Et l’éthique de l’évaluation ?

Mise en ligne: 16 décembre 2010

La participation et l’éthique de l’évaluation et du renforcement
des organisations, par Olga Nirenberg

L’évaluation des politiques, programmes et projets est à l’ordre du jour - du moins sur le plan du discours – de l’agenda des institutions gouvernementales et non gouvernementales qui se consacrent à l’action sociale. Que cela découle de l’influence des organismes multilatéraux et bilatéraux de financement, ou des comptes à rendre et de la transparence exigés dans ce milieu, il existe des processus de « professionnalisation » au sein des institutions de l’Etat et de celles de la société civile qui fournissent aux acteurs concernés des opportunités de formation à ce sujet.

Cependant, et ce malgré la prolifération des cours de troisième cycle ou de formation (de participation physique ou virtuelle) dans différents pays d’Amérique Latine, la diffusion d’expériences d’apprentissage basés sur la pratique d’évaluation est très rares. Plus rares encore sont les cas où les résultats de telles expériences sont utilisés pour de véritables transformations institutionnelles et sociales qui visent à réduire les brèches et les inégalités dans l’accès aux biens et aux services. Ces questions continuent à être un défi idéologique, pédagogique et opérationnel. Il semble qu’on ne soit pas encore parvenu à passer du transfert d’information et de connaissances techniques – dont l’accent porte sur les aspects cognitifs – à un apprentissage significatif qui reformule et questionne les cadres de référence personnels et institutionnels, qui revoit les présupposés et les paradigmes, de manière à permettre l’acquisition de compétences réflexives, analytiques et de coopération pour la gestion du développement. Par « gestion du développement », il faut entendre les politiques et programmes qui tentent – à partir de portes d’entrée diverses – de changer les conditions de pauvreté et d’inégalité qui affectent de vastes secteurs de la population d’Amérique Latine (Cardarelli).

Cet article cherche à contribuer par la réflexion dans le sens précité, à promouvoir une discussion autour de l’importance de la pratique de l’évaluation pour renforcer les organisations sociales communautaires qui travaillent pour le développement social. Ce texte peut également être utile aux programmes sociaux du gouvernement ainsi qu’au volet de responsabilité sociale des entreprises.

En cohérence avec cette intention de contribuer, cet article n’a pas la prétention d’élaborer une proposition théorique, mais bien d’apporter à la discussion certains sujets pertinents qui puissent orienter la réflexion autour de l’évaluation et du développement des organisations dont le travail porte sur le social.

Nous nous référerons tout d’abord au sens attribué à l’évaluation des interventions sociales. Nous analyserons ensuite de quelle manière l’évaluation, sous ses différentes formes – surtout dans les cas où elle s’intéresse à la participation des acteurs impliqués- favorise le renforcement des capacités au sein des organisations qui travaillent sur les politiques sociales. Nous ferons référence à certains aspects ou dimensions de la gestion sociale et en particulier aux organisations qui déploient de telles actions, dont l’évaluation est indispensable. Nous terminerons par mentionner quelques questions éthiques à prendre en compte tant pour la gestion sociale que pour son évaluation.

Le sens de l’évaluation

La définition de l’évaluation des interventions sociales sur laquelle nous nous appuierons, et qui, par extension, peut également être valable pour les organisations qui les conduisent, est celle-ci :

L’évaluation est une activité programmée de réflexion sur l’action. Une telle action, objet de l’évaluation, peut être : sous forme de proposition en vue d’une réalisation future, en cours de réalisation, ou déjà réalisée. L’évaluation se déroule à travers un processus systématique de collecte, d’analyse et d’interprétation d’information et à travers des comparaisons selon des paramètres prédéfinis. Sa finalité est d’émettre des jugements d’appréciation fondés et communicables sur les activités et les résultats (présumés ou concrétisés) des interventions sociales, afin de formuler des recommandations qui permettent une prise de décision visant à améliorer l’action. (Nirenberg).

Le fait d’être réalisée à travers un processus systématique relie l’évaluation à la recherche sociale, étant donné qu’elles utilisent toutes deux les mêmes méthodes et techniques pour assurer la rigueur nécessaire et octroyer de la fiabilité aux conclusions et recommandations évaluatives. La différence peu évidente entre recherche et évaluation porte sur leurs respectives fins : alors que la recherche met l’accent sur le développement et l’accumulation de connaissances, l’évaluation se préoccupe surtout de recommander des moyens d’actions efficaces pour la résolution de problèmes.

Ce n’est pas pour autant que l’évaluation ne sert pas également à l’accroissement du savoir à partir de la pratique. En effet, évaluer implique une transformation de l’information recueillie en nouvelle connaissance. Et vice-versa, la recherche (et surtout celle que l’on nomme « appliquée ») peut également s’occuper à résoudre des problèmes, comme dans le cas déjà bien connu de l’investigation-action, qui propose des solutions dans des contextes concrets, en combinant les deux intentions : celle de produire de la connaissance et celle de produire du changement au sein des contextes dans lesquels elle joue. Il s’agit d’une question d’accent et il convient de souligner surtout l’étroite parenté entre ces deux activités, au point que l’on en arrive à parler souvent de l’évaluation comme d’une recherche évaluative. Comme il a déjà été évoqué, la méthode et la rigueur dans chacune des étapes et des processus respectifs en sont l’important dénominateur commun.

C’est dans le sens de persévérer dans la rigueur méthodologique précitée, ainsi que dans la recherche d’une compréhension plus grande et plus profonde des réalités abordées, que l’on fait appel à la triangulation. Cette dernière se présente comme une manière de combiner différents aspects et perspectives disciplinaires, différents acteurs, diverses techniques et sources d’information. Il existe de multiples formes de triangulation dans les processus de recherche et d’évaluation. Nous pouvons mentionner celles qui se réalisent entre :

  • différentes théories reliées à l’objet d’évaluation,
  • différentes disciplines (reflétées au sein de la formation d’équipes multidisciplinaires),
  • différentes méthodes (quanti et qualitatifs),
  • différentes techniques (intra et inter méthodes),
  • différents indicateurs pour un même phénomène,
  • diverses localisations,
  • différents moments temporels,
  • différents paramètres de comparaison.

Le concept de triangulation provient de la géométrie euclidienne, du postulat qui affirme que, si l’on connaît trois mesures reliées d’un triangle, comme par exemple deux angles et la distance entre eux, il est possible de calculer les autres angles et les distances. C’est grâce à ce postulat que déjà en l’an 150 avant J-C la distance entre la Terre et la Lune a pu être calculée. La triangulation s’utilise depuis bien longtemps dans la navigation maritime et pour les stratégies militaires ; si un navire connaît deux points de référence et la distance entre eux, il peut connaître de forme assez précise la position d’un autre bateau ; de même, le feu croisé, provenant de différents points, est bien plus efficace pour détruire la position de l’ennemi. En sciences sociales, c’est un objectif similaire qui est escompté : améliorer l’exactitude ou la précision des jugements et augmenter la fiabilité des résultats à travers la récolte diversifiée de données sur un même phénomène, à partir de différentes perspectives, méthodes ou techniques (Nirenberg et al).

Dire que l’évaluation est une activité programmée signifie, d’une part, qu’elle requiert certaines ressources spécifiques : des personnes qualifiées, des moments et endroits spécifiques, des équipes adéquates, des entrées, de l’argent ; d’autre part, cela implique qu’il est nécessaire de prévoir avec anticipation les méthodologies et les techniques à appliquer, ainsi que les pas et les activités à mettre en œuvre à des fins évaluatives.

En tant que réflexion, l’évaluation implique une prise de distance avec l’action elle-même afin de la considérer comme un « objet » d’analyse. Ceci permet d’étudier ce qui se fait ou ce qui a déjà été réalisé, d’analyser les caractéristiques des méthodologies d’intervention déployées et de déterminer si l’orientation est effectivement adéquate par rapport à la direction souhaitée. Eclaircir les écueils et les facilités qui pourraient se présenter, de même que les buts atteints ou à atteindre, est également crucial dans cette démarche.

