Prise de conscience progressive des pouvoirs publics et des entreprisesen matière de responsabilité sociale même si la confusion entre responsabilité sociale et responsabilité légale reste de mise, par Abderrahman Tlemçani
Les entreprises marocaines sont confrontées à un nouveau contexte pour le développement de ses activités. La mondialisation de l’économie pose un ordre marqué par un marché ouvert dans lequel la permanence et la compétitivité des entreprises passe par l’innovation technologique et organisationnelle comme facteur de différenciation face à d’autres économies caractérisées par des coûts inférieurs de la main d’œuvre. Dans ce cadre, les opportunités et les contraintes pour une intégration de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) au Maroc sont nombreuses.
Le code du travail, en vigueur depuis juin 2004, se caractérise par sa conformité avec les principes de bases fixés par la Constitution marocaine et avec les normes internationales telles que prévues dans les conventions des Nations unies et ses organisations spécialisées en relation avec le domaine du travail.
Cependant, le nouveau code du travail est incomplet et certaines catégories de travailleurs restent en dehors de toute protection juridique : les bonnes travaillant à domicile, les salariés de l’artisanat traditionnel. D’autres catégories de travailleurs continuent d’être régis par une législation autonome du code : les fonctionnaires et agents des administrations publiques, les employés des entreprises et établissements publics, les journalistes... En outre, le nouveau code du travail n’englobe pas la formation professionnelle, la sécurité sociale, la protection sanitaire ni les maladies professionnelles.
Dans le domaine syndical, la principale défaillance est que le nouveau code du travail n’intègre nullement les stipulations de la convention 135 de l’OIT concernant la protection des représentants des travailleurs et cela malgré l’engagement formel du gouvernement à ratifier cette convention.
Depuis la Conférence de Rio en 1993, le Maroc a renforcé son engagement en faveur du développement durable. Cela est dû à la rationalisation de l’utilisation des ressources naturelles et à l’aspiration à l’amélioration continue de la qualité de vie des citoyens.
Au Sommet de Johannesburg sur le développement durable, en septembre 2002, la participation du Maroc a marqué sla volonté de contribuer à l’intégration des normes environnementales dans la définition des objectifs de la croissance.
Le Maroc est signataire des conventions internationales sur la désertification, la protection des espèces menacées, les pollutions, la protection de la couche d’ozone, les pollutions maritimes.
Le respect des droits humains est une responsabilité incombant aux Etats, aux personnes physiques et à tous les organes de la société. Cette obligation est au cœur de la notion de responsabilité sociale incombant à toute organisation.
Elle implique la prévention des actes de violation ainsi que la promotion des droits de la personne sur les lieux de travail et ailleurs.
La Constitution du Maroc affirme dans son préambule son attachement aux droits de l’homme. Elle consacre l’égalité des droits politiques entre l’homme et la femme et garantit à tous les citoyens les libertés fondamentales.
Aussi, le Maroc est signataire des conventions des Nations unies relatives aux droits de l’homme : la Convention contre la torture et les traitements cruels (juin 1993) ; le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (mai 1979) ; la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination contre les femmes (juin 1993) ; Le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (mai 1979) ; la Convention sur les droits de l’enfant (janvier 1993).
La notion de responsabilité sociale a pour traduction concrète l’engagement tangible en faveur du développement économique et social et de la protection environnementale du territoire ; la réduction des inégalités, la formation, la mise en accessibilité des produits et des services et la contribution aux causes d’intérêt général.
L’Initiative nationale pour le développement humain (INDH) initiée par le Roi Mohammed VI en mai 2005 a pour objectif de lutter contre la pauvreté dans le cadre d’un programme pluriannuel associant l’ensemble des parties prenantes sociétales et avec un financement spécifique additionnel aux dépenses sociales budgétaires, à hauteur de 10 milliards de dirhams pour les cinq prochaines années. L’INDH constitue un puissant vecteur d’incitation à l’intégration d’objectifs sociaux élargis dans les décisions d’investissements. C’est une occasion pour que les divers participants reconsidèrent leur entrée à établir la société et l’Etat marocains.
