Jeu de l’avion

Mise en ligne: 19 juillet 2012

Ceux qui mangent sont les mêmes que ceux qui ont déjà mangé. Ils reçoivent même de plus en plus !

C’est beau de voyager en avion. Beau et émouvant. On imagine les endroits et les personnes inconnues que l’on va rencontrer à son arrivée…

On peut aussi imaginer un vol un peu différent mais également émouvant. Nous nous trouvons dans un avion qui a une capacité de mille passagers et qui est sur le point de partir. Une hôtesse de l’air fait savoir par le haut-parleur que le vol va durer vingt-quatre heures. On regarde autour de soi. On n’est pas habitués à voir ce genre de personne. On commence à parler, à faire des statistiques.

De ces mille passagers, regroupés par nationalités, 584 sont asiatiques, 124 sont africains, 95 sont européens, 84 sont latino-américains, 55 sont russes, 52 sont nord-américains et six sont australiens et néo-zélandais.

Pour ce qui est de leur religion, 329 sont des chrétiens, 178 sont des musulmans, 167 disent ne pas avoir de religion, 132 sont bouddhistes, 45 sont des athées, trois sont des juifs et 86 autres professent d’autres religions.

Notre attention est attirée par l’age de ces personnes : 330 sont des enfants et seulement 60 ont plus de 65 ans. On demande aux gens quelle est leur profession : cinq parmi eux sont des soldats, sept sont des professeurs, trois sont des réfugiés en train de fuir leur pays à cause d’une guerre ou d’un désastre naturel. Le restant a des professions diverses ou se trouve au chômage.

L’hôtesse distribue des journaux et demande dans quelle langue on les voudrait. Il y a 165 personnes qui parlent mandarin, 86 anglais, 83 hindi, 64 espagnol, 58 russe et 37 arabe. Les autres parlent, par ordre décroissant, bengali, portugais, indonésien, japonais, allemand, français et 200 autres langues. Cela va être dur de se comprendre. En plus, des 670 adultes, la moitié demande à l’hôtesse de ne pas se donner la peine puisqu’ils ne savent pas lire ni écrire.

Nous voilà en plein vol. On est surpris de la manière dont on sert le petit déjeuner.
Moins par le service que par la manière de le distribuer. Vingt-cinq passagers se trouvent devant trois plateaux chacun. Ils sont tous européens ou nord-américains. En revanche, 55 personnes n’ont qu’un demi café et un demi croissant. Et vingt n’ont strictement rien à se mettre sous la dent.

Une heure a passé. On est encore davantage surpris lorsqu’on découvre que dix passagers que l’on croyait endormis se trouvent en fait…morts ! On entend pleurer plusieurs bébés qui viennent de naître : 28 femmes ont accouché dans les toilettes. Après une heure seulement, nous sommes déjà 1.018 dans l’avion. A vol d’oiseau, on calcule qu’à la fin du vol nous serons 1.432 passagers.

Six heures ont passé. Il est l’heure de manger. Étonnamment, ceux qui mangent sont les mêmes que ceux qui ont déjà mangé lors du petit déjeuner. Ils reçoivent même de plus en plus !

Après dix heures de vol, on ne peut plus supporter cela et on court demander à l’hôtesse ce qu’il est possible de faire car on ne voit pas ce que l’on pourrait faire par soi-même. Elle nous confirme que cent passagers « endormis » sont effectivement morts. Elle nous met au courant des causes. Trente sont morts de faim, dix de cancer et dix sont des bébés morts lors de l’accouchement. Les 50 autres sont morts à cause d’autres maladies, accidents ou violences.

On lui demande pourquoi elle ne donne pas à manger la même quantité à tout le monde. On lui propose de consacrer une partie du prix des billets à résoudre les problèmes qui se présentent. Elle nous répond que le montant encaissé est
déjà parti. Une partie a été utilisée dans l’enseignement pour les jeunes passagers, un peu moins dans des frais de santé, un peu plus en armement pour prévenir des bagarres dans l’avion.

On n’arrive pas à le croire. Nous fonçons vers la cabine du pilote. On l’assaillit de questions.

Comment est-on arrivé à cette situation ?

Qui est le responsable ?

Pourquoi autant de différences ?

Comment peut-on laisser mourir autant de gens ?

A-t-on dans l’avion suffisamment de ressources pour tous ceux qui s’y trouvent et pour ceux qui continueront à naître ?

Ce texte a circulé par courrier électronique lors de la 55ème assemblée du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale à Prague, en septembre 2000. Quatorze années plus tard, il faudrait, donc, actualiser les donnés. Malgré cela, la situation ne semble pas avoir changé de manière substantielle.