L’objectif « zéro faim » est-il possible dans le sous-continent indien ?, par Ujjaini Halim
L’Inde est une économie émergeante, aspirant à devenir prochainement un pays dominant dans la structure globale du pouvoir. C’est un pays dont le PIB augment de 9% par an ces dernières années, chiffre que fait passer les progrès de pays aisés pour insignifiants.
Cependant, ceci est juste un aspect de l’histoire. Pauvreté, faim et malnutrition coexistent avec l’excellente croissance du PIB et, selon beaucoup de chercheurs, la pauvreté s’intensifie dans le pays et affecte de façon croissante les ménages. Une récente estimation confirme cette tendance. Approximativement, 29% des gens vivent en Inde en dessous du niveau de pauvreté et presque 80% vivent avec moins de deux dollars par jour. Les statistiques révèlent que 57 millions d’enfants sont mal nourris et que 47% d’entre eux ont moins de cinq ans.
La pauvreté, en Inde, c’est la manifestation de différentes discriminations sur base de la classe, la caste, le genre, l’ethnie, la religion. Une femme sur trois est en sous poids et la malnutrition augmente parmi les filles, reflétant une discrimination de genre dans les ménages. La pauvreté est majoritairement rurale, si bien que 30% de la population rurale en souffre, comparée au 26% vivant dans des zones urbaines. L’accroissement des déplacements et des évictions au nom d’un développement mal compris a empiré le scénario de la pauvreté dans le pays ce dernier temps. Les statistiques confirment que le nombre de personnes déplacées entre 1951 et 1990 est de 21,3 millions. D’autres chiffres révèlent que moins de 1% de ces personnes ont effectivement été réhabilitées.
Bien que la faim et la pauvreté submergent l’Inde, il n’y a pas de disette dans le pays. La production de nourriture a crû de façon significative depuis son indépendance de la Grande Bretagne, en 1949. Une étude montre qu’en 1950-1951, la production alimentaire était de 50 millions de tonnes et, en 2001-2002, elle atteignait 211 millions de tonnes, assez pour nourrir l’ensemble de la population indienne. Cependant, dans les faits, 30% de celle-ci vit aujourd’hui avec 1700 calories par jour, beaucoup moins que la norme, à savoir 2100 calories. Le professeur Patnaik a prouvé qu’en 2000, environ 70% de la population était en dessous du seuil de pauvreté de 2400 calories fixé en 1979.
Dès lors, il est impératif de regarder les politiques qui déterminent l’accès des gens à l’alimentation et aux ressources pour produire la nourriture dans le but de découvrir leurs limitations et de développer des stratégies efficaces pour combattre le pressant problème de la faim. Dans le contexte de la crise globale de l’alimentation et les effets du changement de climat, la situation critique des pauvres et des personnes marginalisées en Inde est très alarmante.
C’est dans ce cadre qui s’inscrit le travail de Fian-Inde. Elle promeut le droit à se nourrir, prenant un rôle actif dans le soutien à des mouvement sociaux et dans la mobilisation internationale pour supporter ces mouvements, telle que faire pression sur les Etats pour réfréner les violations du droit à se nourrir et pour demander le respect des ce droit fondamental.
Fian travaille dans plusieurs Etats à travers l’Inde et est davantage présente dans le West Bengal, Uttar Pradesh et le Tamil Nadu. Une petite unité de Fian travaille aussi en Andhrapradesh, Karnataka, Maharashtra, Rajasthan et Orissa. Le bureau de coordination se trouve à New Delhi. Fian met l’accent sur la recherche de cas de violations du droit à se nourrir à travers le pays directement et avec l’aide de réseaux et de partenaires. Comme seconde stratégie, Fian conçoit et réalise différentes campagnes sur des enjeux actuels du droit à se nourrir en visant des cas spécifiques de violations. Troisièmement, Fian reste engagée dans le plaidoyer en analysant les politiques en lien avec le droit à se nourrir, en faisant ressortir les défauts et en engageant un dialogue critique avec les décideurs politiques pour apporter des changements significatifs.
Outre ces trois aspects, Fian s’investit particulièrement dans la sensibilisation au droit à se nourrir vis-à-vis des décideurs. En ce qui concerne les victimes, il s’agit de les rendre plus fortes par la connaissance du droit à se nourrir et des différents instruments juridiques et guides qui peuvent être utilisées pour la mise en œuvre progressive du droit à se nourrir dans tout le pays.
Fian engrange la documentation et se renseigne sur les cas de violation du droit à se nourrir. Les cas sont classés en trois catégories : 1. Les cas de violation où l’accès aux ressources productives pour les pauvres est dénié. 2. Les cas de violation des droits du travail 3. Les cas reliés aux failles de la sécurité sociale conduisant à la faim et la malnutrition.
De exemples récents de déni d’accès aux ressources sont renseignés à Singur et Nandigram dans le West Bengal. Dans le premier cas, Singur, le gouvernement a acquis 2 500 hectares de terre fertile agricole des paysans à un prix dérisoire et l’a donné aux entreprises Tata et Fiat pour la construction d’une manufacture de voitures et, de ce fait, à détruir les moyens d’existence de trente mille paysans. A Nandigram, le gouvernement a proposé de chasser plus ou moins cent villages pour le développement d’une zone spéciale économique par l’entreprise indonésienne MNC Salim.