Les conventions internationales que le Maroc a ratifiées l’ont engagé à analyser ses investissements selon leur impact sur le milieu naturel ; les ressources humaines et de droits de l’homme comme l’égalité hommes-femmes, la négociation collective, le respect de l’âge minimal d’accès à l’emploi, l’interdiction du travail forcé.
Le Maroc est signataire de conventions même au-delà avec par exemple la Convention sur la gouvernance d’entreprise et la lutte contre la corruption. Le Maroc a amélioré sa position en la matière, de la position 45 en 1999 à 37 en 2000, puis 70 en 2003 et 77 en 2004. En 2005, il occupe la position 78.
La démarche marocaine s’inscrit dans une conception positive de la responsabilité sociale. L’objectif est de promouvoir l’investissement social responsable pour en faire un avantage compétitif pour les entreprises engagées en faveur de la responsabilité sociale.
Le Maroc veut prendre en compte une approche qualitative de l’investissement, en privilégiant des objectifs qui permettent de maximiser l’impact de l’investissement sur le développement national. Cette approche peut servir l’intérêt des entreprises en :
les protégeant des risques en matière d’image de marque ;
favorisant la qualification de la main d’œuvre locale pour rendre possible l’implantation d’activités de plus en plus sophistiquées ;
favorisant l’adoption des normes internationales exigées par les marchés Nord-américain ou Européen.
Les agences de rating ou de notation notent le niveau de responsabilité qui est considéré comme un gage de confiance sur les marchés financiers. Qui dit confiance, dit réputation et transparence, des éléments qui servent à attirer les investisseurs. Le Maroc ne peut pas raisonner à frontières fermées et cette problématique s’impose à lui au moment où son développement économique est tourné vers les marchés extérieurs. L’investissement social responsable représente une opportunité pour le Maroc qui, grâce à une prise de conscience, pourra améliorer son taux d’attractivité et attirer les investisseurs étrangers.
L’investissement social est devenu une exigence pour l’exportation et l’appropriation des bonnes pratiques est devenue indispensable. Le Maroc a fait le choix d’une convergence avec l’Union européenne, ce qui implique une convergence en termes de normes de responsabilité sociale. Ces nouveaux choix s’interprètent différemment selon les entreprises qui s’ouvrent à l’international et ce, en termes de reporting, de résultats et d’indicateurs concrets.
Dans le contexte marocain, le premier étage de la responsabilité sociale est d’être en phase avec les lois sociales, fiscales et environnementales. Les petites et moyennes entreprises marocaines ne respectent pas toujours le minimum légal et, pour de nombreuses entreprises, la question ne se pose pas.
De même, beaucoup d’entreprises ne déclarent pas la totalité de leurs effectifs. Avant de passer à l’étape de la responsabilité sociale, c’est là où l’effort devrait se focaliser : respecter le salaire minimal, payer les impôts et les assurances sociales. A l’entreprise, il est demandé de s’engager à assurer la formation de son personnel, de diffuser de bonnes pratiques auprès de ses fournisseurs et clients.
Parmi les fonds d’investissement socialement responsable, Abdesselam Aboudrar, directeur général adjoint de la Caisse de dépôt et de gestion, cite le "chapeau Générosité" et le "chapeau Solidarité", les deux premiers fonds de communauté au Maroc lancés par Wafabank. Les bénéfices produits par leur investissement seront consacrés au développement social, l’environnement, la culture et la santé. Les fonds sociaux de solidarité sont projetés, ayant l’intention d’impliquer des ONG comme bénéficiaires des résultats des investissements qui leur seront assignés. Mais aucune information officielle n’est pourtant disponible.
Mis en œuvre par l’Organisation internationale du travail, le projet Développement durable grâce au Pacte mondial est géré au Maroc par un point focal dont je fais partie, encourage la responsabilité sociale des entreprises au Maroc sur la base de trois instruments internationaux : le Pacte mondial des Nations unies, la Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale de l’OIT et les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales. L’objectif est d’encourager la contribution des entreprises marocaines au renforcement du développement durable. Le lancement officiel du Pacte mondial a eu lieu le 21 avril 2006 à Casablanca.
