Deux documentaires présentés sur France 2 en ce début de l’automne 2011 dressent le portrait de deux catégories de jeunes français, ceux qui partent en vadrouille en quête de liberté et de nomadisme et ceux qui se tapissent dans leurs chambres et s’adonnent à la pratique des jeux vidéo. Ces derniers seraient au nombre de 500 mille, nettement plus nombreux que les premiers, qui seraient 50 mille à sillonner les routes de l’Hexagone.
Journaliste au Monde, Isabelle Talès a regardé les deux émissions et en a fait un compte-rendu vivant :
« D’un côté, Aurelia, Milou, Chris, qui ont pris la route, le nez au vent, sans se soucier de ce qu’ils laissaient derrière eux et pas beaucoup plus de ce qu’ils trouveraient devant. De l’autre, Sébastien, Colin, Pierre-Jean, qui restent dans leur chambre, les yeux rivés sur un jeu vidéo, plus déterminés à affronter des monstres dans des mondes virtuels que les réalités de la vie. D’un côté, « Une génération sur la route » et de l’autre « Génération gamers », ou comment, en deux enquêtes diffusées par France 2, jeudi 1er septembre, porter deux regards sur une même génération donc, celle qui, entre 15 et 25 ans, cherche sa place.
Sur la route, le commentaire est enjoué, la musique folk, rien ne semble grave. Dans les chambres, le ton est inquiet, la bande-son lugubre, tout a l’air compliqué. Au volant d’une ancienne bétaillère, Milou s’épanouit : « C’est bien d’être gros, c’est les autres qui se poussent. » Ni hippies ni clochards, ils seraient environ 50 mille à sillonner ce qu’ils appellent leur « nomade’s land ». Ils s’arrêtent parfois pour gagner de quoi aller plus loin. « A poste vacant, je mets quoi à la fin, un « t » ? », s’inquiète Aurelia en rédigeant une annonce. « Pour faire des ménages, pas besoin de savoir écrire », la rassure sa copine. Plus d’essence ? Ils carburent à l’huile de friture usagée. Rien à manger ? Ils fouillent les poubelles - « Tu y trouves des trucs que t’aurais jamais pensé acheter. »
Le reportage de Gabrielle Culand ne s’attarde guère sur les raisons du départ - un échec scolaire, une expulsion... - et préfère montrer le bon côté de la route - la liberté, la solidarité. Seule Aurelia va revoir sa Normandie et sa mère, qui n’a droit qu’à une seule image pour dire que oui, la nouvelle vie de sa fille, « sans chauffage », la « chagrine ».
En revanche, dans le dos des ados qui jouent sur leur ordinateur, on voit pas mal de mères inquiètes. « C’est abscons », reconnaît Hélène en regardant Pierre-Jean décimer une armée à la mitraillette. L’auteur du documentaire, David André, est encore plus inquiet. Même les psychiatres, qui expliquent que ces jeux sont une façon de passer la crise de l’adolescence, ne le rassurent pas. Il faut dire que son enquête commence par le témoignage de la mère de Jordan, qui s’est suicidé à 24 ans : « Dans le jeu, il était un maître ; dans la vie, il n’était rien. » A croire que la réalité finit toujours par vous rattraper, dans les chambres ou sur la route. Aux dernières nouvelles, Chris, qui arpentait la France à pied, est devenu loueur de limousines à New York. »