Lorsqu’on affirme que l’évaluation se base sur une procédure systématique, on se réfère principalement au présupposé que la méthodologie et les techniques pour la récolte et l’analyse des données sont pertinentes. Ces dernières devraient alimenter la réflexion et justifier par des arguments et des évidences les jugements d’appréciation émis concernant les activités, les résultats et les impacts des actions implémentées. Il est cependant important de souligner qu’un système d’information n’est pas identique à celui de l’évaluation : s’il constitue une instance relevante et nécessaire, il n’est pas suffisant ; Il arrive couramment que l’on confonde l’installation d’un système d’information (qui peut être appelé de multiples manières : observatoire, laboratoire, baromètre, tableau de contrôle, entre autres) avec l’évaluation. Bien que cette dernière se nourrisse de ces apports, il s’agit de quelque chose de différent, comme nous l’éclaircirons par la suite.

Le noyau central de toute évaluation consiste en émettre des jugements d’appréciation fondés à propos de l’action et de ses effets. Ceci implique la nécessité d’attribuer une valeur, de mesurer ou d’apprécier l’exécution des activités en accord avec ce qui a été programmé, si les résultats obtenus correspondent aux objectifs et buts proposés, ainsi que d’évaluer dans quelle mesure il y a eu amélioration de la situation des destinataires des actions, en tant que produit de l’intervention déployée.

Afin de pouvoir émettre de tels jugements d’appréciation, il est nécessaire de réaliser des comparaisons d’états ou des réussites avec d’autres « paramètres » ; ces dernières sont inéluctables aux évaluations, surtout en ce qui concerne les effets et les résultats. On peut mentionner différentes manières d’établir des comparaisons, par exemple en rapport à :

  • l’état de la situation de départ (par rapport à lui-même à travers le temps, ou bien « avant-après »),
  • aux objectifs ou buts que le programme ou projets s’est proposé d’atteindre,
  • aux normes ou standards à l’œuvre dans d’autres contextes (la moyenne nationale, les normes établies),
  • d’autres projets similaires (par exemple en un « cluster » ou une « famille » de projets),
  • ce qui a eu lieu en « groupes de contrôle ou témoins » (des populations qui ont des caractéristiques socioéconomiques et démographiques similaires, mais où l’intervention n’a pas eu lieu).

Nous répétons que le plus adéquat est de « trianguler » des paramètres de comparaison puisque, par exemple, les objectifs programmés ne sont pas toujours accomplis et cependant la situation peut avoir été améliorée depuis son point de départ grâce à l’intervention. C’est pourquoi il convient de comparer avec les objectifs et avec la situation de départ (on voit dès lors l’importance capitale d’établir la « ligne de base », ce qui malheureusement est trop peu réalisé).

D’un autre coté, les jugements d’appréciation doivent être communicables et compréhensibles pour les acteurs intéressés, afin qu’ils puissent s’approprier les recommandations émergentes qui permettent de modifier l’action. Ceci implique la nécessité de générer des dispositifs pour la « dévolution » des trouvailles à l’aide de modalités adéquates, moyennant l’usage d’un langage simple et de formats intelligibles dans le cas de rapports écrits. Mais il est également conseillé de combiner les matériaux imprimés avec des supports virtuels et multi-modaux et avec des événements réels (et dans ce derniers cas, les ateliers sont recommandés), de manière à faciliter une meilleure compréhension par les acteurs impliqués.

Dans le paragraphe précédent, nous avons mis entre guillemets le mot « dévolution », parce que ce terme a connu une certaine infortune dans le jargon de l’évaluation, bien que son usage se maintienne malgré les nombreuses digressions que beaucoup d’évaluateurs ont pointées en sa défaveur (y compris l’auteur de cet article). Il ne s’agit pas de rendre quelque chose qui aurait été prêté ou volé ; il ne s’agit pas non plus de « ramener quelque chose à son état antérieur » ; rien de plus éloigné, puisque l’évaluation, comme précédemment explicité, transforme l’information en nouvelle connaissance. Son objectif est, par conséquent, de diffuser ce savoir nouveau né de l’activité évaluative, de le socialiser et le soumettre à la critique des acteurs intéressés, pour qu’il puisse ouvrir la voie à de nouvelles discussions. L’évaluation entretient alors la spirale créatrice de connaissance, toujours interactive. Tout ce qui a été précédemment explicité se veut être englobé par le terme de « dévolution », synthèse qui paraît par ailleurs trompeuse si elle ne tient pas compte des éclaircissements précités.

A travers le processus d’évaluation, il est possible de reconnaître les réussites et les forces de l’action déroulée, ainsi que ses faiblesses et les obstacles rencontrés. Les recommandations pour l’action future qui émergent des évaluations suggèrent en général de s’appuyer sur les forces, en les employant comme une catapulte pour dépasser difficultés et obstacles. De telles recommandations devraient servir à tous ceux qui prennent des décisions, à tout niveau d’une organisation (aux autorités comme à ceux qui opèrent sur les scènes locales ou les territoires).

Les processus d’évaluation doivent finaliser alors leurs recommandations en les orientant de forme à ce qu’elles amènent des changements dans les conceptions ou dans les manières de penser ; ils doivent également viser une amélioration des comportements ou des pratiques des acteurs impliqués dans les organisations ou dans des scénarios spécifiques, autant dans les aspects formels que normatifs et structurels. Il est nécessaire de souligner qu’aucune recommandation ne devrait se faire sans qu’elle ne soit expressément fondée sur l’indication d’une faille, d’un problème ou d’une carence détecté soit dans la conception, soit dans le processus de gestion ; c’est-à-dire : l’évaluation se doit de détecter les problèmes, mais en même temps de recommander la manière de les résoudre. C’est ainsi qu’elle dépasse le rôle de simple juge pour adopter pleinement sa fonction la plus noble : celle de l’enseignement-apprentissage pour l’amélioration de l’action (Nirenberg).

Le moment des recommandations constitue une intersection relevante entre les processus d’évaluation et ceux de la planification-programmation ; c’est de la profondeur et de la pertinence des recommandations formulées que va dépendre l’utilité de l’évaluation et, par conséquent, la viabilité de son application postérieure dans las prise de décisions et dans la transformation des modalités de jeu dans l’action elle-même.

Bien sûr, en plus de ce qui a déjà été abordé, la viabilité de l’application postérieure des découvertes de l’évaluation et de ses recommandations de changements ou d’ajustements dépend de deux facteurs : d’une part, de l’implication principale des acteurs durant le processus d’évaluation lui-même et d’une « dévolution » complète et opportune des résultats (dans le sens précédemment explicité) de la part de ceux qui ont la responsabilité du processus évaluatif ; d’autre part, elle dépend significativement de la volonté politique des autorités institutionnelles à faire face à l’implémentation de ces recommandations et des changement qu’elles présupposent.

L’évaluation porte généralement son regard sur le passé et utilise les récits, oraux ou écrits, ainsi que des données qualitatives et quantitatives. C’est à travers l’interaction de l’évaluateur avec les autres (en face à face ou par l’intermédiaire de l’écriture) que ces récits sont rétroalimentés, se corrigent et s’enrichissent. La finalité de ce processus est de se rapprocher chaque fois un peu plus de la connaissance et de la compréhension de ce qui s’est passé, c’est-à-dire d’interpréter ce qui a eu lieu et comment cela a eu lieu. Cette démarche d’approche des faits à travers les récits n’a pas de fin et peut toujours se perfectionner et s’approfondir. L’évaluation permet de construire un récit nouveau, une explication possible ou une nouvelle interprétation de ce qui a eu lieu, afin de recommander des sentiers différents pour l’action future.

L’exception de l’évaluation portant sur le passé concerne les évaluations ex ante ou appelées également « de pertinence ». Ces dernières se basent surtout sur les documents de propositions pour analyser leur pertinence, faisabilité et viabilité future et sont réalisées pour approuver ou non (et spécialement pour financer ou non) l’exécution de programmes, projets ou interventions formulés. Les évaluations de processus et de résultats se tournent, elles, toujours vers ce qui est en train de se dérouler et vers ce qui a déjà eu lieu. Pour ce faire, elles empruntent des outils à d’autres disciplines comme l’histoire, qui a recours à l’analyse de documents et de registres, ou comme l’anthropologie et l’ethnographie, qui emploient des méthodes d’observation de terrains ou « naturalises » (par exemple de quartiers, de familles, d’institutions éducatives ou de santé, d’organisations communautaires, entre autres). Sans doute elles utilisent en plus des outils statistiques pour le point de vue quantitatif, toujours présent dans les évaluations.

