...stop ou encore ?
Je crois que la coopération au développement a toujours sa place, mais pas la coopération au développement telle qu’on se la représente encore aujourd’hui, et certainement pas telle que c’était le cas ces dix, vingt ou trente dernières années.
Je pense qu’il ne faut pas abandonner la solidarité, cela c’est quelque chose de capital pour moi. Maintenant, elle doit peut-être se faire autrement, je pense qu’on a beaucoup à apprendre des gens du Sud.
Je pense qu’il faut continuer, sans doute avec une évolution. C’est-à-dire que le concept Nord-Sud est quelque chose de révolu. Donc oui, il faut continuer, mais cela impliquera toute une remise en question de concepts et d’idées que l’on a ou que l’on a eu pendant longtemps.
Tout dépend de la qualité des intervenants sur le terrain. Je crois qu’il y a des éléphants blancs dans la coopération belge, dans la coopération même des ONG, mais si on a affaire à un mouvement populaire avec des gens qui en veulent et que c’est leur projet, il y a moyen de faire des choses formidables.
Je dirais « encore » pour ce qui est de la coopération internationale mais évidemment sur d’autres bases.
Faire des projets dans le Sud, il faut arrêter tout de suite !
Je ne sais pas si la coopération a jamais commencé, de toute façon...
De manière générale, la coopération c’est une bonne chose, il ne faut pas l’arrêter.
J’ai l’impression, en ce qui concerne la coopération non gouvernementale au développement, soit le soutien au ONG, que sur ces cinquante années on peut multiplier par quelques milliers le nombre de relations humaines extraordinaires qui sont nées de cela, des partenariats entre associations où on échange des pratiques Nord-Sud. Si on supprimait la coopération au développement, on jetterait le bébé avec l’eau du bain. Le problème c’est que dans les 90% de financements qui vont à autre chose, je ne suis pas sûre que tout est à continuer.
La manière dont on conçoit la coopération dépend de la manière dont on comprend la problématique du développement. On fait de la coopération en fonction de la réponse que l’on donne à la question « pourquoi est-ce qu’il y a des inégalités si grandes ?, qu’est-ce qu’il faut faire pour développer un pays ? ». Selon la réponse que l’on donne à cette question, on fait de la coopération cohérente avec ce que l’on croit être la solution. Et ce que l’on croit être la solution varie avec le temps. On a d’abord pensé que c’était une affaire d’assistance technique, puis que c’était une affaire de solidarité politique, puis on a pensé que c’était une affaire de création d’entreprise rentable, puis on a pensé que c’était une affaire de mouvements sociaux, puis on a pensé que c’était une affaire d’identité culturelle. Donc on a toujours conçu la coopération comme on concevait le développement.
C’est certain qu’il y a là un énorme paradoxe. Le rêve de la coopération et des acteurs de la coopération, quand on regarde dans l’idéal et ce qu’on promeut, c’est que finalement on n’ait plus besoin ni d’aide ni de coopération. Et surtout cela fait depuis les indépendances, depuis plus de 50 ans en effet, qu’il y a des programmes et des initiatives, et on se rend compte qu’il y a encore toujours énormément à faire, que ce n’est pas terminé.
Je crois aussi que ce qu’on néglige beaucoup trop dans les relations entre le Nord et le Sud, c’est qu’on prend toujours comme point de vue le nôtre et qu’on oublie trop souvent celui qui est en face. Or, il y a une société civile dans énormément de pays qu’on dit en développement qui est riche et pleine de potentialités.
Coopérer, c’est être avec, c’est travailler avec, c’est pouvoir être ensemble et cela ça ne peut pas s’arrêter.
Je crois que la coopération internationale comme avatar post-colonial arrive petit à petit à sa fin. Mais la coopération internationale, non. On voit aujourd’hui l’importance que prend la coopération Sud-Sud, de nouveaux acteurs se profilent. Je pense surtout aux pays émergents comme le Brésil ou comme l’Inde qui mettent en place pas mal de relations de coopération internationale.
