Par Hugo José Suárez
J’entends d’une famille bolivienne habitant la ville de México le commentaire suivant : « Nous avons quitté la Bolivie parce que dans la situation actuelle il n’y a pas de futur pour nos enfants ».
J’ai entendu cette phrase des centaines de fois dans la bouche de personnes qui, après l’arrivée d’Evo Morales au pouvoir, en 2006, n’ont de cesse de se sentir coincées. Il s’agit d’une classe moyenne qui voit, non sans raison, des menaces dans les changements que vit le pays.
Jamais je n’ai entendu les rares membres de l’élite bolivienne qui je connais dire cela. Les premiers le diront peut être d’un ton hautain frôlant le racisme mais les deuxièmes, qui comptent plus, sont en accord avec le Gouvernement.
On sait, en effet, que les banques gagnent plus sous Evo qu’ils ne gagnaient sous Sánchez de Losada (le président libéral qui a fui la Bolivie en 2003). En Bolivie, il y a beaucoup d’argent à présent, le marché croît de manière stable, il n’est pas difficile de faire de l’argent, il suffit d’ôter les préjugés et d’être créatif.
Pour nous qui ne vivons pas au pays mais y retournons de temps en temps, cette transformation est remarquable. Une promenade dans la zone sud de La Paz montre les nouvelles constructions et les nouveaux centres commerciaux. Sous Evo, une certaine société vit à La Paz plus près de la consommation à la Miami qu’elle ne vivait sous Sánchez de Losada.
Alors, pourquoi la classe moyenne ne voit pas son futur avec le président indigène ? Pourquoi son malaise ? Je peux risquer l’hypothèse que c’est cette classe qui a perdu ses privilèges. D’une part, elle a vu se réduire de jour en jour la possibilité d’imiter l’aristocratie. Par exemple, se trouver une employée domestique devient de nos jours une prouesse. Les dames se plaignent des cholas subversives qui veulent savoir en quoi va consister leur travail, qui réclament des horaires clairs et des congés payés, un contrat de travail, en bref, comme dans tout Etat de droit.
Et, d’un autre côté, l’ascenseur social via la fonction publique est grippé. La rotation des élites imposée par Evo fait en sorte que les fonctions bureaucratiques soient remplies par des cadres issus des luttes sociales et non plus des universités huppées. L’espoir d’avoir un travail stable, notamment dans l’administration publique, après des études dans une bonne école privée, est parti en fumée.
La classe moyenne entrevoit donc la perspective de descendre d’une ou deux marches dans l’échelle sociale dans une ou deux générations. Deux options s’ouvrent à elle : fuir le pays à la recherche d’autres horizons souvent illusoires car à l’étranger ils perdent le capital social, économique et culturel et tout devient plus difficile pour eux. Ou profiter des opportunités qu’ouvre le marché pour gagner de l’argent et vivre mieux.
Les secteurs populaires réagissent autrement, l’histoire leur sourit. L’oligarchie joue aussi ses cartes avec intelligence. La classe moyenne, elle, comme d’habitude, se sent angoissée et ne sait pas où viser. On continuera à l’écouter se plaindre que dans ce pays il n’y a plus de futur pour nos enfants.