Le processus d’évaluation devrait être continu et intégré à l’exécution des projets, à la différence de l’habitude encore trop présente de réaliser l’évaluation seulement en fin de projet ou après son déroulement. Il est conseillé pour cela que le plan de l’évaluation soit réalisé de manière compréhensible et simultanément à la formulation des interventions, ou alors durant la première partie de l’étape de l’exécution. De cette manière, les dimensions, les variables et les indicateurs qui l’intègrent seraient relativement constants, indépendamment des moments d’évaluation. Ils différeraient par contre sur ce qu’il est important d’accentuer, de détailler ou de focaliser en fonction de chaque étape, sans pour autant perdre de vue la tonalité du modèle planifié, qui donne le cadre conceptuel et méthodologique commun aux différentes tâches évaluatives et à tous ceux qui y interviennent (Nirenberg et al).

Il est nécessaire de clarifier que dans d’autres écrits, le concept de “parallélisme” (Nirenberg et al) est utilisé pour indiquer que l’évaluation devrait se faire en même temps que s’exécute un projet ; cependant, ici nous reconsidérons le terme de parallélisme, car son sens métaphorique pourrait indiquer que la programmation et l’exécution ne rencontreraient jamais l’évaluation (tout comme les droites parallèles ne se rencontrent jamais, sauf à la limite de l’infini), alors qu’il a été par ailleurs affirmé que l’évaluation et la programmation/exécution ont des intersections importantes (telles que le diagnostic, la systématisation et les recommandations pour l’action). C’est pour cette raison qu’il paraît plus adéquat de parler « d’intégration » pour indiquer que la programmation, l’exécution et l’évaluation constituent des fonctions ou des moments d’un tout intégré – la « gestion » –, difficilement séparables dans la réalité, sauf au moyen de distinctions conceptuelles.

Apprentissages organisationnels

On peut identifier différents types d’évaluation, d’un côté en considérant le moment particulier du cycle de gestion quand celle-ci se termine et d’un autre côte en fonction de ceux qui la réalisent. (Nirenberg). Il est possible pour chaque cas d’identifier les effets positifs liés aux apprentissages qui permettent d’améliorer les performances organisationnelles.

Les caractéristiques de l’évaluation et les différents points de vue varient selon les moments de la gestion durant laquelle cette dernière se réalise.

Au moment du diagnostic de cette situation initiale ou ligne de base ou détermination de nécessités s’incluent non seulement la spécification et l’abordage du problème principal que l’on cherchera à résoudre ou minimiser, mais également la définition du paramètre comparatif initial pour l’évaluation (particulièrement, mais non seulement pour l’évaluation ex-post). Au niveau des organisations responsables de l’intervention, l’apprentissage émergeant de ce moment évaluatif consiste en l’acquisition d’une meilleure connaissance sur le contexte d’intervention, d’une meilleure définition et abordage des problèmes principaux à résoudre et offre donc une meilleure possibilité d’efficacité dans l’action institutionnelle.

Dans l’évaluation ex-ante ou avec focalisation sur la représentation s’inclut l’analyse comparative d’alternatives pour l’action, la pertinence de la proposition pour l’intervention (format adéquat, cohérence interne, adéquation aux problèmes ou nécessités détectés et à l’état de l’art en la thématique, comme aux termes de la convocation spécifique, dans le cas de projets qui se présentent pour être financés) et une appréciation de la viabilité et faisabilité de la stratégie d’action proposée. L’important apprentissage qu’offre ce moment évaluatif se reflète dans de meilleures capacités institutionnelles pour la formulation ou représentation des propositions, plus adéquates aux contextes d’intervention et plus aptes à être approuvées par les instances correspondantes politiques et/ou financières.

Dans l’évaluation durant l’exécution, avec focalisation sur les processus s’incluent les activités de monitorat et d’études évaluatives spéciales qui se réalisent durant la période d’exécution. La focalisation se base sur la réalisation des activités planifiées, la réussite des objectifs intermédiaires et les buts programmés ; on analyse la direction des processus vers les principaux propos de l’action. Même si l’on considère également certains résultats obtenus avant de finir la période de gestion, on répète que l’on emphatise sur les procédés dans ce type d’évaluations. Dans les scénarios actuels de haute incertitude et de rapide vitesse de changement, il est fort probable qu’entre le moment de la formulation et de l’exécution, ainsi que pendant la réalisation de cette dernière, aient lieu des modifications importantes dans certaines conditions intrinsèques ou contextuelles des interventions. Cela peut impliquer l’ajout, la suppression ou la correction d’activités, temps et facteurs de production. De là vient l’importance dont revêtent les évaluations réalisées durant l’exécution, étant donné qu’elles permettent de prendre des décisions opportunes et fondées pour rediriger ou reprogrammer les actions, ainsi que pour réaliser des programmations opératives appropriées. De manière à ce que, dans ce moment évaluatif, l’apprentissage principal à niveau organisationnel offre la possibilité d’extraire de la propre pratique des enseignements à propos de la qualité des stratégies adoptées et de l’action déployée, ainsi que de sa validité pour arriver aux résultats prévus et pour éviter les obstacles que le contexte impose ; cet apprentissage permet d’introduire de façon opportune les changements requis en fonction d’une meilleure réussite des objectifs.

L’évaluation finale ou ex-post, avec focalisation dans les résultats, tel que son nom l’indique, se finit quand l’intervention est en train de se terminer ou est déjà terminée. On se focalise ici sur le fait d’apprécier les changements dans les situations que l’on prétendait changer, ce qui est attribuable à la propre intervention. Cela peut se faire en comparant la situation finale avec l’initiale, dans un même groupe (en appelant à la mémoire des acteurs et/ou à l’information existante sur la situation initiale, s’il y a une ligne de base) ou en comparant la situation du groupe de population sous considération à un autre groupe similaire dans presque toutes les caractéristiques, mais avec la seule différence qu’il ne s’agissait pas d’un « objet » de l’intervention. Il faudrait considérer des changements ou effets attribuables directement ou indirectement à l’intervention, ayant eu lieu chez les destinataires, leur famille, les organisations qui se sont investies de différentes formes pendant les processus, la société civile, les politiques publiques, la législation.

L’apprentissage organisationnel émergeant dans ce type d’évaluations est sans doute fondamental pour comprendre l’efficacité de l’action : dans quelle mesure les stratégies ou modalités d’intervention sont valables pour réussir les transformations que l’on désirait produire dans les contextes d’application ; ainsi, la distance entre ce qui est désiré et réussi impliquera des réflexions auprès des motifs proprement institutionnels qui pourraient expliquer ladite distance ; il s’agit bien évidemment plusieurs fois de facteurs du contexte politique extra-institutionnel qui expliquent mieux les hiatus ; la réflexion auprès de la lecture que l’organisation réalise des dits facteurs est cependant importante, tout comme les stratégies de dépassement qui ont été adoptées en conséquence.

Il est important d’expliquer le fait que l’évaluation d’impacts est un type particulier d’évaluation avec une focalisation sur les résultats. Ici, on comprend par « impacts d’une intervention sociale » des résultats spéciaux, entre autres temps et espaces différents de ceux de leur propre intervention : ces changements vérifiables dans des échéances plus grandes que celle des effets programmés, répercussions plus amples, dans d’autres thématiques , dans d’autres populations au-delà des destinataires directs des actions, dans d’autres territoires, d’autres organisations, d’autres programmes, dans les politiques publiques, dans les moyens de communication, dans les agendas des acteurs de la société civile.

On a tendance à confondre l’évaluation de l’impact avec celle des effets ou résultats identifiables après la finalisation de la période de gestion ; cette dernière est celle qui est le plus fréquemment menée à terme ; les vraies évaluations de l’impact sont rares, qui de par leur genre requièrent des études plus coûteuses et des méthodologies plus complexes telles que la continuation de cohortes ou des suivis de populations dans le cadre d’études longitudinales, au large de périodes temporelles suffisamment prolongées et sont davantage réalisables dans des « populations chétives » telles que les scolaires au large des cycles, des établissements ou les populations qui vivent dans des situations de réclusion pleine ou partielle (carcérales, sanitaires, militaires). Cependant, les organisations qui développent des interventions orientées vers le développement social peuvent être d’un grand apport pour leur propre renforcement institutionnel à partir des évaluations d’impact, par exemple en termes d’appréciation de leur influence dans les politiques des gouvernements locaux ou d’Etat ou en mise en évidence de certains thèmes de préoccupation dans les agendas sociaux et dans les moyens de communication.

