...formations au singulier, par Maïté Verheylewegen
Est-il possible d’établir un état des lieux des besoins en formation des personnes impliquées dans des projets de développement menés en partenariat dans les pays du Sud ? Un échantillon d’acteurs de la coopération au développement en Belgique et dans les pays du Sud apporte les éléments nécessaires afin de pouvoir définir et prioriser les besoins en formation. Cette synthèse tente de reprendre les principales thématiques, contenus, méthodes et modalités des formations requises par les principaux acteurs rencontrés.
Que ce soit dans les ONG belges, les ONG de différents pays du Sud, les villes et les communes de Bruxelles et Wallonie, les syndicats, les organisations de solidarité internationale issues de l’immigration , ou dans les organisations et entreprises d’économie sociale et solidaire, nous pouvons distinguer deux grands axes dans lesquelles s’inscrivent les besoins en formation. Il s’agit d’un premier axe centré sur les méthodes et les outils ; et d’un second sur les processus et méthodes d’approches et d’intervention. Ces deux axes s’inscrivent dans un contexte de changement et d’évolution du partenariat Nord-Sud où l’on passe sensiblement de l’exécution de projets consistant à fournir des « biens et services » à des populations discriminées dans le Sud à un renforcement des capacités des organisations de la société civile [1]. Les processus d’intervention ont donc aussi tendance à s’adapter à ce nouveau contexte.
De plus, la tendance vers la professionnalisation, l’augmentation du niveau de qualification et d’expérience ainsi que la spécialisation des acteurs et des agents de développement font que les besoins en formations soient plus spécifiques, tendant ainsi à améliorer la qualité des interventions avec les partenaires du Sud. Les nouvelles exigences, les réformes législatives du domaine de la coopération internationale qui se « technicise » de plus en plus, la recherche de plus d’efficacité de l’aide et de l’atteinte de résultats orientés vers des objectifs (maîtres mots de la coopération !), induisent ces différents acteurs, tant du Nord que du Sud à devoir adapter leurs outils et méthodes tout en essayant de garder leurs spécificités et un regard critique qui leur est propre. Cet aspect est d’ailleurs aussi souligné dans l’étude des besoins en formation sur la coopération au développement que la Coopération technique belge (CTB) a réalisé en 2007 : « Les ONG du Sud souhaitent garder une dimension critique par rapport à ces outils et à leur utilité… et elles ne souhaitent pas résumer les formations à un simple apprentissage d’outils » [2].
Dans ce premier axe, que nous nommons l’axe « méthodes et outils », les ONG du Nord, du Sud, les associations de solidarité internationale issues de l’immigration, les villes et les communes, les organisations de l’économie sociale et solidaire et les syndicats priorisent des besoins en formation sur les méthodes et outils :
Nous devons cependant insister sur le fait que les ONG du Sud rencontrées manifestent que face au manque d’harmonisation entre les bailleurs de fonds du Nord qui ont chacun leurs normes, leurs instruments, leurs formats propres et qui exigent une harmonisation de la part des organisations du Sud, d’après Mário Monis, de la Plateforme des ONG du Cap Vert, en imposant leurs modèles sur ceux du Sud, les acteurs et agents de développement du Sud sont souvent confrontés à devoir s’adapter aux changements de méthodes et d’outils. C’est dans ce sens que les formations citées précédemment sont souvent demandées par les ONG. Des difficultés d’application de cette méthode sont encore plus ressenties par les organisations de la société civile de base qui « n’entrent pas dans la logique du cadre logique », nécessaire pour pouvoir présenter des dossiers de projet auprès de partenaires du Nord. Il y a donc un décalage entre les exigences du Nord face à celles du Sud.
La construction d’une formation commune avec une institution spécialisée qui suivrait toutes les étapes et avec qui il serait possible de réfléchir, d’adapter et de proposer des outils et les méthodes alternatives serait une plus-value indispensable pour répondre au mieux aux exigences externes tout en maintenant les identités propres à chaque organisation.
La construction, formulation et analyse des indicateurs de changement, adaptés aux réalités locales à partir de cas concrets (projets en cours d’exécution ou en programmation). Les enquêtes menées auprès des ONG du Sud dégagent à plusieurs reprise ce besoin de formation pour construire de « bons » indicateurs de changement qui soient utiles et nécessaires pour chacun des acteurs impliqués dans les projets et qui permettent de créer des dispositifs de suivi, d’évaluation et auto évaluation participative contribuant à se positionner par rapport aux contextes et évolution des actions menées. Mais aussi pour pouvoir améliorer la qualité du travail. L’Institut de formation syndicale internationale (coopération syndicale de la FGTB) manifeste d’ailleurs l’importance de construire des dispositifs de suivi des actions de renforcement des capacités des syndicats menées avec leurs partenaires du Sud puisqu’il s’agit de faire de ce dispositif un outil d’apprentissage des pratiques des uns et des autres.