Je pense que dans le Sud, il n’y aura de bouleversements et la consolidation d’une véritable société démocratique que si les acteurs qui sont à l’œuvre là-bas sont bien organisés, ceux qui produisent, soit pour beaucoup de pays pauvres, des petits producteurs agricoles. Si ceux-là ne sont pas bien organisés et ne font pas leur boulot vis-à-vis de leur gouvernement, vis-à-vis des politiques de coopération, des bailleurs extérieurs, rien ne bougera. Je pense que ces acteurs-là peuvent avoir besoin de notre solidarité et de notre aide. Cela peut être une aide partagée puisque l’on peut aussi faire beaucoup de choses ensemble. Les agriculteurs du Sud et du Nord peuvent ensemble demander des politiques commerciales qui respectent toute la richesse, toute la multifonctionnalité des systèmes agricoles.
Faire des projets dans le Sud, il faut arrêter tout de suite ! Nous ne faisons pas de projets dans le Sud. On développe des partenariats avec des acteurs de développement avec lesquels nous entretenons des relations que l’on espère constructives, positives, qui les amènent à aboutir dans leur ambitions. Ce n’est pas du tout orienté sur un projet, même sur un programme, c’est construire une nouvelle vision du développement et avec de plus en plus aujourd’hui un questionnement sur le développement en général par rapport à il y a 50 ans. Il y a dix ans, on parlait encore du développement du Sud, aujourd’hui on parle du développement du Nord et du Sud.
Nous avons pris comme résolution de ne plus avoir de personnel expatrié sur le terrain, ni des bureaux de représentation. L’objectif c’est de responsabiliser, jusqu’à confier les fonctions de représentation à nos partenaires. On est rentrés dans ce mécanisme là et on ne reviendra jamais en arrière parce que c’est tellement plus riche pour nous et pour eux, l’échange est totalement différent. Cela veut dire qu’on change notre façon de travailler avec ces partenaires, on est un peu plus off tout en étant proche. Il ne faut pas trop de recul non plus, je ne pense pas que cela réduit l’intensité des relations avec les partenaires, c’est un autre type de suivi. On travaille beaucoup plus sur les aspects de plaidoyer politique, on doit pouvoir faciliter la possibilité pour ces acteurs de se positionner dans toutes les concertations, au niveau local et international.
Le pire de tout, c’est qu’après 50 ou 60 ans d’avoir essayé de réduire les inégalités par l’une ou l’autre voie, on n’est pas arrivé à grand-chose. Au lieu de continuer à chercher une autre piste, on a carrément changé de perspective. On a abandonné l’idée de la coopération au développement, au profit de l’idée de l’aide d’urgence.
Être surtout un peu plus cohérent. Par exemple, on essaie ici en Belgique de lutter contre l’immigration illégale, c’est un choix politique, en même temps, il y a quelques années la Région wallonne accepte de vendre des armes légères à la Lybie de Kadhafi avant le printemps arabe. Alors, forcément, si on vend des armes à un dictateur qui va les retourner contre sa population, qu’on ne s’étonne pas s’il y a des gens qui essaient de traverser la Méditerranée pour venir chez nous se protéger.