En fonction des évaluateurs

Il est important de distinguer également les types d’évaluation en fonction de ceux qui interviennent dans les processus évaluatifs, avec des responsabilités précises.

  • Evaluation externe : elle est réalisée par des évaluateurs qui n’appartiennent pas à l’organisation exécutrice de l’intervention qui s’évalue, en ayant recours généralement à des investigateurs ou consulteurs indépendants, départements universitaires.
  • Evaluation interne : elle est réalisée par des personnes ou groupes appartenant à l’institution gérant le projet, même s’ils ne sont pas impliqués dans l’exécution du projet (soutenus ou non par un facilitateur).
  • Evaluation mixte : combine - triangule - différents types d’évaluation, réalisées dans différents moments du processus de gestion.
  • Evaluation participative : étant donné que l’implication des agents qui sont intervenus dans le projet ne considère pas nécessairement tout le spectre et, en particulier, peut ne pas inclure les destinataires, s’ajoute à cette dernière un autre type d’évaluation (même si cela ne cesse d’être une modalité de l’auto-évaluation), où l’on inclut les destinataires dans les autres acteurs.

On remarque que la différentiation entre évaluation interne et auto-évaluation prend du sens en fonction de la taille et de la complexité des organisations responsables de l’exécution du projet, la première se donne dans le cadre d’organisations de taille considérable, relativement complexes, dans lesquelles peut exister une personne/équipe/unité spécifique d’évaluation, presque externe, c’est-à-dire en dehors de l’aire d’exécution du projet. Dans les organisations plus petites, avec des structures indifférenciées, l’évaluation interne serait équivalente à l’autoévaluation. C’est pourquoi, dans le cas des autoévaluations et/ou des évaluations internes, il est conseillé d’inclure un facilitateur ayant de l’expérience dans l’évaluation qui stimule et soutienne les protagonistes de la gestion dans les tâches évaluatives, pour que ces dernières soient plus efficaces dans la contribution à l’apprentissage et l’amélioration de la gestion, étant donné que ceux qui s’occupent des interventions sociales ne possèdent pas nécessairement de connaissances suffisantes à propos des techniques et outils évaluatifs ; dans de tels cas, on se devra de renforcer les précautions pour que les propres acteurs impliqués dans la gestion ne perdent pas leur rôle protagoniste.

On répète ici à nouveau l’importance de la triangulation des diverses perspectives des différents acteurs involucrés, de même que l’inclusion d’un regard suffisamment « externe » en ce qui concerne les acteurs impliqués dans la gestion même. Cette idée a été exprimée par Hannah Arendt (même si elle faisait référence aux historiens et que l’on applique ici par extension aux évaluateurs dans leur recherche de reconstruire et valoriser ce qui est arrivé dans le cadre d’interventions). Elle affirmait que tous les récits racontés par les propres acteurs, même s’ils peuvent donner dans certains cas une exposition entièrement digne de confiance sur les intentions, objectifs, motifs, deviennent sources de matériel dans les mains de l’historien (ici l’évaluateur) et ne peuvent jamais égaliser le récit raconté par ce dernier en rapport à la signification et la véracité. Elle rajoute que ce que le narrateur raconte (ici, ce que raconte et interprète celui qui exerce la fonction d’évaluation) doit être nécessairement « occulté » par le propre acteur, du moins le temps qu’il réalise l’acte ou qu’il se soit rattrapé dans ses conséquences, étant donné que pour lui, la signification de son acte ne se trouve pas dans l’histoire qui continue, mais dans la propre action. Même si les histoires sont les résultats inévitables de l’action qui se mène à terme dans des circonstances déterminées du contexte, ce n’est pas l’acteur, mais le narrateur qui capte et « construit » l’histoire, utilisant pour ce faire ce qui a été relaté par le propre acteur (ou les propres acteurs).

En résumé, on peut dire que les multiples regards enrichissent à la fois les récits et l’interprétation du narrateur/évaluateur « externe ». En d’autres termes : les évaluations mixtes et participatives sont les plus recommandables, étant donné que c’est ainsi que l’on facilite le scénario d’apprentissage que génèrent les évaluations afin de contribuer à la formation et le renforcement de capacités de tous ceux qui interviennent dans ces mêmes évaluations. C’est de cela que parlent les chapitres suivants.

La participation des acteurs concernés

Même si l’on a déjà fait allusion aux raisons d’inclure la participation des acteurs significatifs dans la gestion et l’évaluation des interventions sociales, il est important de clarifier ici que ces mêmes interventions peuvent être analysées à partir d’au moins trois axes d’intérêt : le point de vue éthique, épistémologique et pragmatique.

Le premier, à caractère éthique, se base sur le fait que la participation constitue une valeur en soi, un droit humain, ce qui implique que tous ceux qui ont des intérêts ou s’investissent dans un champ d’action particulier, ont le droit (sans avoir l’obligation) de donner leur opinion ou d’intervenir dans ce même champ d’action, surtout parce qu’il peut y avoir certains aspects pouvant affecter, de forme plus ou moins directe, leur vie actuelle ou future. On met l’accent sur le fait que cette participation dit être volontaire et non obligatoire.

Le second, à caractère épistémologique, se fonde dans le fait que chaque type d’acteur, en accord avec sa lieu de vie et ses caractéristiques, a un regard particulier, une connaissance spécifique. Ce sont des facteurs importants qui ont une incidence dans les résultats de l’action et sur la réalité dans laquelle on veut intervenir, de façon telle que réunir tous ces savoirs implique une connaissance plus ample et profonde , qui rendra l’action à la fois possible et plus appropriée.

Le troisième point de vue, pragmatique et lié à l’efficacité, s’explique par le fait que la viabilité et l’efficacité des interventions sociales augmentent si les divers acteurs impliqués participent à la gestion dès le départ et dans toutes les étapes de cette dernière : en analysant leur propre situation dans leur contextes particuliers, en identifiant leurs forces et faiblesses, en donnant priorité à leurs problèmes, en prenant des décisions sur les stratégies à déployer, en menant à terme les activités pour résoudre ou diminuer leurs problèmes, en supervisant et évaluant la mise en œuvre des activités programmées et leurs effets.

Bien que l’on octroie différentes significations au concept de participation, il y a suffisamment accord sur le fait que ce terme signifie : être impliqué, prendre parti ou avoir de l’influence dans les processus, les décisions et les activités dans un contexte ou champ d’action particulier (Nirenberg).

La participation contribue non seulement au développement personnel, entendu comme le processus par lequel les individus deviennent des personnes, sujets et citoyens à l’intérieur d’une société ou communauté, acquérant connaissance et expérience, capacités et habiletés et développant leur potentiel personnel, ainsi que le développement social compris comme le processus d’expansion des libertés dont jouissent les personnes. L’objectif social de la croissance économique, l’éducation et la santé est le fait d’être libre pour pouvoir choisir et vivre le temps de vivre que l’on souhaite (Sen).

Les discussions sur le fait de savoir si la participation est un objectif en soi ou un moyen pour arriver à un objectif (comme contribution au bien être et au développement positif) sont fréquentes. On assume ici le fait qu’il s’agit d’un faux problème, étant donné que la participation, disent ceux qui la soutiennent, est à la fois un objectif et un moyen. C’est dans ce sens qu’il est important de considérer tant les processus que les résultats de la participation.

