Le Sahara Occidental (الصحراء الغربية) est un territoire de 266 mille km² au nord-ouest de l’Afrique, bordé par le Maroc, l’Algérie, la Mauritanie et l’Atlantique.
Territoire non autonome selon les Nations unies, cette ancienne colonie espagnole n’a toujours pas trouvé de statut définitif sur le plan juridique, plus de trente ans après le départ des Espagnols en 1976. Le Sahara occidental est en proie à un conflit reflétant à la fois la lutte de certains Sahraouis pour leur indépendance et la rivalité hégémonique du Maroc et de l’Algérie dans cette région.
Khaddou El Haj, députée du Parlement de la République arabe sahraouie démocratique, RASD. En visite à Bruxelles, elle s’est entretenue avec Le Croco, lettre électronique de Solidarité Socialiste.
Pouvez-vous préciser en quoi consiste votre travail parlementaire ?
Khaddou El Haj : C’est ma quatrième législature au sein du Parlement de la RASD. Je suis une élue de la circonscription de Laayoune (capitale de la RASD). J’ai été membre de la Commission de la diaspora, surtout celle des pays limitrophes où elle est très nombreuse ; aujourd’hui je suis membre de la Commission des affaires éxtérieures qui a pour tâche principale d’évaluer le travail des Ministres de la Justice et des Affaires étrangères. Les membres de la Commission les auditionnent environ tous les deux mois. C’est l’application classique du principe de contrôle parlementaire sur le pouvoir exécutif. C’est suite à ces auditions qu’ils présentent au Parlement, réuni en plénière, le bilan du programme qui doit y être aussi préalablement approuvé. En tant qu’élue, j’ai aussi un travail de proximité à mener au sein de ma circonscription. Il est en effet fondamental, étant donné les problèmes qu’affrontent les populations des camps, de pouvoir écouter et surtout relayer vers les parlementaires et le gouvernement leurs préoccupations les plus criantes. Enfin, un autre aspect de mon travail parlementaire est celui que j’accomplis ici, en ce moment, à savoir l’approfondissement des relations avec les parlementaires du monde entier, afin de les sensibiliser à notre situation.
Pourquoi dites-vous que la femme est la vitrine de la société sahraouie ?
De par notre histoire, et principalement à partir de la décolonisation espagnole en 1976, le conflit armé qui lui a succédé et la vie dans les camps en tant que réfugiés, la femme a pris une place prépondérante dans la société sahraouie. Durant les années de guerre, nous n’avions pas le choix : les hommes étaient au Front et la majorité des femmes se sont retrouvées chefs de famille. Déjà à la base, dans la plupart des sociétés, la femme met au monde et élève les enfants. C’est aussi elle qui est la première confrontée aux problèmes de la subsistance quotidienne, prioritairement l’alimentation et la santé de ses enfants. Chez nous, vu le conflit armé et les conditions de vie dans les camps, cette responsabilité s’est encore accrue. La femme s’est vu confier une série de fonctions que les hommes ne pouvaient plus assumer et qui étaient cependant vitales pour garantir à la fois la survie et aussi la cohésion de notre société. Les femmes sont devenues maires, médecins, enseignantes. C’est pourquoi je dis que la société sahraouie est devenue une société de femmes. Et le processus enclenché s’est poursuivi après le cessez-le-feu (1991). Ce qui relève des domaines de l’éducation et de la santé leur est majoritairement confié. De la base au sommet, on retrouve aujourd’hui la femme sahraouie à tous les niveaux de pouvoir législatif et exécutif. Notre Parlement compte 35% de femmes élues. Mais il ne faudrait pas croire non plus que ce soit uniquement le fruit des circonstances... Les femmes ont lutté et luttent encore pour ces acquis. Elles ont aussi beaucoup appris des expériences de tous les mouvements de libération de par le monde. Bien sûr, il y a encore du chemin à faire en ce qui concerne les rapports entre les hommes et les femmes au sein de la famille ; des questions comme celle du divorce, par exemple, ne sont pas encore résolues.
Après une semaine de rencontres avec des parlementaires belges et européens et différentes organisations de la société civile, votre mission parlementaire prend fin ; quelles impressions positives et négatives pourrez-vous transmettre au retour à vos collègues parlementaires ?