Le projet s’adresse particulièrement aux petites et moyennes entreprises (PME) et opère en Italie, en Tunisie, au Maroc et en Albanie. Ces entreprises désirent appliquer et promouvoir les principes universels de la responsabilité sociale des entreprises énoncés dans les trois instruments.
Le projet fonctionne comme une plateforme d’échange d’information et de partage des meilleures pratiques entre tous les participants au Maroc et dans les autres pays où il opère.
Parmi ses objectifs, faire partager les bonnes pratiques grâce au partage d’informations et d’expériences entre les entreprises qui opèrent au Maroc et celles des autres pays où le projet opère. en vue de contribuer à un processus d’apprentissage réciproque en matière de responsabilité sociale de l’entreprise. Et faire connaître le Pacte mondial, les principes directeurs de l’OCDE en tant qu’instruments essentiels sur la responsabilité sociale des entreprises.
Il fait également appel aux autres acteurs engagés dans les thèmes de la responsabilité sociale des entreprises (organisations syndicales, universités, organisations de la société civile).
Une enquête sur la responsabilité sociale des entreprises au Maroc a été menée sous la responsabilité de Rachid Filali Meknassi, coordonnateur national du projet, et qui porte sur un échantillon de 100 entreprises dont 70 % des PME.
Selon des résultats préliminaires, il ressort que « les entreprises particulièrement visées par la RSE sont le commerce (56 %), les services (23 %), les industries (20 %), et les BTP (1%). D’après l’importance des PME et des entreprises publiques pour l’extension de la RSE, il ressort que les PME dominent (grandes : 483), (moyennes : 215), (publiques : 483) ».
L’enquête mentionne une prise de conscience progressive des pouvoirs publics et des entreprises. Cependant, les résultats révèlent une très faible connaissance en général sur la RSE et sur le Pacte mondial, ainsi qu’une confusion entre responsabilité sociale et responsabilité légale.
Les activités que le projet réalise au Maroc ont été identifiées en tant que moyens les plus adéquats pour accomplir les objectifs qu’il poursuit.
Pour augmenter la compréhension du Pacte mondial, la Déclaration sur les multinationales du BIT et les Principes directeurs de l’OCDE, le projet mène une vaste campagne d’information.
Pour promouvoir l’adoption par les entreprises de bonnes pratiques dans l’application des trois instruments précités, le projet organise des séminaires de formation sur les principes des trois instruments, en tenant compte des besoins spécifiques des entreprises ; fournit aux entreprises une assistance sur l’intégration des principes de la RSE dans leurs stratégies et activités quotidiennes ainsi que sur les procédures d’adhésion au Pacte mondial ;
et facilite l’instauration au Maroc d’un réseau composé d’entreprises, d’organisations syndicales,et agences des Nations Unies, afin de faciliter les échanges parmi les participants et de promouvoir la participation d’autres entreprises.
La mise en œuvre du projet au Maroc, comme dans les autres pays, se fait avec la collaboration des ministères concernés par la RSE et des principales organisations patronales et syndicales du Maroc.
En conclusion, les principales priorités de la RSE, selon les entreprises marocaines, concernent en premier lieu la promotion de la bonne gouvernance, l’éradication de la corruption et le respect de la législation,suivis par l’amélioration de la fonction des ressources humaines et la responsabilité fiscale. Quant au respect de l’environnement, les aides sociales et le besoin de reporting et communication, ils sont placés dans less trois dernières positions. L’entreprise marocaine est encore dans une phase de cohérence avec son environnement interne, en privilégiant une RSE interne, concrétisée par de bons rapports avec les principales parties prenantes : l’Etat et le personnel. L’environnement et les parties prenantes externes viennent en deuxième lieu. On ne peut pas acquérir la légitimité externe sans pouvoir l’acquérir sur le plan interne.
Abderrahman Tlemçani est doctorant en économie des organisations et chercheur au sein du Laboratoire d’économie des institutions et du développement.