Un outil proposé par la Coopérative d’éducation populaire Le Pavé
Amenant les participants à une formation à plonger dans leurs histoires individuelles, l’outil Petite histoire - grande Histoire (PG-GH) offre un espace de réflexion où les histoires de vie permettent d’éclairer les pratiques d’émancipation, en reliant des histoires individuelles entre elles, et de faire émerger les histoires collectives.
Comment cela se passe-t-il ?
En synthèse, on demande aux participants de faire trois colonnes sur une feuille de papier et de dérouler toutes les années depuis leur date de naissance jusqu’aujourd’hui.
En face de chacune de ces années :
Ensuite, on remet tout cela en commun sur une grand fresque, ce qui produit des effets inter-générationnels et de compréhension des invariants dans les démarches des gens
1. Temps d’écriture individuelle
Le premier temps consiste en une écriture individuelle pour écrire un récit personnel, de formation et professionnel, depuis sa naissance jusqu’à présent (une heure environ) : à partir de votre année de naissance (notez sur une feuille les années, et sur deux colonnes « petite histoire » et « grande Histoire » à côté) : Qu’est ce qui vous a amené là ? Qu’est ce qui a été constitutif de vos valeurs, de votre conscience du monde, ou vous a construit comme adulte… ? En incluant bien sûr des événements positifs ou négatifs (un échec peut donner lieu à un tournant).
La « grande Histoire » peut être, au début, difficile à cerner. Par « grande Histoire » nous entendons tout ce qui peut avoir une dimension collective, il ne s’agit pas nécessairement de trouver des éléments politiques. La grande Histoire, ce peut être, un livre, un événement sportif, quelque chose qui nous a marqué à la télévision. A noter que la grande histoire n’est pas non plus nécessairement universelle, le collectif peut se situer à l’échelle de notre village !
2. Collecte
Suite à ce premier temps autobiographique, commence le travail de collecte d’éléments clefs du parcours de vie, de ce qui fait la personnalité de chacun, ses valeurs, les événements personnels de la petite histoire comme ceux de la grande Histoire… sur une grande fresque dans la salle de formation.
Pour faire cette collecte, de nombreuses consignes ont été essayées suivant le temps disponible ou les objectifs précis du stage. Il s’agit de savoir comment et combien d’éléments sont recueillis, combien de temps on laisse aux participants pour les raconter, s’il faut alterner l’exercice avec d’autres consignes pour éviter l’ennui... En tant qu’animateurs et formateurs ces questions devront se poser avant, même si une des postures d’animateur d’éducateur populaire que nous défendons consiste à privilégier ce qui est vécu sur ce qui est prévu....
Dans la « petite histoire et Grande histoire » que nous avons vécue, nous avions demandé aux participants de repérer cinq à sept éléments de la petite et de la grande histoire qu’il leur semblait important de raconter. Ensuite, on peut être souple sur ce qui est du ressort de la grande ou de la petite Histoire, il nous semble cependant important de conserver la contrainte de l’histoire collective pour que le récit de vie ne tienne pas dans un exercice autocentré.
Quelques remarques :
3. Exploitation
Le troisième temps est une consigne d’exploitation de la fresque : chacun prend un temps individuellement pour noter, analyser, ce qu’on lit dans cette fresque à partir de la question suivante : qu’est ce que vous lisez, repérez, dans cette fresque comme éléments déclencheurs ?
Une utilisation de cette consigne a donné lieu à l’écriture d’un spectacle conçu et joué par les participants.
1. La non-neutralité de l’éducation populaire est un postulat de base. Aucune éducation ne peut se prétendre neutre, toute éducation relève d’intentions même si elles sont plus ou moins conscientes. Cet outil peut permettre la prise de conscience que des choix ont été mus par des convictions ou un ancrage idéologique quand bien même les participants n’en avaient pas conscience jusqu’alors.
C’est un outil qui permet aux valeurs des uns et des autres d’être incarnées dans des actes. En effet, c’est moins les mots que les actes qui comptent. En proposant à des participants de se raconter plutôt que de raconter ce qu’ils pensent, ils peuvent dès lors dire ce qu’ils sont et ce qu’ils pensent en disant ce qu’ils font.
2. Le récit « contre » l’argumentation, c’est une posture d’éducation populaire. En effet, nous proposons souvent aux gens de dire ce qu’ils pensent sur un registre argumentatif, or nous savons que ce registre n’est pas partagé par tout le monde, qu’il est stigmatisant et potentiellement excluant.
Cette méthode permet aux gens d’exprimer des idées sans entrer dans un discours conceptuel. Ce constat est d’autant plus vrai que certains mots peuvent être porteurs de sens galvaudés ou péjoratifs quand bien même nous les défendons. Ainsi, poser la question du sens de ses actions a pu être rédhibitoire pour certains, alors que le récit qu’ils faisaient de leur vie exprimait clairement ce que d’autres auraient nommé comme étant politique.
3. Un rapport au savoir. L’éducation populaire passe par la confiance, critique, organisée, rigoureuse, dans les savoirs populaires, contrairement aux savoirs officiels, dominants, prédéterminés. D’ailleurs les fameux cercles de culture propres au mouvement ouvrier et à la pédagogie de Paulo Freire étaient basés sur la déhiérarchisation des savoirs et donc des pouvoirs : tout le monde sait et personne n’est dupe…
En proposant aux gens de parler de leur vie, on met les personnes sur un point de départ égalitaire. En effet, si en les interrogeant sur un autre sujet on peut induire des écarts du fait de l’inégalité de savoir, en demandant aux gens de parler de leur vie, ils sont dans une posture où tout le monde a quelque chose à dire. Par ailleurs, autant les opinions sont facilement critiquables, autant il est beaucoup plus dur de juger d’une quelconque « mesure » des vies et c’est tant mieux. Évidement cette remarque est nuancée par la durée de vie des personnes quand de grands écarts d’âges existent chez les participants à la consigne.