Pour comprendre la participation, afin de la promouvoir et de l’évaluer, il est important de prendre en considération les questions suivantes :

  • Le contexte avec les caractéristiques des entourages immédiats et plus lointains et les facteurs contextuels qui facilitent ou non la participation. Ces facteurs contextuels sont extrêmement importants ; les formes qu’adopte la participation dépendent beaucoup des caractéristiques politiques, culturelles et sociales de l’environnement (familier, local et national).
  • A quel moment du cycle de l’intervention sociale a lieu la participation : dans le diagnostic ou la détermination des besoins, dans la formulation ou l’établissement du plan d’action, dans la mise en place ou le développement des activités prévues et la programmation, ainsi que dans le suivi et l’évaluation. L’idéal serait que la participation se produise tout au long de ce cycle.
  • Dans quels scénarios la participation a lieu, en faisant référence aux cadres organisationnels ou institutionnels dans lesquels elle se concrétise (le foyer ou la famille, l’école, l’établissement de santé, dans le milieu du travail, le club, l’organisation sociale, un réseau, les moyens de communication, programme ou action gouvernementale).
  • A quel niveau cela a lieu (national, provincial, de l’Etat, local, de quartier).
  • Quels types d’acteurs s’y investissent, leurs profils et caractéristiques en termes d’âge, de genre, de lieu de résidence (par exemple, rural ou urbain), éducatifs, culturels, sociaux, professionnels, religieux, entre autres.
  • Quel est le nombre de participants au total et selon le type, dans combien d’activités et dans combien de groupes ils s’investissent ; cela permettra de comprendre la portée de la participation. On rappelle que les nombres absolus sont nécessaires mais pas suffisants, étant donné qu’il est nécessaire de les relier avec les univers respectifs, sous forme de taux ou de pourcentages), pour connaître l’amplitude de la réussite de la participation en termes relatifs.
  • La qualité de l’investissement, qui a deux faces : d’un côté sa profondeur et d’un autre son degré d’institutionnalisation (formalité et continuité). La profondeur fait référence à différentes modalités qu’acquiert la participation selon une gradation allant de l’expression d’inquiétudes, connaissances, opinions ou points de vue (par exemple à travers enquêtes, dans le cadre de rencontres ou ateliers), mener à terme des activités spécifiques (comme des ressources humaines volontaires ou non), proposer des activités, contrôler et évaluer, conseiller des changements, s’investir dans les processus de décision, prendre des décisions et assumer des responsabilités, faire des revendications auprès des autorités sur réclamations, besoins et droits.

Ces modalités de participation ne devraient pas être incompatibles, mais, plus on multiplie les formes, plus profonde sera la participation, étant donné qu’il y a un sens d’accumulation, de processus de profondeur graduelle.

L’institutionnalisation fait référence au degré de formalité et continuité du processus de participation. Certains facteurs que l’on doit prendre en compte concernant l’institutionnalisation sont : la régularité et la fréquence, l’existence de locaux spécifiques pour des rencontres ou réunions, la génération d’espaces structurels au sein des institutions impliquées (comités, conseils, groupes de soutien), l’existence de règles de procédure (écrites ou non), l’existence d’une stratégie pour le soutien de la participation, entre autres.

Avec l’objectif de rendre exemplaire la multiplicité d’effets positifs que les processus participatifs provoquent, on peut prendre en compte le cas des diagnostics participatifs : quand ils se réalisent selon cette modalité, ils transcendent les objectifs de fonder les actions à travers une intervention et d’offrir des paramètres de base pour les contraster par après dans les différents moments évaluatifs ; la modalité participative ajoute une valeur très importante qui est l’initiation d’un processus de construction d’un scénario où interagissent différents acteurs sociaux, un espace d’échange d’information, d’articulation et de négociation, un cadre pour l’apprentissage social de tous les participants et un espace d’opportunité pour le rôle protagoniste des acteurs sociaux qui pourraient être impliqués par après dans les processus de gestion, ainsi que dans l’évaluation des interventions (Nirenberg).

De façon plus générale, on peut affirmer que la participation des acteurs impliqués, particulièrement des destinataires des interventions, c’est-à-dire des sujets actifs et non de simples récepteurs passifs de biens ou services des interventions, dans les processus d’évaluation facilite l’apprentissage collectif et le renforcement des capacités institutionnelles et communautaires, étant donné que cela génère un apprentissage à partir de la propre expérience, permet de laisser des capacités installées, tout comme le fait d’incorporer des modalités de réflexion – autoréflexion – pour la transformation.

(On a tendance à nommer les destinataires de différentes manières : bénéficiaires, utilisateurs, population objectif, groupe cible. Il est important de prendre en considération, au-delà de la manière de les nommer, la signification de parties prenantes. Fantova utilise la dénomination parties prenantes comme traduction du terme stakeholders, en anglais, en voulant y inclure tous ceux qui sont ou qui peuvent être intéressés dans l’intervention qui est objet de l’évaluation. On a adopté ici cette traduction qui paraît tout-à-fait appropriée).

Nous avons déjà dit que la participation est fortement conditionnée par les facteurs contextuels, sociaux, culturels et politiques ; cela est vrai mais, en même temps, il y a des preuves qui montrent que le fait d’augmenter la participation, surtout mais pas exclusivement à échelle locale, dans les organisations sociales et les établissements sectoriels (écoles, centres de santé, etc.), entraîne des relations plus équitables et démocratiques, contribue à améliorer la gestion et ses résultats, tout en favorisant la transparence.

Il s’agit d’un cercle vertueux ou dialectique dans lequel la participation est stimulée et en même temps contribue à une culture de la participation, afin de promouvoir la démocratie, la responsabilité et la transparence de la gestion des organisations et des interventions que ces dernières réalisent, ce qui à la fois – sous certaines conditions contextuelles – pourrait également générer un impact bénéfique pour toute la société. Il se peut que ceux-là soient les impacts les plus désirés de toutes les interventions sociales, mais pas si faciles à atteindre, sans attacher d’importance à leur « porte d’entrée » ou à la thématique spécifique qu’ils abordent.

Ce qui a été dit n’implique pas le fait de méconnaître les résistances que les organisations ont tendance à opposer au développement de procédés participatifs, étant donné que ces derniers supposent une décentralisation des noyaux de pouvoir existant dans n’importe qu’elle organisation, incorporant le regard et la voix des acteurs sociaux, en particulier des acteurs communautaires, générant ainsi de nouvelles formes de lien entre les acteurs institutionnels et les acteurs sociaux et communautaires. Ce ne sont pas des questions simples, étant donné que personne ne cède son pouvoir de façon spontanée et cela ne s’obtiendra pas par le seul fait de le décréter ou de le décider de manière verticale, mais par processus constants de sensibilisation, des négociations et accords sont nécessaires. Ce sont fondamentalement ces processus-là qui soutiennent la démocratie.

Apprentissage par l’expérience

Toute intervention sociale devrait s’encadrer dans des propos « majeurs » afin de gagner une autonomie croissante et une intégration des personnes dans leurs alentours et communautés ; cela donne lieu à deux axes clés de l’implémentation, d’un côté les relations entre les différents acteurs et d’un autre côté leur participation, toutes deux plus aptes à être concrétisées dans les scénarios microsociaux.

L’évaluation, telle qu’on la comprend ici, se réalise dans des situations d’apprentissage partagé entre ceux qui évaluent et ceux qui sont responsables et protagonistes de l’action ; tous deux partageant les objectifs d’améliorer la gestion pour obtenir les résultats désirés et pouvoir transformer ainsi les situations des groupes destinataires de leurs actions. Dans cette vision, l’évaluation s’éloigne des modalités traditionnelles qui signifiaient contrôle et sanction et qui la rapprochaient à la supervision et acquiert une utilité comme fonction de la gestion sociale, donnant de meilleurs fondements pour la prise de décisions.

Dans le paragraphe antérieur, on a fait référence à la supervision de type administratif, c’est-à-dire au contrôle que les personnes ayant une responsabilité majeure exercent sur les devoirs de leurs subordonnés, et dans le cadre d’organisations de structure hiérarchique. Mais le concept à évolué et l’on parle également de supervision clinique dans le domaine de la psychothérapie et/ou du travail social, où un professionnel, à l’aide d’un regard « externe », oriente d’autres personnes dans une réflexion sur leur propre travail afin d’en extraire des conclusions orientées pour sur leurs actions futures. C’est ainsi que l’on parle aujourd’hui de « supervision capacitante », dans un sens similaire à celui que l’on donne ici à l’évaluation en tant qu’instance d’apprentissage.

Cette caractéristique d’apprentissage partagé que possède l’évaluation – surtout si elle se réalise à l’aide de modalités participatives – s’avère primordiale dans la relation avec l’autonomisation et la formation citoyenne des destinataires des actions et des autres acteurs involucrés dans les scénarios respectifs. Cela se fait à l’aide d’outils pour réfléchir à ce qui a été fait et pour proposer et approuver des changements nécessaires, en rendant possible un plus grand protagonisme des agents au cours de l’action dans laquelle ils sont immergés (Nirenberg)

Les scénarios d’évaluation – davantage quand ils sont participatifs – généreraient ce que Pizzorno a conceptualisé comme « culture de la solidarité procédurale », signifiant également une culture politique dans laquelle les ennemis ou adversaires se convertiraient en « joueurs », sur base d’un accord sur certaines règles. Un tel consensus impliquerait une méthode pour résoudre les différences sur base de l’argumentation et de l’altérité (Pizzorno). De telle manière, avec les méthodes de l’évaluation participative (ou, de façon plus générale, de gestion participative), on peut construire des liens dialogiques où la violence (verbale ou physique) est laissée de côté par les accords ou alliances.