C’était ma première visite en Europe. Et je dois dire que dans l’ensemble j’estime que le bilan est positif et que la mission a atteint ses objectifs. J’ai été positivement impressionnée par le niveau d’information de nos différents interlocuteurs associatifs et politiques en ce qui concerne la situation du peuple sahraoui. Ils sont, dans l’ensemble, généralement déjà fort sensibilisés à notre cause. Beaucoup partagent notre point de vue ; et ce qui m’a frappé, c’est la question récurrente au terme de tous les entretiens : « Bon, et maintenant, qu’attendez-vous de nous ? Que pouvons-nous faire concrètement ? ». Cette question concernait aussi bien les aspects politiques que les problèmes matériels que pose la vie dans les camps de réfugiés. En ce qui concerne les impressions négatives, je dois quand même avouer que j’ai été assez choquée par le comportement d’un groupe de journalistes proches de l’Ambassade du Maroc qui ont tenté, dans l’enceinte même du Parlement, d’envahir la salle où se tenait la réunion du groupe interparlementaire belge qui travaille sur la question sahraouie, sous la Présidence de Madame Vienne. (J’ai aussi appris qu’elle est soumise à une série de pressions politiques de la part de certaines franges de la communauté marocaine de Belgique …). Nous avons dû quitter les lieux par une porte de service pour les éviter… Je pense que ces personnes desservent leur propre cause en démontrant leur manque de respect pour les institutions démocratiques. La RASD est une démocratie. Le Front Polisario n’est pas un parti unique, c’est une plate-forme qui rassemble différentes sensibilités politiques. (Mon collègue ici présent d’ailleurs représente une autre couleur politique que la mienne …). Par conséquent, nous estimons que différents points de vue peuvent exister. On peut parler de tout, même si nous ne partageons pas les mêmes points de vue. Mais il faut que cela puisse se faire dans un climat de respect mutuel, surtout dans le cadre d’un Parlement.
Pour reprendre la question récurrente de vos interlocuteurs : à ce stade peu encourageant des négociations au sein des Nations unies [1], qu’attendez-vous de la communauté internationale et des organisations de la société civile européenne ?
Même si nous sommes très déçus par le peu de volonté politique manifesté par la Communauté internationale, jusqu’ici nous ne voulons pas désespérer des institutions internationales, et du poids des Nations unies et de l’Union européenne en particulier, dans les négociations. Nous ne pouvons pas croire que la justice internationale se réduise à la loi de la jungle. En tant que parlementaires, nous essayons encore de convaincre le peuple sahraoui que la patience sera payante. Mais après plus de trente ans d’attente, on ne peut pas continuer à n’offrir que des mots face à la réalité quotidienne et aux souffrances endurées. Il faut du concret. Les gens sont à bout. Ce que nous attendons concrètement, c’est plusieurs choses. Vu la situation dans les camps et le blocus dans les territoires occupés, nous sommes très dépendants de l’aide humanitaire ; or, celle-ci est en diminution constante. Si on ajoute le contexte de crise alimentaire mondiale, imaginez comment cela se répercute chez nous … Il faut attirer l’attention sur ce phénomène et tenter urgemment d’y remédier. Les atteintes graves et répétées aux droits de l’Hhomme doivent aussi être dénoncées par les observateurs internationaux. Par ailleurs, un pays comme la Belgique, par exemple, est membre du Conseil de sécurité des Nations unies. Et de par sa position stratégique, Bruxelles étant la capitale européenne, la Belgique occupe une place importante et influente parmi les Etats membres de l’Union européenne. Des groupes parlementaires de soutien au peuple sahraoui existent au sein du Parlement européen et de plusieurs Parlements nationaux, à l’instar du Parlement belge. Nous espérons que ces parlementaires puissent contribuer efficacement à relancer le processus de paix, car, même si nous faisons le maximum de notre côté depuis des années pour l’éviter, le risque de reprise du conflit armé existe. En tant que démocrate, je pense que tous les démocrates du monde doivent au moins soutenir le droit à l’autodétermination des peuples. C’est aussi pourquoi nous insistons tant sur la tenue de ce référendum, sans cesse ajourné par les autorités marocaines, qui permettrait à la population des territoires occupés de s’exprimer. Je tiens aussi à réaffirmer ce que nous avons répété à tous nos interlocuteurs : nous plaidons pour une solution négociée et pacifique à la question du Sahara occidental. Nous demandons l’appui à un processus de paix juste et basé sur la légalité internationale. Mais nous ne pouvons en aucun cas accepter un document qui cautionne le fait accompli. Du côté des organisations de la société civile européenne ralliées à notre cause, mouvements de femmes, de jeunes, syndicats, organisations de défense des droits de l’homme, ONG, nous leur demandons instamment de faire pression également auprès des décideurs pour que soit défendue la légalité internationale. Nous les encourageons aussi à organiser des missions civiles dans les camps de réfugiés où nous les accueillerons afin qu’ils puissent témoigner de la situation dramatique que vit le peuple sahraoui depuis plus de trente ans. Venez chez nous, écoutez-nous, parlez de nous : depuis le cessez-le-feu, nous avons l’impression qu’on nous a oubliés.
Par ailleurs, un débat sur le conflit oublié du Sahara Occidental se tiendra ce jeudi 12 juin 2008 à 19h au SCI, rue Van Elewyck 35, 1050 Bruxelles, avec la participation de deux volontaires de retour du territoire saharaoui, Hilt Teuwen, du Comité belge de soutien et Fouad Lahssaini, député féderal Ecolo.
[1] Le 21 avril 2008, l’envoyé spécial du Secrétaire Général de l’ONU, Peter van Walsum déclare que l’indépendance du Sahara occidental, n’était, à ses yeux, pas « un objectif atteignable ». Il estime en effet qu’en l’absence de « pression sur le Maroc pour qu’il abandonne sa revendication de souveraineté », un « Sahara occidental indépendant n’était pas une proposition réaliste ».