Codes de conduite, labels,
normes de management,
rapports...,par Guillaume Van Parys
La responsabilité sociétale des entreprises (RSE) se décline au quotidien en une série de pratiques très diverses. La RSE étant un processus volontaire à la base, les initiatives croissantes des entreprises ont donné lieu, dans les faits, à une multiplication des outils mis en œuvre. Les entreprises recourent notamment à des codes de conduite, des chartes, des déclarations ou encore des labels pour attester de leur responsabilité sociétale.
Les parties prenantes et les consommateurs ont exigé de plus en plus des entreprises qu’elles prouvent leurs engagements dans la RSE. A partir du moment où une entreprise affiche publiquement ses intentions de s’inscrire dans une démarche responsable, il est en somme tout à fait légitime d’exiger d’elle les preuves de sa bonne foi. La seule transparence ne suffit pas toujours. C’est ainsi que la demande pour les contrôles externes et indépendants ne cesse de croître, surtout dans les secteurs plus récents du social et de l’environnement. Un véritable marché privé du contrôle s’est développé depuis peu en Europe, sous l’influence de la situation nord-américaine.
Les entreprises ont à leur disposition une série d’instruments non contraignants pour mettre en œuvre une approche RSE. Ceux-ci ne sont pas toujours adaptés à toutes les entreprises. Elles devront réaliser une bonne analyse des coûts et des bénéfices avant de choisir le ou les types d’instruments RSE. La taille de l’entreprise est également fonction de ce choix. Dans la présente contribution, nous analysons cinq outils fréquemment utilisés aujourd’hui par les entreprises responsables au niveau sociétal : les codes de conduite, les labels, les normes de management, le reporting et les investissements et placements RSE.
Le domaine de l’évaluation des pratiques RSE est en permanente évolution et souffre encore de déficiences. « Dans l’ensemble, la plupart des dispositifs mis en ouvre souffrent encore de profondes insuffisances méthodologiques, voire conceptuelles » [1]. Tel est du moins le constat de Michel Capron, de l’université de Paris-8. A cet égard, nous nous essayerons à tracer les enjeux de ce nouveau « marché » émergent.
Les codes de conduite sont les outils les plus connus de la RSE. Les entreprises sont de plus en plus nombreuses à en adopter. Ils sont généralement compris comme une déclaration formelle volontaire relative aux valeurs et aux pratiques commerciales qu’une entreprise entend respecter.
La RSE est essentiellement une affaire de communication. « En effet, pour une entreprise l’éthique n’a pas d’autres objectifs que de donner d’elle une image positive aux parties prenantes » [2]. Les codes de conduite, tout comme les labels, témoignent de cette volonté d’afficher certaines valeurs.
Ces codes sont généralement accompagnés de mesures d’évaluation, destinées théoriquement à renforcer la crédibilité de l’engagement et portant sur l’adéquation entre les déclarations d’intention et leur application. Parmi la grande diversité des méthodes de contrôle des codes de conduite, les entreprises recourent le plus souvent à des audits, effectués soit par une équipe interne, soit par un cabinet d’audit spécialisé. « Les contrôles internes sont très critiqués car ils manquent de transparence et d’objectivité. L’audit externe a l’avantage de fournir, a priori, une garantie d’impartialité » [3]. Le travail des auditeurs est cependant assez difficile, notamment en ce qui concerne la vérification des conditions de travail dans les pays en développement.
Le contenu des codes de conduite varie fortement d’une entreprise à l’autre allant d’une déclaration très élaborée à une déclaration très succincte. Mais généralement, et surtout pour les entreprises multinationales, on considère que le code doit se baser au minimum sur les directives de l’OCDE et sur les normes des Nations unies concernant les entreprises. Pour les ONG et les syndicats, les huit normes fondamentales de l’Organisation Internationale du Travail sont encore plus importantes [4].
Citons quelques exemples. « Dans le secteur bancaire, onze grandes banques mondiales ont présenté en octobre 2000 un code de conduite commun, intitulé Principes de Wolfsberg, pour tenter de prévenir le blanchiment d’argent » [5] Ce code a été réalisé en collaboration avec l’ONG Transparency International, la plus célèbre dans le domaine de la lutte contre la corruption. Les coopérations de ce type entre les entreprises et les ONG sont nombreuses. Ainsi, en 2003, Amnesty International a accepté de collaborer avec l’entreprise de distribution Casino, pour la réalisation d’une charte éthique respectant les normes internationales du travail [6]. La FIDH a travaillé également avec le secteur de la distribution (groupe Carrefour) [7].
Autre type d’instrument, les labels sociaux et environnementaux sont des moyens de communiquer des informations sur les conditions sociales et environnementales qui entourent la fabrication d’un produit ou la prestation d’un service, à destination des consommateurs ou des utilisateurs [8]. « Par le biais de la labellisation, les entreprises tentent d’influencer le comportement des consommateurs en matière d’achat » [9].