Les outils pour une meilleure participation citoyenne (gestion participative, processus de participation, budget participatifs) dans le Nord et dans le Sud ont leur importance dans les besoins en formation. L’appropriation d’outils pour mesurer l’efficacité des actions a aussi été manifestée lors des enquêtes.
Les outils pour la systématisation d’expériences et des bonnes pratiques sont essentiels dans tout processus d’intervention.
Les ONG du Sud souhaitent renforcer leurs compétences sur les méthodes et outils d’intervention en éducation populaire, sur les techniques d’animation mais surtout pour répondre à la question quelle éducation pour quel changement social.
Un aspect que nous partageons avec l’étude des besoins de la CTB tient au fait de l’existence de peu de formations de recyclage pour les personnes qui ont déjà une expérience dans la coopération au développement. Il rejoignent ceux mentionnés par les ONG du Nord en y ajoutant cependant les modes de développement locaux et l’identification des besoins des partenaires qui tendent vers les mêmes objectifs que ceux des associations dans le Nord.
Deux thématiques qui préoccupent les ONG du Sud sont, d’une part, celle du renforcement des méthodes pour assurer une meilleure incidence politique des actions Sud-Sud, Sud-Nord, Nord-Sud (pour le plaidoyer, la construction participative de politiques publiques) et, d’autre part, celle de la récupération, valorisation et reconnaissance des savoirs locaux qui doivent être pris en compte dans les projets de développement et qui contribueraient aussi à une meilleure « compréhension de l’autre » et ainsi au renforcement des partenariats Nord-Sud.
Les besoins des associations de solidarité internationale issues de l’immigration rejoignent aussi ceux des ONG Nord et Sud en dégageant cependant des formations centrées sur l’élaboration de diagnostic dans le Sud, le mise en oeuvre des projets, les outils pour la gestion comptable et une formation informatique comme étant des besoins importants.
Les besoins en formation se centrent aussi dans ce premier axe sur les aspects institutionnels des organisations de coopération internationale, tels que la connaissance de l’évolution du cadre politique de la coopération de la DGCD, des programmes, des enjeux de la coopération, de la règlementation internationale ont été signalés comme thèmes à traiter lors de formations. Face à la complexité des mécanismes internes de la coopération, il est nécessaire d’informer les différents acteurs de la coopération, surtout les petites structures qui ressentent plus d’insécurité dans ce contexte. Dans le même sens, les ONG du Sud ont des besoins similaires parce qu’elles sont confrontées à d’autres réalités telles que les difficultés d’accès à des réseaux de communication, aux espaces de discussion qui leur permettraient de mieux cibler les enjeux de la coopération internationale, ses modes de fonctionnement, les mécanismes mis en place, les politiques internationales. Elles se sentent parfois obligées de suivre les thématiques de coopération priorisées par les acteurs du Nord ou par des instances politiques auxquelles elles ne peuvent accéder.
Il est donc indispensable, selon les ONG du Sud, d’ouvrir plus d’espaces de rencontres, de réflexion commune entre acteurs du Nord et du Sud sur la place et le rôle du développement durable dans la coopération, la place et le rôle des acteurs non étatiques et étatiques du Nord et du Sud, les différents contextes de la coopération, les stratégies à adopter en tant qu’acteurs Sud face aux institutions du Nord.
Certaines associations de migrants et organisations de l’économie sociale et solidaire insistent sur la nécessité d’être informées sur la règlementation et droit des associations afin de savoir comment se constituer en association, ainsi que sur le cadre politique de la coopération de la DGCD et la règlementation de la coopération internationale. Une formation sur les subsides et la création de partenariat avec les instances publiques (communes, DGCD) et le renforcement institutionnel des associations des migrants sont d’autres thématiques qui ont été exprimées par les personnes rencontrées.
Notre second axe est celui des processus et méthodes d’approche et d’intervention dans lequel nous distinguons des besoins en formation à propos du renforcement des partenariats et des relations Nord-Sud et des formations en éducation au développement.
Un premier aspect qui ressort de l’analyse des besoins en formation des ONG du Sud est celui de la solidarité dans la coopération internationale (De quelle coopération parle-t-on ? Quel en est le sens ?). Cette formation-réflexion contribuerait à renforcer les relations de partenariat Nord-Sud et de créer de vrais partenariats tendant vers des relations plus équilibrées sur le plan notamment des rapports de force qui peuvent s’établir.