Habermas, de son côté, a suggéré que ce type d’accord impliquerait une compréhension de la rationalité démocratique comme une question de procédure allant au-delà d’une logique simplement instrumentale. De telles procédures se fonderaient dans les forces de conviction dérivées de consensus réussis à travers le débat argumentatif et, ainsi, la délibération intersubjective entre les acteurs permettrait l’élaboration de la dite solidarité procédurale. Ce même auteur soutient également que la création d’espaces épistémologiques d’intersubjectivité permet de dépasser la subjectivité individuelle dans les procédés de production de connaissance (et c’est pourquoi l’on rajoute ici « dans les procédés évaluatifs ») (Habermas).

Ce qui vient d’être exposé implique concrètement la recherche de participation des destinataires et autres acteurs impliqués, dans les sens exposés lors du chapitre précédent, dans les procédés de l’évaluation comme dans la prise de décisions basées sur les conclusions et recommandations de cette même évaluation. En fonction de cela, on répète que l’évaluation est utile pour promouvoir une autonomisation, pour doter l’action de rationalité ainsi que pour générer des processus démocratiques.

Il est utile d’introduire quelques considérations à propos du terme « autonomisation » (venant de l’anglais empowerment) ; on a commencé à l’utiliser dès le début des années 80, à partir de groupes féministes pour une meilleure compréhension de la nature du pouvoir dans les relations de genre – fondamentalement dans les relations de famille et de couple – où l’homme minimisait la capacité de la femme à réaliser ses propres objectifs et intérêts. Dans le cadre de la théorie féministe, le terme veut rendre compte de l’asymétrie de pouvoir existant dans les relations de genre dans la vie quotidienne.

Progressivement, vers la fin des années quatre-vingt et principalement au début des années 90, le sens du terme s’est étendu vers d’autres champs sémantiques, comme celui de la santé, du développement des adolescents et du développement rural, pour n’en mentionner que quelques uns.

Dans le domaine de la santé, l’OMS définit l’autonomisation comme « le processus via lequel les individus obtiennent le contrôle de leurs décisions et actions liées à leur santé ; expriment leurs besoins et bougent pour obtenir une plus grande action politique, sociale et culturelle afin de répondre à leurs besoins, en même temps qu’ils s’investissent dans la prise de décisions pour l’amélioration de leur santé et de celle de la communauté » (Organisation mondiale de la santé).

En ramenant la définition antérieure à des aspects plus généraux concernant le social, on peut dire que le concept d’autonomisation fait référence au processus d’autodétermination par lequel les personnes, groupes, organisations ou communautés gagnent le contrôle sur leur propre chemin de vie. Il s’agit d’un processus de prise de conscience des facteurs qui exercent une influence sur la vie des personnes, groupes, populations et d’ascension à de plus hauts degrés de pouvoir de décision sur leur propre destin, en pensant et agissant de manière à obtenir un plus grand contrôle de tels facteurs. De cette façon, « autonomisation » implique l’obtention de plus hauts degrés d’autonomie et de liberté, c’est pourquoi l’on répète que, l’évaluation – surtout si elle se réalise à l’aide de modalités participatives – devient un instrument puissant.

Organisations intelligentes

Les organisations peuvent se caractériser ici par une série récurrente d’activités orientées vers certains buts (de caractère plus ou moins explicite ) qui se distinguent d’un entourage , qui sont d’une relative complexité et permanence et qui rendent compte d’un certain degré de formalisation, où interagissent un ensemble de personnes (ressources humaines) qui utilisent d’autres types de ressources (matérielles, informatives et financières) pour produire leurs effets.

En synthèse, les organisations seraient des processus (série d’activités), qui rendent compte d’un ensemble articulé de ressources pour produire certains effets.

Dans ces organisations qui développent des interventions sociales en faveur du développement social, s’il y a normalement don de biens (comme des aliments, brochures, vaccins, médicaments), il est très fréquent que l’on recherche en plus d’autres effets plus amples tels que des changements de perceptions, connaissances, attitudes et conduites de vastes groupes de population, étant donné que la politique sociale de la donation ou simplement de l’assistance, empêche de rompre avec les cercles vicieux – et intergénérationnels – de la pauvreté.

En particulier, l’univers des organisations de la société civile se voit dispersé, tant de par les différentes thématiques de travail abordées, que par les modalités de travail ou par les formes juridiques ou institutionnelles adoptées (fondations, associations civiles, coopératives) et leurs focalisations idéologiques respectives.

Au fil du temps, on leur a également attribué différentes dénominations : Organisations non gouvernementales (ONG) en nette opposition à l’Etat, marquant leur autonomie ou indépendance, secteur tertiaire, organisations à but non lucratif (pour les différentier du secteur marchand), organisations sociales, organisations communautaires, entre autres. Sans doute, chacune de ces façons de les appeler implique également une certaine façon de concevoir leur propre travail et liens avec la société et l’Etat (De Piero).

Selon le type d’interventions, on les a classifiées comme organisations d’assistance directe, organisations d’assistance technique à d’autres organisations (de l’Etat ou non) et Organisations d’études et recherche (Filmus).

On ne peut oublier les organisations à caractère religieux ou confessionnel, qui ont tant d’incidence dans la façon de concevoir les politiques sociales, comme dans leur concrétisation, fondamentalement dans les prestations d’assistance alimentaire et de protection.

Mais même si les organisations sociales communautaires contribuent au développement de stratégies innovatrices d’abordage pour surpasser les problèmes des groupes sociaux défavorisés, leurs sphères d’action sont les scénarios locaux, le niveau microsocial, et qui ne sont généralement pas en conditions de réaliser des programmes « universels » et encore moins de garantir le plein exercice des droits sociaux, chose que l’Etat se doit d’accomplir, à travers des politiques distributives et moyennant la formulation et le contrôle de l’accomplissement de normes et régulations.

La littérature dédiée à la gestion, tant d’entreprises lucratives que de celles qui se dédient à la production de biens ou services sociaux sans fin lucrative, tels que les organisations sociales communautaires, se réfère fréquemment aux organisations intelligentes, dans le sens de son orientation à l’apprentissage et à sa capacité d’adaptation aux besoins des contextes actuels, signés par le changement accéléré sur les plans technologiques et sociaux.

On dit que les organisations technologiques sont basées dans la connaissance et créées dans le but d’apprendre à s’adapter à un milieu instable, il s’agit d’institutions créatrices n’attendant pas que les événements aient lieu et les abîment ou détruisent, mais qui anticipent et introduisent les changements requis pour se perpétuer et se surpasser.

Ces organisations ont la flexibilité de changer leur point de vue sur les faits et situations pour se voir en perspective et trouver où et comment se génèrent leurs problèmes de limitation. Elles ont la capacité de changer leurs stratégies d’action en transformant leurs procédés de résolution pour ces défis. De telles organisations sont également conformées par des personnes intelligentes capables de se transformer elles-mêmes et, consécutivement, ces mêmes organisations.

On comprend ici l’intelligence comme le pouvoir de changement, comme la capacité des individus (ou, dans ce cas, des organisations également) de bénéficier de l’expérience pour s’adapter à de nouvelles situations, en faisant une adéquation et en agissant dans le milieu.

Ces organisations s’éloignent des traditionnelles, pyramidales, hiérarchiques, où peu nombreux étaient ceux qui pensaient, planifiaient et évaluaient, pendant que le reste, la majorité « exécutait » selon les directives émises, en accord avec les normes ou routines établies. Comme contraste, dans les organisations actuelles – ou intelligentes – prédomine le travail d’équipe et les intégrants partagent un même propos, en maintenant une division du travail basée dans la coopération et la complémentarité des fonctions.

En conséquence, les membres de ces organisations doivent être capables d’apprendre et, par là, d’étendre les possibilités de croissance personnelle de leurs intégrants, comme celle de la propre organisation. Dans un tel sens, il ne suffit pas de s’adapter et de survivre, ce qui est certes important et nécessaire, mais il faut également intégrer à l’apprentissage adaptatif un apprentissage créatif, c’est-à-dire qui facilite et développe la possibilité de créer.