Dans les deux cas, les paysans se sont battus pour défendre leurs droits et le gouvernement de Nandigram a dû abandonner les projets à cause de la résistance d’une grande partie de la population et de la pression exercée par Fian et d’autres groupes. Plus de cent paysans sont morts sous les feux de la police et dans les attaques des gangsters engagés par l’Etat pendant qu’ils défendaient leur droit à la terre dans les deux endroits. Le rôle de Fian dans la mobilisation et le support national et international envers le combat des paysans dans ces deux cas fut hautement apprécié par les populations concernées et a retenu l’attention des médias.
Fian a rassemblé différents cas de violations du droit à l’eau, également. Dans ce chapitre doivent être mentionnés trois cas significatifs : 1. Le cas de l’usine de Coca Cola, qui épuise les ressources en eau pour l’agriculture et la consommation à Plachimada Plakkad, dans le Kérala. 2. La destruction des moyens d’existence de quatre mille pêcheurs du à la pollution de l’eau par les fermes d’élevage de crevettes à Thillaivilagam, au Tamil Nadu. Et 3. La pollution de la rivière Hindon en Uttar Pradesh qui a conduit à des souffrances et une détérioration des conditions de vie de plus de cinq mille personnes.
Un cas concernant le déni du salaire minimum garanti est celui des travailleurs de la brique à Barabanki, dans l’Uttar Pradesh. Là, les travailleurs recevaient un salaire inférieur au minimum legal, réduisant sévèrement leur accès à la nourriture. C’est aussi le cas, à Howhrah, au West Bengal, où des travailleurs des fonderies, étaient salariés d’une industrie en perdition et l’Etat n’a pas assuré la sécurité d’emploi de ces travailleurs. A Kolkatta, le gouvernement a banni les 18 mille conducteurs de rickshaw (petites voitures à trois roues) de la rue sans leur fournir aucun moyen d’existence alternatif, ce qui a sérieusement diminué leur accès à l’alimentation.
Nous devons aussi mentionner le cas de deux communautés tribales dans le district d’ Erode au Tamil Nadu, où la déforestation massive en lien avec deux ans d’opérations de police spéciale a fait perdre aux tribus leurs habitat et terre traditionnels. A Maldah, district du West Bengal, chaque année durant la saison des pluies, les moyens d’existence et les terres agricoles de milliers de personnes se voient dégradés sans que le gouvernement n’agisse. Le résultat est que des gens souffrent de faim chronique et de malnutrition. Au West Bengal, plus de 500 personnes sont mortes de faim dans les plantations de thé de Jalpaiguri à cause de la fermeture de certaines plantations et du manque de moyens alternatifs de vie pour les travailleurs. Ces plantations produisent le fameux thé Darjeeling. Le gouvernement, cependant, a refusé de reconnaître ces cas de morts par la faim et n’a pas pris de mesure adéquate pour contrôler la situation d’abjecte pauvreté, faim et malnutrition.
Fian suit aussi de près des cas directement reliés à la non réalisation de programme de sécurité alimentaire dans le pays. Dans cette catégorie, quelques incidents ont été enregistrés de l’Uttar Pradesh au West Bengal. Après investigation, Fian organise une série d’interventions, partant de campagnes internationales d’envoi de lettres, suivie de visites et recherches locales par des activistes de Fian, et dans certains cas, en organisant des missions internationales d’investigation. Les rapports de ces interventions sont utilisés pour le plaidoyer envers différents niveaux de gouvernement et pour le travail avec la presse.
Nous mettons à présent particulièrement l’accent sur le droit à l’eau, contre les évictions et la privation des terres, pour la garantie du salaire minimum sans aucune discrimination et pour la mise en œuvre effective des programmes de sécurité alimentaire de l’Etat. Une stratégie pour développer les campagnes est le travail conjoint avec des partenaires variés, en réseau, en utilisant différentes plateformes existantes pour susciter l’intérêt envers le droit à se nourrir. Fian Inde lie ses campagnes avec celles de Fian international. A présent, Fian organise une large campagne « Zéro Faim » en Europe, dont quelques cas Indiens en font partie. Fian a engagé aussi une analyse critique concernant les agrocarburants de manière à évaluer l’impact de leur expansion sur les moyens d’existence de tous. La politique forestière et minière, la réhabilitation et le repeuplement sont regardées de près pour s’ assurer que celles-ci viennent améliorer et non être préjudiciables à la réalisation progressive du droit à se nourrir.
S’appuyant sur les expériences en Inde, Fian a fait un travail de plaidoyer auprès des Nations unies et dans d’autres institutions intergouvernementales comme la FAO. Fian est aussi très concerné par les changements climatiques et prépare une position pour montrer comment traiter cet enjeu crucial d’un point de vue du droit à se nourrir.
Traduction de Annick Honorez