Les labels sont proposés par des ONG, des syndicats ou des pouvoirs publics, désireux de conscientiser une partie des consommateurs sur l’impact que peuvent avoir leurs achats sur les normes fondamentales. Mais généralement, les labels constituent une réponse aux attentes du consommateur en ce qui concerne le produit, définies par des études de consommation. Les labels sont de plus en plus nombreux dans tous les domaines. Face à cette prolifération et face à l’absence de contrôle externe pour certains labels, les risques de confusion et de perte de confiance des consommateurs sont importants.
D’où la nécessité d’un contrôle externe performant, effectué par un tiers, qui permette de rendre les labels crédibles et de qualité. Le label belge visant à promouvoir une production socialement responsable (appelé également le label social belge) et l’écolabel européen sont des exemples de labels de ce type. « Pratiquement, la portée juridique [d’un label] est du ressort du droit commercial et son non respect s’apparente à de la publicité menson-
gère » [10]
L’application des normes de management est un autre instrument important en matière de responsabilité sociétale. « Il s’agit d’un ensemble de procédures, de pratiques et de dispositions détaillées appliquées par des entreprises en vue de gérer de manière efficace et efficiente différents aspects de l’activité entrepreneuriale » [11].
Ces normes sont produites par des organisations internationales ou régionales telles que l’Organisation internationale de normalisation (ISO), le Comité européen de Normalisation (CEN), la European Foundation for Quality Management (EFQM) et le Social Accountability International (SAI).
Il existe des normes de management sur de nombreuses thématiques. En matière sociale, on trouve essentiellement la norme SA 8000 proposée par la SAI. Cette norme « garantit l’origine éthique de la production de biens ou de services, notamment l’absence de travail forcé, l’absence de travail des enfants, la non-discrimination, les horaires, le droit d’association et de négociation collective, les rémunérations, les problématiques de santé et de sécurité, la communication » [12]. Randstad, l’entreprise belge du travail intérimaire, a été la première en Belgique à accéder à la certification SA8000.
« Les organismes accrédités pour délivrer la certification SA 8000 sont des bureaux de vérification et non des cabinets d’audit » [13]. La compétence et la manière dont les bureaux de vérification réalisent leur mission d’audit sont parfois fort critiquées, ce qui affaiblit d’autant la démarche. En effet, les auditeurs travaillant pour les organismes accrédités sont souvent des auditeurs comptables à la base, et ne sont partant pas toujours qualifiés pour évaluer toutes les arcanes des questions sociales, par nature plus qualitatives que quantitatives.
Par ailleurs, les conditions dans lesquelles s’effectuent les missions d’audit laissent bien souvent à désirer. Les problèmes de langue, de compréhension du contexte local, sont d’autant plus importants dans les pays en développement, rendant le travail difficile et peu crédible. « Les problèmes rencontrés à travers les audits de certification sociale se retrouvent en grande partie avec les projets relatifs à la labellisation sociale et expliquent les difficultés de passer des idées à leur réalisation » [14]. En somme, pour Michel Capron, « les méthodologies d’audit restent encore trop sommaires, les référentiels ne sont pas encore stabilisés et la qualification des auditeurs doit être encore très fortement améliorée » [15].
Les normes de management doivent permettre aux entreprises de se comparer entre elles. Toutefois, de par la grande diversité des outils proposés, cette comparaison est parfois rendue très difficile. De plus, la plupart des normes ne portent que sur un seul aspect de la responsabilité sociétale des entreprises (l’environnement, le social ou le financier). Les entreprises se focalisent parfois seulement sur la dimension qui intéresse leur secteur, au détriment d’une approche globale plus pertinente.
Il existe cependant des normes qui intègrent de manière globale les différentes dimensions de la RSE, en intégrant l’ensemble des normes existantes en matières sociale et environnementale. La norme AA1000 est une norme de ce type. Elle fournit à l’entreprise un cadre de gestion managériale harmonisant de manière progressive les aspects financiers, sociaux et environnementaux, tout en incluant les parties prenantes dès le début du processus.
Cette norme a l’avantage d’aller au-delà de la recherche d’une image de marque pour l’entreprise, voire d’un label ou d’une certification. « C’est un outil nouveau de management. La plupart des autres dispositifs visent à augmenter le capital réputation de l’entreprise sans remettre en cause les modes de gestion » [16].
Visant la transparence, le « reporting » (ou rapportage en français) consiste, pour une entreprise, à publier des rapports précisant les activités, les performances et les objectifs en matière de RSE. « La mise en œuvre des processus RSE n’a de sens pour l’entreprise que si elle en communique les résultats et les améliorations à ses parties prenantes et si elle peut se comparer à ses pairs » [17]. C’est ainsi que les entreprises se sont mises à réaliser des rapports et des bilans.
Plus aucune entreprise n’ignore le rapportage financier (encore moins depuis l’affaire Enron !). Tandis que le rapportage environnemental est lui aussi de mieux en mieux implanté dans le monde des entreprises, le rapportage social est moins bien répandu.
