Une grande fête pour un triste record : celui des innombrables viols commis au Sud-Kivu, qui a poussé la Marche mondiale des femmes à clôturer ses travaux à Bukavu. Plus de mille femmes de tous les pays et de toute la RD Congo y ont été présentes, du 13 au 17 octobre 2010. Une occasion que les associations locales n’ont pas manquée pour faire passer leurs messages et avancer leurs plaidoyers.
par Yves Polepole, d’Infosud-Syfia Grands Lacs
« Tant que les femmes seront violées, nous marcherons », peut-on voir écrit en grand sur un calicot blanc posé à une des principales places de Bukavu qui accueillait du 13 au 17 octobre la Marche mondiale des femmes pour la clôture de sa troisième édition. Y ont participé 250 femmes venues de plus de 160 pays, et plus de 900 Congolaises des différentes provinces.
C’est en raison des très nombreux viols commis dans la région que la capitale du Sud-Kivu a été choisie. Outre de nombreuses réunions sur la paix et sur ces violences, le programme incluait aussi une descente à Mwenga, cité située à environ 120 kms à l’ouest de Bukavu où 14 femmes ont été enterrées vivantes en 1999.
Dans la région, en effet, les viols sont toujours aussi nombreux depuis la guerre en 1996, en dépit du lobbying et des nombreux forums pour les dénoncer tenus par les associations. Selon le rapport semestriel publié par le bureau onusien chargé des affaires humanitaires, plus des 5 mille femmes ont été violées entre janvier et août de cette année, dans la seule province du Sud-Kivu. Des chiffres partiels qui approchent déjà le bilan global de l’an dernier…
Ces cas sont répertoriés dans des régions où se poursuivent les opérations militaires Amani Leo (« La paix aujourd’hui », en swahili), menées par l’armée gouvernementale congolaise contre les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda, FDLR. Toutes les parties sont accusées de viols. Un rapport mensuel du mois d’août indique que « 320 femmes ont été violées et sur ces cas enregistrés, 296 ont été commis par des hommes armés, dont 244 par les FDLR et 52 par les militaires de l’armée régulière congolaise ».
Selon les organisations de défense des droits humains, ces violences sexuelles sont utilisées comme arme de guerre par des rebelles. « Ils ne violent pas par plaisir, mais c’est en quelque sorte pour se venger ou punir les civils. Ils utilisent le corps de la femme pour montrer de quoi ils sont capables. Nous avons des cas où certains ont consommé des aphrodisiaques avant les viols collectifs », explique Chouchou Namagabe, coordonnatrice de l’Association des femmes des médias, connue pour sa grande implication dans la lutte contre les violences sexuelles.
De nombreux viols sont également commis par des civils. Dans son rapport semestriel, le bureau local du Fonds des Nations unies pour la population précise que sur les 5491 cas répertoriés, 578 ont été commis par des civils, dont 171 dans la ville. « S’il y a recrudescence des cas de viols commis par des civils, c’est à cause de certains mythes et croyances erronés comme de penser qu’on va guérir du sida en couchant avec une vierge », explique Colette Salima, présentatrice d’une émission dédiée aux femmes violées. La police locale parle aussi d’actes de banditisme ou de certains hommes animés d’une mauvaise volonté.
« C’est très important d’avoir toutes ces femmes chez nous, car elles vont toucher du doigt les vraies réalités de ces violences sexuelles », remarque Maman Mawazo, active dans des organisations féminines. « Elles proviennent de différents pays et à leur retour elles vont aller en témoigner ». Son avis est partagé par de nombreuses femmes d’autant que cette année les violences ont repris de plus belle après quelques années d’accalmie.
Les organisations locales de la région qui luttent activement contre les violences sexuelles profitent de l’occasion pour faire passer leurs messages, affichés sur les nombreuses banderoles installées pendant toute la semaine sur les artères principales et les places publiques de la ville. Plusieurs organisations ont lancé des messages de sensibilisation sur les antennes des les radios locales. Une synergie des médias pour la Marche mondiale a été mise sur pied : cinq radios locales ont diffusé, le matin et le soir, au même moment, un journal réalisé par des femmes journalistes.
Depuis quelques semaines, des organisations locales multiplient les réunions pour établir un cahier des charges commun. « On s’attend à un grand changement dans la lutte contre les violences sexuelles parce que, à cette occasion, il y aura une série des recommandations. Un manifeste sanctionnant cette mauvaise pratique sera aussi élaboré à la fin et donc c’est une occasion exceptionnelle à ne pas rater », lance Prudence Shamavu, défenseuse des droits humains, bien connue dans la ville, et membre du comité organisateur de la Marche mondiale.
Dans la rue, les femmes interrogées avant l’événement espéraient aussi un plaidoyer pour l’amélioration de leurs conditions de vie. « Il n’y a pas de paix sans pain. Moi, j’attends qu’on puisse prendre des décisions concrètes en rapport avec le travail des femmes. Beaucoup de femmes ne travaillent pas, car elles sont sous-estimées. On espère qu’on va en parler », lançait une jeune étudiante peu avant la rencontre.
Bukavu avait mis sa belle robe pour accueillir cet événement mondial au féminin. Des hôtels et des restaurants ont été repeints ; les taxis sont plus propres et certains tronçons routiers longtemps oubliés ont été réhabilités.
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