Le concept de gestion se comprend comme les modalités efficaces d’administrer des ressources (humaines, informatives, matérielles et financières) et actions à la recherche d’objectifs. On ne peut mettre en doute que l’évaluation est un outil puissant pour la gestion, étant donné qu’elle permet d’incrémenter l’efficacité de ses modalités d’administration (ses ressources) pour atteindre de forme plus convenable et entière les objectifs primordiaux de l’organisation.

L’apprentissage des organisations peut se comprendre comme le processus de découverte et de correction d’erreurs dans la gestion passée, ce qui est facilité, comme on l’a vu, par les procédés d’évaluation. Mais il faut se rappeler que l’apprentissage via la pratique ou sur base de la propre action ne survient pas de forme spontanée, mais certaines actions programmées pour cela sont requises, c’est-à-dire, qu’il faut leur attribuer des moments, ressources et outils pour le faire, de telle façon qu’elle se doit d’être une pratique valorisée à l’intérieur de l’organisation.

On mentionne la gestion de l’information comme une fonction par excellence pour la prise de décisions dans ce type d’organisations. Il est nécessaire d’opérer une distinction entre des termes tels que données, information et connaissance. Les données doivent être organisées et systématisées pour qu’elles soient constituées en information et cette dernière se doit d’être appropriée et interprétée par les deux sujets, pour se constituer en connaissance qui puisse être à son tour un moteur d’action transformatrice. On répète qu’il est nécessaire de distinguer entre « systèmes d’information » et « évaluation ».

L’information est quelque chose d’externe au sujet, mais elle est à sa disposition ; elle a de la valeur seulement pour celui qui sait l’interpréter et l’utiliser, ce qui est rendu possible dans la mesure où on la situe dans un cadre plus ample de l’évaluation. La connaissance, par contre, est une croissance interne du sujet et renforce sa capacité opérative. Le savoir est l’accumulation de connaissances via l’apprentissage ; savoir et apprentissage sont des notions inséparables. Pour accéder au savoir, les personnes doivent apprendre ; la transmission des connaissances se fait dans des communautés d’apprentissage qui supposent un degré d’institutionnalisation, l’existence de règles procédurales, l’acquisition de certains habitus, le consensus sur certains objectifs et la pratique d’un effort partagé. Actuellement non seulement les familles et établissements éducatifs jouent ce rôle, mais ce sont toutes les organisations où a lieu la vie des humains qui ont acquis cette caractéristique et de là émerge l’écriteau « organisations intelligentes », faisant référence à cette capacité de savoir plus, apprendre et enseigner à nouveau.

Jusqu’il y a peu de temps, on supposait qu’il y avait des étapes de la vie des individus où l’on apprenait ce qui était nécessaire et suffisant et d’autres étapes où l’on exécutait ce qui avait été appris et l’on enseignait éventuellement, en se démarquant ainsi nettement de l’époque de l’enfance, adolescence et première jeunesse comme celle de la « formation », pour arriver ensuite à l’âge adulte complètement formé et plein d’action. A cette époque de transformations accélérées, il est assez accepté de dire que la formation ne se finalise jamais, que l’apprentissage se fait tout au long du cycle de vie des personnes (et, par extension, on peut dire la même chose pour les organisations).

Dans le cadre des institutions, la transmission et l’appropriation de l’historique s’avèrent importantes, une organisation intelligente est un terrain fertile dans lequel chacun tente d’apprendre et de réaliser au mieux la tâche qui lui correspond, se transformant ainsi en protagoniste d’une histoire partagée (Cifuentes). C’est dans un tel sens que le travail en équipe acquiert une signification plus profonde, comme personne n’apprend seul, mais dans une interaction coopérative avec d’autres et rendant compte de l’histoire partagée.

Au-delà de l’importance qu’ont sans aucun doute le renforcement de capacités et la formation continue que réalisent formellement les membres de l’organisation, on peut mettre en évidence l’auto-apprentissage, à partir de l’expérience et moyennant les procédures d’évaluation de l’efficacité de la gestion et de la propre performance. Pour ce faire, les organisations doivent mettre en place des ressources, moments et espaces institutionnels, de telle manière que l’autoréflexion et l’évaluation se transforment en pratiques habituelles et appréciées dans la gestion organisationnelle.

On a incorporé le terme de développement de capacités , en faisant allusion au processus via lequel les personnes, groupes et organisations améliorent leurs habilités afin de mener à terme leur fonction et pour atteindre leurs résultats désirés à travers le temps. On peut mettre en évidence deux aspects importants : le fait que le développement de capacités est en grande partie un processus de croissance et de développement interne, et que les efforts pour développer les capacités doivent être orientés en fonction des résultats. Le fait d’apprendre à partir de la pratique (apprentissage basé dans l’expérience) est le centre du développement de capacités (Horton).

Dans ces processus de développement de capacités, il faut prendre comme point de départ un diagnostique organisationnel afin de déterminer quelles sont les limitations et potentialités de la performance, comme les opportunités pour le changement, ce qui sera passible de suite ultérieure via la pratique évaluative.

Les efforts pour le développement de capacités incluent généralement des modalités de diffusion et d’information, le renforcement de capacités proprement dite, les mécanismes de facilitation et de tutelles, le travail en réseaux et la rétro alimentation pour promouvoir l’apprentissage basé sur l’expérience. Dans ce dernier cas, on répète que les évaluations permettent de promouvoir l’apprentissage, proportionnant la rétro alimentation rapide aux personnes et groupes en fonction des degrés d’effectivité de leurs formes de gestion.

Comme on l’a vu, les évaluations peuvent servir aux organisations fondamentalement à travers deux propos intimement liés entre eux : pour rendre des comptes et pour en faire des améliorations. La reddition de comptes se réfère à l’obligation d’informer ou de justifier une activité spécifique et est en lien avec la transparence de la gestion institutionnelle. La majorité des évaluations se réalisent afin d’accomplir les réquisits de responsabilité établis par les entités qui soutiennent les projets, qu’ils soient gouvernementaux ou agences de financement. Généralement, les évaluations se font pour déterminer si les objectifs ont été atteints et si les ressources ont été utilisées de façon adéquate. Les évaluations qui sont réalisées afin d’apprendre des leçons qui peuvent être utilisées pour améliorer les efforts vers les développements de capacités autour des procédés en cours ou futurs ont une valeur potentielle très grande, mais lamentablement, comme cela a été dit, peu sont les opportunités dans lesquelles se réalisent ce type d’évaluations dirigées aux améliorations. Cela rend compte d’un déficit dans la pratique de l’évaluation, ou plutôt de la gestion institutionnelle, étant donné que les efforts pour développer des capacités incluent beaucoup d’expérimentation et que les décideurs doivent connaître l’efficacité de leurs procédés et les résultats obtenus, afin d’ajuster ou reformuler les objectifs et de donner une nouvelle direction à leurs actions.

La gestion institutionnelle

Les dimensions – structurales, procédurales et de résultats – que l’on suggère évaluer dans les organisations pour apprécier et promouvoir à la fois leur développement institutionnel, sont nombreuses ; certaines d’entre elles vont être mentionnées à continuation sans intention d’épuiser la liste, sans doute bien plus grande.

