La crise vue d’Afrique

Mise en ligne: 4 septembre 2008

Lydie Tapsoba et Cheick Haïdara étaient de visite en Belgique en août 2008 pour faire connaître la position des paysans africains face à la crise alimentaire, par Antonio de la Fuente

Lydie Tapsoba et Cheick Haïdara étaient de visite en Belgique en août 2008, invités par SOS-Faim, pour faire connaître la position des paysans africains face à la crise alimentaire. Lydie dirige la Fédération des femmes rurales de Burkina Faso et Cheick fait partie de la Coordination des organisations paysannes du Mali. Lydie produit des céréales et fait du beurre de karité, tandis que Cheick produit des céréales, des mangues et fait du maraîchage.

Ils sont allés à la Foire agricole de Libramont et ont porté un regard ravi aux vaches à grosses fesses qui produisent 40 litres de lait par jour. Ils ont été au festival Esperanzah et rencontré des paysans belges ainsi que à la presse, devant laquelle ils ont pu préciser la position des paysans africains face à la crise alimentaire, caractérisée par la flambée des prix des produits de base à l’origine de nombreux troubles.

Outre la production d’agrocarburants, la hausse du prix des combustibles et les aléas climatiques, la crise réside, d’après eux, dans le fait que leurs pays n’ont pas suffisamment investi dans l’agriculture se contentant de l’importation de produits alimentaires. La hausse des prix ces produits agricoles importés en Afrique subsaharienne a menée les gouvernements en place à prendre une série de mesures qui n’ont pas été efficaces et n’ont bénéficié in fine qu’aux commerçants.

Ainsi, les organisations paysannes africaines exigent l’accroissement de l’investissement dans le secteur agricole, l’accès aux équipements, au foncier et au crédit pour les paysans, ainsi que la protection du marché intérieur et la promotion de l’intégration régionale. Aucun Etat africain à présent n’affecte 10% de ses ressources à l’agriculture comme ils se sont engagés à le faire.

Les Acords de partenariat économique avec l’Europe sont vus avec méfiance par les organisations paysannes africaines, car ils ne garantissent pas un partenariat équitable et représentent, dans les faits, une imposition des points de vue européens à l’Afrique. Après les programmes d’ajustement structurel imposés aux pays africains dans les années nonante, les actuels Accords de partenariat économique sont trop inégaux. Aussi, la population africaine est insuffisamment informée sur ces Accords et leur portée.

Les Etats africains doivent faire le choix de privilégier les producteurs agricoles, en encourageant la production locale, ou les consommateurs urbains, en acceptant d’importer les produits de base ? Est-ce un dilemme ? Dans le dialogue entre Lydie Tapsoba, Cheick Haïdara et des journalistes, mandataires politiques et membres d’ONG au siège de SOS-Faim, de nombreuses questions clés comme celle-là sont évoqués.

L’afflux d’aide humanitaire, par exemple, est encore un dilemme. Impossible de s’en passer pour faire face à la disette et, pourtant, force est de reconnaître qu’elle a la fâcheuse tendance à perturber la production locale. Même les projets de développement à moyen et long terme sont jugés avec un regard critique par nos visiteurs africains. Cinq ans semble être une période suffisante pour installer une activité dans la durée. Et pourtant, le temps de bien démarrer et le temps de finir le projet se chevauchent trop souvent.

C’est aussi le cas de l’expérience malheureuse des cultures de rente, le coton en particulier, qui représente un drame social pour nombre de producteurs dans la région subsaharienne : le prix de vente a chuté de 40% ces dernières années, les producteurs n’arrivent pas à couvrir les coûts de production et les banques attendent. C’est toute la question de la dépendance vis-à-vis de l’Europe qui transparaît à travers cet exemple. Une dépendance d’une autre nature est évoquée : comment ne pas rendre l’agriculture africaine dépendante des énergies fossiles ?

Le mot de la fin revient à l’organisation hôte : Les marchés fonctionnent mal, nous explique-t-on. « La main invisible du marché n’est pas la solution. Dans cette matière, c’est le problème », d’après Olivier de Schutter, rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation. La crise s’installe et avec elle une augmentation durable des prix des produits agricoles et des coûts de production. La crise alimentaire est surtout une crise des revenus. D’où la nécessité impérative de renforcer la lutte contre la pauvreté. Pour avancer dans cette direction, il faudrait accorder les discours et l’action des acteurs internationaux.