De manière générale, la coopération c’est une bonne chose, il ne faut pas l’arrêter. Il ne faut même pas dire que c’est de l’assistance, parce que même si c’est de l’assistance, pourquoi pas ? Parce que dans le sens inverse, vous avez le pillage de tous ces pays-là par d’autres individus. Comme cela, les Africains peuvent au moins voir qu’il n’y a pas que les pillards, en voilà d’autres qui viennent et qui travaillent avec nous dans le cadre de la coopération et nous allons de l’avant. Donc la coopération doit toujours exister, cela équilibre. D’autre part, tu peux arriver dans mon pays, tu es jeune, tu trouves une grande organisation et on te nomme trésorier. Tu te dis « Je suis jeune, à mon âge, gérer tout cela ! ». Mais oui, comme on te nomme trésorier dans un truc organisé par les africains, ils veulent se protéger aussi. Ils savent que toi au moins tu n’auras à subir de pression de personne. Tandis que si c’est moi, à l’époque de Mobutu, ils pouvaient me dire « Allez, sur l’argent que tu as reçu, tu amènes autant ». Ou alors la famille, les amis… Mais quelqu’un qui vient de l’extérieur n’a pas toute cette pression. Voilà en quoi votre rôle peut être bien. Mais il y a des Européens qui arrivent et qui vont à l’autre extrême : « Je ne veux pas leur apprendre, c’est eux qui doivent savoir », l’Africain va leur dire « Mais qu’est-ce que tu viens faire ici ? Rentre chez toi, alors ». Il ne faut pas non plus être à l’autre extrême. Si j’arrive, il ne faut pas y aller avec la culpabilité de se dire « Je vais prendre la place de quelqu’un ». Il y a tellement du boulot chez moi, qu’on ne prend pas la place de quelqu’un. Chacun peut se dire où je suis utile, qu’est-ce que je peux faire. Et chacun de nous peut occuper une place que personne ne viendra vous disputer, tellement il y a du travail.
Je trouverais ça tellement dommage si la coopération au développement arrêtait brutalement parce que je crois beaucoup, et ce n’est pas uniquement professionnellement parlant, c’est aussi humainement, en l’importance du fait que des gens de cultures différentes, de nationalités différentes, de parcours personnels et professionnels différents puissent continuer à se rencontrer.
La coopération en soi, qui essaie d’accompagner directement les personnes avec des solutions au quotidien, évidemment il faut qu’elle continue, et on en a encore besoin. Par contre, ce qu’il faut absolument qu’il s’arrête maintenant c’est toutes les incohérences qui existent dans notre fonctionnement global.
On a tendance à chaque fois envoyer des experts occidentaux dans le Sud payés bien cher. Et je trouve que par contre dans le Nord, il y a une méconnaissance profonde de l’expertise qui se trouve au Sud. Cela doit vraiment s’accentuer. Ce n’est pas la coopération d’aide nécessairement, cela peut être du travail médiatique, cela peut être sur plein de secteurs et de domaines différents. Je trouve que c’est là que la coopération devrait davantage se faire, pas sous une forme d’un Nord qui descend vers le Sud mais plutôt davantage l’inverse.
Il ne s’agit plus de simplement aider des organisations dans le Sud, mais de gérer ensemble des problèmes et agir ensemble pour que les pouvoirs publics et autres acteurs modifient leurs politiques. D’autre part, c’est très important de passer à un modèle de coopération qui est équilibré et donc de sortir de l’expérience où il y avait les organisations du Nord qui connaissaient tout et possédaient tout et donc donnaient à partir d’une générosité aux organisations du Sud, mais de reconnaître les capacités des organisations du Sud et de travailler ensemble pour un projet qui soit à partager.
Un développement local de tout un chacun, tant au Sud qu’au Nord, tant dans les villes qu’en zone rurale, pour un bien collectif.
Je pense qu’on a aujourd’hui l’illusion d’un monde globalisé, d’un monde où on est au courant de tout ce qui se passe grâce à internet et à toutes ces petites machines et, en réalité, les gens ne se connaissent pas. Des gens qui voyagent, qui bougent, qui se rencontrent, cela c’est important. Etre dans un monde où on peut encore accueillir la différence chez nous et la rencontrer ailleurs et le plus possible sur un pied de non-pouvoir mais d’égalité, c’est vraiment un vaste programme, et j’espère que ça va continuer à se réaliser notamment grâce à des associations et des ONG comme ITECO.
Entretiens de Catherine Bruyère, vidéo d’Olsen productions