Nos enquêtes ont démontré que, dans ce même cadre du renforcement des relations de partenariat, il était fondamental de continuer de se pencher sur la notion de l’interculturalité et de la communication interculturelle. Ces thématiques ont été le plus souvent mentionnées par les personnes rencontrées qui souhaitent trouver des réponses aux questionnements suivants :
La communication interculturelle avec une approche du genre et de négociation interne et externe est notamment une préoccupation des ONG du Sud mais aussi des villes et des communes actives dans la solidarité dans le Nord qui veulent améliorer les relations de partenariat et mieux préparer les agents de développement dans le cadre de leurs missions respectives. Dans le cas des villes et des communes, il s’agit de renforcer les mécanismes de communication entre les fonctionnaires des administrations communales dans le Nord et dans le Sud mais aussi la communication avec les élus du Sud, qui sont les interlocuteurs directs avec les communes belges, afin de mieux connaître et prendre en compte la population qu’ils représentent.
Dans le cas des programmes d’envoi de personnes, nous avons aussi constaté lors de nos enquêtes qu’il y a souvent peu de temps consacré à la préparation au départ soit parce que les ONG estiment qu’elles sont déjà bien préparées (puisque spécialisées !) et qu’elles sont « équipées » de tout le bagage nécessaire pour travailler dans le Sud, soit parce que les dates des formations proposées se chevauchent avec les dates de départ et qu’il faut répondre à des besoins « plus prioritaires ».
Cependant, le besoin d’une formation actualisée pour coopérants est une préoccupation des ONG d’envoi. Alors que le nombre de personnes envoyées dans le Sud est en diminution, de plus en plus de formations universitaires et des hautes écoles destinées à des étudiants désirant s’impliquer dans la coopération au développement voient le jour [4]. De plus, ce secteur en diminution évolue vers une professionnalisation de plus en plus exigée. Face à ces deux constats, les enquêtes ont révélé un désir de continuer à alimenter le débat et la réflexion sur cette thématique en axant la réflexion sur les thèmes suivants : la sélection des futurs coopérants, l’analyse de leurs motivations d’engagement, la gestion de leur stress, de l’équipe, de personnes, de réunions, etc., la gestion des conflits.
La réflexion sur le rôle des coopérants dans le Sud et la pertinence de l’envoi : ces envois renforcent-ils les compétences locales ? Facilitent-ils le renforcement des partenariats ? Le regard extérieur qu’ils portent et partagent avec les partenaires du Sud, contribue-t-il à plus d’innovation culturelle, sociale, technique ou professionnelle ? L’engagement solidaire des coopérants dans le Sud permet-il de renforcer l’expertise en matière de coopération au développement dans le Nord ? Telles sont les questions auxquelles il serait intéressant de répondre lors d’une formation sur cette thématique.
Les besoins de formation des organisations d’économie sociale et solidaire rejoignent ceux mentionnés par les ONG du Nord en y ajoutant cependant les modes de développement locaux et l’identification des besoins des partenaires qui tendent vers les mêmes objectifs que ceux des entreprises ici.
Enfin, les différents acteurs de la coopération rencontrés insistent aussi sur l’importance des formations en éducation au développement, bien que celles-ci se soient largement développées depuis ces dernières années. En effet, ce secteur d’éducation et de coopération ne cesse de croître et dépasse le seul monde des ONG.
ITECO a d’ailleurs développé différentes formations en la matière, telles que la Formation pour animateurs en éducation au développement qui rencontre un public étendu de pédagogues, formateurs, animateurs de terrain, gestionnaires de partenariat, responsables de campagnes, représentants d’organisations ayant un partenariat dans le Sud, bénévoles, provenant des associations de migrants, des organisations de l’économie sociale et solidaire, des syndicats.
Mais face à cette offre de formation en croissance, il existe des besoins de formation autour de l’élaboration de la ligne de base en éducation au développement réunissant les différents acteurs du secteur (pas seulement les ONG ayant comme ligne d’action l’éducation au développement) afin de construire ensemble les outils les mieux adaptés à celui-ci, d’après Chantal Jadot, de Solidarité socialiste. Une démarche similaire en ce qui concerne la construction d’une stratégie d’évaluation spécifique à l’éducation au développement a d’ailleurs commencé à l’initiative d’ITECO dans le cadre d’une recherche-action réunissant différentes ONG et qui pourrait s’étendre à d’autres acteurs tels que les syndicats, les associations de migrants, les villes et les communes, les organisations et entreprises d’économie sociale, entre autres. Il y a donc un besoin manifeste exprimé par les personnes rencontrées pour harmoniser les stratégies, les publics cible, les méthodes et les outils en éducation au développement.
