Trouver des réponses viables, épanouissantes et équitables à la crise, par Aline Wouters
« Changer de rêve » était le titre d’un symposium mis sur pied par l’Alliance Pachamama et proposé par Tetra en octobre 2007 à Bruxelles. C’était un jeudi, toute la journée, et pourtant nous étions cent participants interpellés par le thème. Suite à cette journée, vingt cinq participants se sont inscrits à une formation de cinq jours pour approfondir le thème et pouvoir ensuite redonner ce symposium en d’autres lieux. Vingt cinq personnes toutes générations confondues, de 24 à 71 ans, toutes régions de la Belgique francophone confondues, de Bruxelles au Luxembourg, et tous domaines professionnels confondus (de la banque à l’enseignement en passant par le milieu hospitalier et culturel sans oublier les femmes au foyer et les étudiants). Il y avait là comme une preuve vivante et palpable que quelque chose bouge fort et partout en même temps.
Mais de quoi parle ce symposium ? Il parle de la situation écologique, sociale et spirituelle de la planète et tend à montrer que ces trois crises n’en font qu’une. Il n’y a pas de justice sociale là où l’équilibre écologique est en rupture, et il y a aujourd’hui plus de réfugiés écologiques que de réfugiés politique et sociaux. Il n’y a pas d’équilibre écologique quand la vision spirituelle qui nous relie à la nature fait défaut : tant que les forêts et les océans seront abordés que comme un vaste réservoir de ressources à exploiter, il n’y aura pas de remise en question sur le système qui nous permet aujourd’hui, en toute logique, de détruire les forêts au rythme d’un terrain de football par seconde.
Le symposium parle aussi du comment nous en sommes arrivés là. Comment de racines celtiques emplies de valeurs proches de celles des peuples indigènes quant à notre profonde enracinement à la Terre et au cosmos tout entier nous avons avancés, au travers des découvertes scientifiques et de l’ère industrielle, vers un véritable « complexe de l’isolement », selon l’expression de Thomas Berry. En effet, nous vivons et agissons aujourd’hui comme si nous étions totalement séparés du reste du vivant : nous l’exploitons, le consommons et le jetons sans voir que nous ne faisons qu’un, et que notre existence dépend totalement du reste du vivant. Les paroles d’un sage indien dites au début du siècle commencent seulement maintenant à nous parler : « Quand vous crachez sur la Terre, c’est sur vous mêmes que vous crachez ». Notre mode de vie est lié à la compréhension complètement erronée de notre place dans l’univers, à une perception, un paradigme ou une vision du monde qui nous incite à accomplir des actes qui finissent en définitive par détruire l’avenir de l’espèce humaine toute entière.
La bonne nouvelle c’est que cette vision du monde est faite de croyances non vérifiées construites par les hommes eux -mêmes et que, donc, nous pouvons les changer si nous voulons bien prendre le temps de les observer et faire des choix responsables (responsable : habilité à répondre).
Quelles sont quelques unes de ces croyances ? Nous avons déjà regardé la croyance que nous étions séparés du reste de la nature. Regardons un instant la croyance selon laquelle une économie en bonne santé est une économie en croissance. Si la croissance est indispensable, nous sommes alors priés de consommer. Nous en sommes alors, en quelque sort, réduits à n’être que des consommateurs. Il fut pourtant une époque pas si lointaine où les gens étaient considérés comme des citoyens, mais il faut bien se rendre à l’évidence qu’aujourd’hui notre principale étiquette est celle de consommateur. Nous parlons même fièrement de notre pouvoir en tant que consommateurs !
Nous pourrions aussi regarder ceci : « On n’arrête pas le progrès » et le stress associé au temps qu’engendre cette croyance. « La science trouvera bien une solution » et la torpeur dans laquelle cela nous plonge. « Une seule personne ne peut rien changer » et notre inertie face à l’engagement personnelle. « L’homme est le maître de la nature », « de toute façon la concurrence est une loi de la nature »... Chacun peut désormais prendre le temps de regarder ses croyances et après en avoir compris les conséquences faire le choix de les garder ou d’en changer.
Annie Dillard souligne que « nous vivons notre vie comme nous vivons nos journées », prenons le temps de regarder cela et de nous rappeler qu’à chaque instant, nous avons la possibilité de transformer une potentialité en action, de traduire un engagement en actes. A chaque instant : « Soyons le changement que nous voulons voir dans le monde », comme le dit Gandhi.
Une nouvelle histoire de l’univers : Au cours des quatre-vingt dernières années environ, la majeure partie de la communauté scientifique s’est progressivement ralliée à une même histoire de la création de l’univers et de tous les êtres vivants. Nous y retrouvons de nombreux aspects fondamentaux de ce que la plupart des populations indigènes pensent à propos de la Terre et de la création, et de la manière dont elles vivent depuis des milliers d’années, à savoir : nous sommes tous profondément interconnectés et interdépendants, que ce soit au niveau microscopique ou macroscopique.
Bien que les scientifiques mènent des recherches et travaillent sur cette histoire de l’univers depuis de nombreuse années, elle n’a commencé a trouver écho au près du grand public qu’au moment où les astronautes ont voyagé dans l’espace et en ont rapporté une magnifique première photo de la Terre.
La signification de cette évolution est importante. En effet, toutes les cultures ont leur propre histoire de la création et jamais, auparavant, nous n’avons disposé d’une histoire culturelle de toute l’humanité, d’une histoire unificatrice racontant notre place dans le cosmos et dans l’évolution de l’univers. C’est une histoire de toute l’humanité, pour toute l’humanité, qui est à la portée de tous et qui est disponible pour tous.
Le système immunitaire de la Terre s’est réveillé, comme le dit Thomas Berry. Ainsi, il semble que quelque chose se soit réveillé et que un peu partout sur notre planète les consciences changent. Une personne sur quatre aux Etats-Unis et en Europe, d’après les auteurs du livre Les créatifs culturels. Ce mouvement, cette houle, est extraordinaire car elle n’a pas de nom, pas de chef, pas de dogme, pas d’idéologie, pas de frontières, pas d’armées. C’est une intelligence collective qui cherche des solutions dans la force de la diversité. Le saviez-vous : Le Rwanda refuse désormais l’utilisation des sacs plastiques sous peine d’amande. L’Irlande a déclaré que ses terres ne verraient plus pousser aucun OGM. Des groupes de spécialistes de la publicité concentrent maintenant leur énergie à la conscientisation des valeurs environnementales aux Etats-Unis et ailleurs.
Et maintenant ? L’engagement passe par soi et sa communauté proche. Les croyances sont moins une imposition directe de la société que les boucliers empruntés à la société pour ne pas souffrir de la vérité sur la dégradation écologique, sociale et spirituelle de notre planète. Accepter de se reconnecter à cette souffrance c’est aussi se réveiller de ce rêve et libérer l’énergie de la défense pour trouver de nouvelles réponses à cette souffrance : c’est se rapproprier notre habilité à trouver des réponses qui soient écologiquement viables, spirituellement épanouissantes, et socialement équitables.