Yves Charles Zarka : Le nouveau paradigme de la performance s’est étendu à l’ensemble de la société –l’hôpital, la justice, l’école– et depuis quelques années au monde de la recherche et de l’université à travers le système et l’idéologie de l’évaluation. Celle-ci est un mode par lequel un pouvoir (politique ou administratif, général ou local) exerce son empire sur les savoirs ou les savoir-faire qui président aux différentes activités en prétendant fournir la norme du vrai. L’évaluation se pose en effet elle-même comme un sursavoir, un savoir sur le savoir, une surcompétence, une compétence sur la compétence, une surexpertise, une expertise sur l’expertise. Les experts évaluateurs sont donc posés par le pouvoir, qu’ils le reconnaissent ou non, comme plus savants que les savants, plus experts que les experts et cela en vertu d’un acte arbitraire de nomination. Le pouvoir a trouvé avec l’évaluation un instrument pour s’assurer une domination universelle sur tous les secteurs d’activité, sur tous les ordres de la société, en particulier les institutions de production et de transmission du savoir. L’idéologie de l’évaluation est l’une des grandes impostures de notre époque parce qu’elle prétend à une objectivité fondée sur le calcul, la quantification, le chiffrage. Les chercheurs, les universitaires, les savants ne sont plus jugés pour leurs découvertes, leurs inventions ou leurs innovations, mais sur leur productivité : nombre d’articles, de rapports, d’interventions diverses, nombre de citations, catégories des supports de publications, etc. L’imposture consiste à faire passer un système de (non-)valeurs (performance, efficacité, productivité) pour le seul système objectif de valeurs par l’intermédiaire d’une quantification dérisoire.
Lisez l’entretien d’Yves Charles Zarka par William Burton dans Le Soir.