Les associations de migrants, en particulier, se posent la question du rôle des migrants dans les actions de développement dans le Sud et de leur contribution au processus de sensibilisation de la population en éducation au développement. Les actions en éducation au développement pourraient par ailleurs consolider les associations de migrants en tant qu’acteurs de développement reconnus par le secteur de la coopération tant en Belgique que dans les pays d’origine des migrants.
Les acquis des actions de coopération décentralisée réalisées par les communes contribuent à renforcer les actions de sensibilisation en éducation au développement en Belgique et les actions menées en partenariat dans le Sud. Des besoins en formation ont été manifestés notamment dans la construction des stratégies de sensibilisation de la population des communes du Nord sur les actions de développement et de solidarité menées dans le Sud, ce qui contribuerait à valoriser la coopération communale et ses enjeux qui ne sont souvent pas bien compris par les habitants des communes. Une réflexion sur le développement (de quel développement parle-t-on ?, comment agir en tant que commune ?) pourrait être analysé ainsi que la recherche d’une stratégie pour impliquer les acteurs du Sud dans l’éducation au développement dans les communes belges. Afin de pouvoir construire une stratégie de sensibilisation en éducation au développement, il sera nécessaire de capitaliser les acquis des apprentissages de la coopération communale, acquis notamment au sein d’un dialogue interculturel Sud-Nord afin de pouvoir rechercher des pistes pour « mieux parler à la population ici, dans les communes, où l’on rencontre une grande diversité culturelle », d’après Frank Willemans, de l’Union des villes et communes de Belgique.
Des formations sur le développement durable (la pérennité des actions, la sensibilisation aux problèmes de l’environnement, les outils d’analyse du programme « Ca passe par ma commune »), la gestion participative, ses processus et modes de fonctionnement sont aussi des besoins exprimés par les communes.
Bien qu’à travers de Solidarité des alternatives wallones et bruxelloises, Saw-B [5], les organisations et entreprises d’économie sociale et solidaires ont déjà organisé des échanges de bonnes pratiques et de recherche de dynamiques de collaboration entre elles, un besoin de formation ou la création d’un espace de réflexion sur les enjeux de l’économie sociale comme alternative de sensibilisation sur nos propres comportements dans le Nord et leurs conséquences dans le Sud a été exprimé par le réseau Ressources [6] Ressources regroupe aujourd’hui une soixantaine d’entreprises d’économie sociale..
L’éducation au développement ne se fait évidemment pas seulement dans le Nord. L’incidence sur les valeurs et les attitudes des personnes, des organisations, des collectifs ainsi que la construction des connaissances critiques face à des réalités et des contextes divers se fait et doit se consolider par les actions éducatives auprès de divers publics dans le Sud et en partenariat avec eux. Au travers d’une formation en éducation au développement exprimée par les ONG du Sud, il s’agirait de construire des mécanismes de sensibilisation de la population du Sud au travers de réseaux de défense des droits humains au niveau local, régional et international. L’éducation aux droits humains et à la solidarité est un thème signalé à plusieurs reprises dans les enquêtes : les processus d’exigibilité politique et juridique des instruments internationaux pour la défense des droits économiques, sociaux et culturels, leurs principes et leur exercice, accord et suivi, les lois relatives au genre et au développement.
Le souhait des acteurs de la coopération rencontrées est de construire une stratégie pour que des formations soient pensées, construites, réalisées et évaluées conjointement dans les pays intéressés.
[1] Note de travail préparatoire sur le Partenariat Nord-Sud pour les Assises de la coopération au développement, février 2009.
[2] Pierre Grega, Gerlinde Doyen et Manuel Eggen, Etude des besoins en formation sur la coopération au développement, CTB, 2007, p. 48.
[3] Op. cit., p. 49.
[4] A titre d’exemple, quelques formations universitaires dans le secteur du développement : ULB et UCL, master en sciences de la population et du développement ; la Fopes, master en politique économique et sociale, finalité spécialisée « développement et gestion de projets » ; ULg, master complémentaire en développement, environnement et société ; depuis peu, la Haute école de la Province de Namur, baccalauréat en coopération internationale, entre autres.
[5] Solidarité des alternatives wallonnes et bruxelloises, Saw-B, est une fédération pluraliste d’entreprises d’économie sociale née en 1981 pour rassembler et défendre les alternatives de ces entreprises. Saw-B fédère actuellement cent membres, dont huit fédérations sectorielles avec comme principal objectif le soutien au développement d’une économie centrée sur le respect de l’humain et de l’environnement.
[6] Depuis 1999, le réseau Ressources fédère l’ensemble des acteurs d’économie sociale des Régions wallonne et de Bruxelles-Capitale qui reçoivent, récoltent, trient, réparent, recyclent et revendent des produits en fin de vie.