout au long de ce mandat, voire au-delà. La consultation des populations autochtones fait véritablement défaut sur ce dossier et cette carence est susceptible de mettre le feu aux poudres à tout moment dans le cadre d’expulsions musclées de communautés locales.
Sur le terrain et parmi les acteurs sociaux, les traces laissées par la guerre civile ont entretenu un climat de méfiance et les associations éprouvent encore des difficultés à coordonner leurs actions. Les mouvements sociaux ont été sapés par ce conflit meurtrier, minés par les assassinats politiques et disparitions. Néanmoins, nombreuses sont celles qui ont repris le flambeau et réalisent aujourd’hui un travail remarquable, bravant parfois les pressions exercées par certains représentants des trois pouvoirs traditionnels du pays, ainsi que les menaces et violence dont elles font l’objet. Ainsi, Serjus et le CUC, partenaires de Frères des hommes depuis plusieurs années, sont deux organisations représentatives de ce travail de terrain mené aux côtés des communautés défavorisées, souvent majoritairement indiennes.
Par ailleurs, le retour à la spiritualité maya est manifeste après des siècles de négation et répression de cette culture. Les acteurs de terrain constatent ainsi que les populations indigènes ravivent certaines pratiques comme l’évocation de l’énergie du jour au début d’une réunion de travail, etc. Selon les Mayas, un cycle cosmique important prendra fin en 2012 et à ce moment, une nouvelle ère bénéfique commencera pour ces populations. Actuellement, elles considèrent qu’elles traversent une période de transition au cours de laquelle des connaissances enfouies depuis des siècles doivent être redécouvertes. Ce retour aux racines est essentiel et constitue une démarche fondamentale pour un peuple qui tente de se reconstruire après des siècles de spoliation.