Les rapports et bilans sont de qualités diverses et ne se déclinent pas toujours de la même manière. Pour remédier à ce problème et pour permettre une bonne comparaison intra et inter sectorielle, certaines ONG ont proposé des modèles harmonisés. Le plus connu d’entre eux est le « Global Reporting Initiative » (GRI). Il se base sur une approche intégrée du rapportage financier, social et environnemental, aussi appelé triple bottom-line reporting, ou « rapportage de durabilité » ou encore « rapportage RSE ».
L’initiative GRI « est considérée comme une des expériences les plus avancées dans le domaine », mais il reste lourd à mettre en œuvre. Les lignes directrices de l’initiative GRI visent à promouvoir la comparabilité, tout en tenant compte des spécificités, sectorielles notamment.
Grâce à la pression des consommateurs et de la société civile, et dans un contexte de contestation de la mondialisation économique, les investisseurs sont de plus en plus nombreux à exiger des garanties en termes de développement durable dans l’usage de leur argent (placement et épargne). Les banques traditionnelles offrent à présent presque toutes une série de placements éthiques.
L’Investissement Sociétalement Responsable (ISR) doit être considéré comme un outil important des politiques de responsabilité sociétale des entreprises. Les fonds de pension témoignent de l’intérêt pour ce marché « en raison des grands montants concernés et de leur nature publique et privée (avec les syndicats en tant que co-gestionnaire) » [18].
On comprend généralement l’ISR comme un « processus qui allie des aspects financiers traditionnels à des critères sociaux, éthiques et environnementaux en les intégrant de façon structurelle, volontaire et transparente dans la gestion des investissements (épargne et placements) et lors de l’utilisation et des droits qui y sont liés. La concertation avec les parties prenantes fait également partie de ce processus » [19].
Cette liste d’outils n’est bien évidemment pas exhaustive mais donne une idée du genre d’initiatives qui peuvent être utilisées en matière de responsabilité sociétale des entreprises [20]. Il en existe donc de nombreux autres, comme la notation sociale et sociétale des entreprises. Chaque acteur doit déterminer lui-même quel outil est, en fin de compte, le plus approprié à sa taille et à sa nature. Les instruments RSE sont parfois coûteux et par conséquent inaccessibles pour les PME, qui représentent, malgré tout, la majorité des entreprises. Pour celles-ci, pratiquer la RSE crée des attentes qui peuvent s’avérer financièrement difficiles à satisfaire.
La RSE est un domaine encore « jeune » qui pose encore beaucoup de questions mais qui témoigne de l’intérêt croissant des entreprises pour le développement durable. Cependant, nombre d’entre elles se contentent encore, dans les faits, de stratégies plus symboliques que substantielles, ce qui ne peut qu’appeler à renforcer l’évaluation des outils mis en œuvre. Une tâche à relever autant par le secteur privé que par les pouvoirs publics.
[1] Michel Capron, Pourquoi et comment évaluer le comportement des entreprises en matière de développement durable ?, in Najim et al. (dir.), Les entreprises face aux enjeux du développement durable, Eléments d’un débat, Ed. Karthala, Coll. économie et développement, Paris, 2003, p.111.
[2] Anne Peeters, La responsabilité sociale des entreprises, in Courrier hebdomadaire du Crisp, n°1828, Bruxelles, 2004, p.34.
[3] Michel Capron, op.cit., p.120.
[4] Brugvin, T., L’action des codes de conduites et des labels sociaux sur la régulation du travail dans les PED, in NAJIM, A. et al. (dir.), op.cit., p135.
[5] Michel Capron, op.cit., p.118.
[6] Rollot, C., Une norme sociale pour les multinationales ? Quand une enseigne rencontre une ONG..., in Le Monde du 15 mai 2005.
[7] Le cas d’une coopération ONG-entreprise : la FIDH et Carrefour, in Gresea Echos, n°30, Bruxelles, juin-juillet 2001.
[8] Librement, d’après : Brugvin, T., op.cit., p.135.
[9] CIDD, Cadre de référence de la responsabilité sociétale des entreprises en Belgique, Bruxelles, le 28 septembre 2005, p.21.
[10] Anne Peeters, op.cit., p.34.
[11] Groupe ONE, Guide de l’entreprise responsable, Tome 1, Douze fiches didactiques pour appliquer le développement durable en entreprise, Ed. Labor, Bruxelles, 2003, p. 18.
[12] Michel Capron, op.cit., p.121.
[13] Ibidem, p.123.
[14] Ibidem, p.131.
[15] Ibidem, p.130.
[16] Anne Peeters, op.cit., p.36.
[17] CIDD, op.cit., p.22.
[18] CIDD, op.cit., p.22
[19] Idem.
[20] Un lien intéressant (pour n’en donner qu’un) permet d’en savoir plus : www.orse.org.