Le tourisme sexuel est en perpétuel mouvement

Mise en ligne: 17 juillet 2012

Le tsunami qui a dévasté le Sud de l’Asie en 2004 a-t-il mis en évidence le tourisme sexuel ou, au contraire, l’a-t-il rendu moins visible ?, propos de Danielle Van Kerckhoven recueillis par Antonio de la Fuente

  • Danielle Van Kerckhoven, vous êtes
    la coordinatrice d’Ecpat [1] en Belgique.
    Le tsunami qui a dévasté le Sud de
    l’Asie fin décembre 2004 et l’attention
    que les médias et l’opinion publique
    européenne ont accordé à l’activité touristique dans la région, ont-ils
    permis de mettre en évidence le phénomène du tourisme sexuel ou, au
    contraire, l’ont-ils rendu moins visible ?
  • Il a très peu été fait mention par les
    médias que certains endroits touchés par le
    tsunami étaient aussi connus pour le tourisme
    sexuel. Cependant, le large public,
    parmi lequel Ecpat a déjà eu l’occasion de
    diffuser des informations dans le cadre
    d’une campagne de sensibilisation, se pose
    des questions.
  • L’émotion soulevée par le tsunami
    a-t-elle atteint aussi les enfants victimes
    du tourisme sexuel ?
  • Il y a eu un énorme élan compassionnel
    pour toutes les victimes, à cause du nombre
    élevé de victimes sans doute, mais également
    je pense parce qu’il y avait de nombreux
    Occidentaux parmi celles-ci.
  • L’aide internationale afflue-t-elle
    aussi pour les associations qui travaillent
    sur place avec les victimes de
    la prostitution en lien avec le tourisme
     ?
  • A ma connaissance, l’aide internationale
    concerne surtout l’urgence et les associations
    qui traditionnellement travaillent
    dans ce créneau. Les groupes locaux d’Ecpat
    touchés par le tsunami, au Sri Lanka et en
    Indonésie, ont évidemment participé activement
    à l’accueil d’urgence des enfants orphelins
    ou séparés de leur famille - pas seulement
    les victimes du tourisme sexuel -, et
    relayé des revendications, déjà évoquées à
    maintes reprises, communes à Ecpat et
    Unicef en ce qui concerne la protection des
    enfants et pas seulement dans des situations
    d’urgence. A savoir : l’enregistrement
    des enfants séparés de leur famille dans la
    catastrophe, pour permettre la recherche de
    parents, amis, communautés ; organiser des
    endroits sécurisés pour les enfants dans les
    camps de réfugiés ; et les protéger contre
    toute tentative de personnes mal intentionnées et autres marchands d’êtres humains.
  • L’activité touristique, d’après des
    données publiées par l’Organisation
    mondiale de tourisme, a fortement
    augmenté ces dernières années et notamment
    en 2004. Est-ce aussi le cas
    pour le tourisme sexuel ?
  • Le tourisme sexuel est en perpétuel mouvement,
    c’est-à-dire qu’il se déplace rapidement
    vers d’autres endroits, diminue parfois
    à partir du moment o un Etat renforce
    ses outils législatifs ou si la pression associative
    commence à porter ses fruits. Ceci
    dit, si le tourisme augmente, la possibilité
    reste que la demande et l’offre augmentent.
    De plus, le manque de volonté politique ou
    de possibilités de rassembler des statistiques
    fiables à ce sujet rend difficile le travail
    d’appréciation de l’augmentation ou de la
    diminution. Ne reste que le nombre d’enfants
    qui arrivent dans les centres d’accueil
    ou de prise en charge, qui dépend en partie
    de la possibilité qu’ont ces centres d’agir,
    mais aussi du nombre de victimes évidemment.
  • Quelle est, à votre avis, la réceptivité
    de l’opinion publique européenne sur
    la question du tourisme sexuel ?
  • Elle augmente petit à petit. Les premières
    campagnes ont amené des réactions diverses.
    Le public était un peu réticent, le sujet
    est sensible : « Nous ne sommes pas des
    touristes sexuels, sommes-nous visés ?... ».
    Mais, de plus en plus, l’information est acceptée et la volonté de poser un geste, de
    marquer son opposition à l’exploitation
    sexuelle des enfants, se manifeste. Quelques
    exemples : le bon accueil des informations
    glissées dans les documents de voyage, certains
    dépliants touristiques, des étiquettes
    de bagages de la campagne « Stop prostitution
    enfantine », un spot vidéo sur les longs
    courriers...
  • Quels obstacles rencontrent les campagnes
    de sensibilisation en la matière ?
  • La lutte contre l’exploitation sexuelle des
    enfants, le tourisme sexuel, le trafic et la
    pornographie enfantine, nécessite une coalition
    de différents acteurs dans bien des domaines,
    psycho-médico-social, juridique,
    policier, touristique... Et ce ne fut pas toujours
    évident de rassembler ces différents
    acteurs autour d’une campagne commune,
    pas par manque de volonté, mais par les implications
    que cela peut avoir. En effet, une
    campagne d’affichage ou de distribution de
    dépliants ne suffit pas. Ce genre de campagne
    n’a malheureusement pas beaucoup de
    sens si elle n’est que ponctuelle. Il faut aussi
    assurer après et dans la durée, avoir des relais
    dans ces différents secteurs. Cela veut
    dire des compétences et des coûts à envisager
     : formation de personnel à l’accueil et au
    traitement approprié des victimes, possibilités de suivis policiers et juridiques pour
    l’abuseur, formation et code de conduite
    pour les acteurs de l’entreprise touristique,
    pour le personnel des ambassades et de l’armée en mission à l’étranger, pour les coopérants... Et, comme vous le savez sans doute,
    les moyens accordés aux associations sont
    parfois limités.

[1Ecpat, acronyme d’End Child Prostitution, Child
Pornography and Trafficking of Children for Sexual
Purposes, Mettre fin à la prostitution, la pornographie
et le trafic d’enfants à des fins sexuelles.