  • La mission institutionnelle et les valeurs qui la soutiennent. C’est autour de cela que s’organise la construction du sens organisationnel ; la pertinence de cette mission doit être analysée périodiquement à la lumière des problématiques qui prévalent et des avancées de la connaissance dans le champ social à chaque moment du devenir historique et dans le territoire particulier de l’agissement. Les diagnostiques situationnels sont utiles à ces effets, comme on l’a vu ; il est également nécessaire de considérer la pertinence ou cohérence des interventions en fonction de la mission et des valeurs qui la soutiennent.
  • La structure (formelle et informelle) et les fonctions prévues pour la réussite de la mission. On s’intéresse en particulier aux caractéristiques et à l’amplitude des ressources humaines, les modalités utilisées pour leur sélection, leur composition selon le genre, l’âge, le niveau de formation et la discipline professionnelle, s’ils travaillent de forme volontaire ou rémunérée, leur niveau d’investissement, leur profil d’expérience, entre autres aspects reliés. L’adéquation de la structure de l’équipe doit être analysée en fonction de la potentialité pour l’accomplissement de la mission institutionnelle et des objectifs spécifiques de leurs interventions.
  • Le caractère des procédés décisifs sur les thèmes importants et les acteurs (institutionnels ou non) qui y interviennent. La forme selon laquelle sont prises les décisions laisse une marque indélébile dans les caractéristiques institutionnelles, allant des hiérarchiques/autoritaires à celles des horizontales/démocratiques, en passant par une gamme de tonalités intermédiaires entre les deux extrêmes de cet arc chromatique.
  • Les types de conflits qui apparaissent souvent dans les organisations et, d’un autre côté, les modes de détection et de résolution qui s’avèrent nécessaires, tout comme les acteurs qui interviennent dans le surpassement de ces derniers.
  • L’existence et la pertinence de mécanismes de programmation, monitorat et évaluation de la performance de l’organisation et des interventions menées à terme.
  • L’inclusion d’amples points de vue, intégraux, holistiques de la problématique sociale, loin des abordages spécifiques qui considèrent les problèmes de forme partialisée ou fragmentée . En d’autres termes, ce qui nous intéresse est l’inclusion dans l’organisation d’actions orientées vers les différents facteurs liés aux problèmes identifiés et priorisés dans les interventions menées à terme.
  • Le caractère associatif de la gestion institutionnelle, comprenant par là l’articulation – informelle ou formelle – par la réussite de buts communs, avec des aires gouvernementales du niveau local, institutions sectorielles (par exemple, établissements éducatifs, de santé et/ou de justice), autres organisations de la société civile, communautés de base et religieuses, qui se localisent dans les territoires respectifs d’agissement et qui abordent des thèmes ou groupes de population proches à ceux de la mission de l’organisation. Il est généralement accepté de dire que cette gestion associée favorise le développement de capital social, implique la conformation de scénarios de planification et gestion mixtes, intersectoriels, interdisciplinaires et pluri partisans où le but est de construire une culture du public, politique et social plus démocratique et transparente (Poggiese). Incorporée comme pratique à l’intérieur des institutions et organisations, elle collabore à la fortification de chacune d’entre elles et à la démocratisation des procédés décisifs.
  • Le travail en réseau, très lié au concept antérieur d’associativité, constitue une stratégie d’articulation et d’échange entre organisations, programmes, projets et/ou personnes qui décident d’associer leurs efforts, expériences et connaissances pour l’accomplissement d’objectifs communs. Le réseau est le résultat de cette stratégie et constitue une modalité organisatrice et de gestion, qu’adoptent les membres qui décident de ce lien, dont les caractéristiques les plus fréquentes et importantes sont : la volonté, l’adaptabilité, la flexibilité, l’ouverture, l’horizontalité, la fluidité et la spontanéité des relations (Perrone et Nirenberg). Leurs caractéristiques données, les réseaux se différencient des formes organisatrices traditionnelles, pyramidales et hiérarchiques, en se conformant en tant que structures hétérarchiques, où existent plusieurs centres de pouvoirs (nœuds) et non un seul (Dabas et Perrone). Ses membres interagissent ou échangent sur base de similitudes, différences et/ou complémentarités, en faveur de leurs propos communs, sans laisser pour autant de côté leurs propres objectifs ou identités personnelles, groupales ou institutionnelles.
  • Le caractère participatif, tant de la gestion institutionnelle que des projets ou interventions sociales que développe l’organisation. Les formes et méthodologies de gestion participatives procurent inclure les divers acteurs de façon protagoniste, spécialement les destinataires, dans les différents moments du cycle de leurs projets : allant de l’identification de la problématique, la priorisation des activités, les décisions relatives, à la destinée des ressources, la réalisation des actions, la systématisation de l’expérience et l’évaluation. Comme on l’a vu lors du chapitre précédent, le signifié recouvre alors une valeur plus large que celui qui se restreint habituellement à l’inclusion des acteurs communautaires dans la réalisation d’activités – comme ressources humaines volontaires ou non – pour embarquer également son intervention dans la prise de décisions dans les différents moments de la gestion des interventions que l’organisation mène à terme, de même que dans la propre gestion organisationnelle.
  • La durabilité ou permanence de l’organisation dans le temps, au-delà des changements que l’on a sûrement dû réaliser par la réussite de cette subsistance ; le simple fait de compter avec un certain nombre d’années d’existence donne un quota directement proportionnel de fiabilité à l’institution.
  • Le degré d’efficacité dans sa performance historique. Cela renvoie à l’effet que l’action a produit dans les populations destinataires par leurs différentes interventions ; il n’y a pas d’autre chemin possible que les évaluations réalisées respectivement pour les détecter.
  • La visibilité et la légitimité acquise par l’organisation. En général, dans ces organisations situées dans des espaces locaux, les caractéristiques de durabilité et d’efficacité octroient en plus un important degré de visibilité et légitimité.
  • Le soutien économique renvoie à la diversité et magnitude des sources de financement que possède l’organisation pour le développement de ses actions. Cette dimension acquiert une haute notoriété due au fait qu’elle constitue le support économique pour la subsistance de l’organisation comme telle ; des indicateurs significatifs de cette question sont les actions qui sont menées à terme et les réussites obtenues en matière de captation et création de ressources (non seulement financières mais de tout genre).
  • L’influence dans l’agenda public que l’organisation peut montrer comme effet de son agissement dans les thématiques et territoires respectifs, sont une preuve claire de son efficacité, étant donné que l’on répète que cela est un des principaux propos de toutes les organisations qui travaillent en politiques sociales : engendrer des changements positifs dans les conceptions et pratiques des différents acteurs, gouvernementaux ou non, dans les thèmes respectifs abordés, améliorant par conséquence la qualité de vie dans les territoires où ils interviennent.

Et l’éthique ?

Après l’écroulement du mythe en vigueur de la rhétorique politique des années quatre-vingt et nonante qui présentait la croissance économique comme la voie royale menant au développement social (par « effet de dispersion ») et en parallèle à la mise en évidence de la concentration croissante de la richesse et l’augmentation consécutive des inégalités, le besoin d’inclure des questions éthiques dans la gestion du développement ainsi que dans son évaluation se fait plus pressant. Nombreux sont les auteurs qui soutiennent la conception actuelle d’une éthique du développement, mais c’est principalement Sen qui est sorti du lot par ses réflexions sur les objectifs et les moyens qui accompagnent les changements socio-économiques dans les pays avec la recherche de la qualité de vie ; c’est lui qui a identifié le développement à travers l’élargissement des libertés des individus, c’est-à-dire, qui a mis en place le thème des droits de l’homme au centre du débat économique dans le cadre du développement.

Au niveau macrosocial, deux genres de phénomènes vont à l’encontre de critères éthiques : l’un se réfère aux formes de matérialisme qui subordonnent les personnes aux objets, créant une culture dans laquelle le pouvoir prédomine sur l’être humain, et l’autre est lié aux grandes inégalités existantes entre les êtres humains dans l’accès à l’usage et à la jouissance des biens matériels et des services indispensables pour mener une vie digne selon les paramètres de la société dans laquelle les sujets sont immergés.

D’un autre côté, dans l’évaluation des interventions sociales, comme dans l’investigation sociale de façon générale, l’on se doit de prendre en compte certains besoins éthiques. En particulier, lorsqu’on réunit des informations des intervenants, on se doit de solliciter leur consentement en connaissance de cause, ce qui implique que l’on doit s’expliquer clairement sur les buts du travail et les modalités dans lesquelles les données remises seront utilisées, pour qu’ils puissent ainsi décider clairement s’ils les communiquent ou non.

On ne pourra qu’insister sur la nécessité d’inclure des actions de restitution des découvertes de l’évaluation aux parties prenantes, qui sont directement ou potentiellement intéressés par ces mêmes actions. Cela va de pair avec la nécessité de rendre des comptes et de gérer la transparence, avec les apprentissages concernant l’amélioration de la gestion. Traditionnellement, les organisations diffusaient de façon restreinte les résultats des évaluations, en particulier seuls les agents financiers ou les autorités gouvernementales responsables des projets le faisaient ; ce critère a été modifié, dans le sens où ce sont tous ceux qui interviennent, de forme directe ou indirecte, dans le cours de l’action, qui doivent être au courant des résultats, de façon à pouvoir prendre les décisions, pour lesquelles ils sont compétents, de manière plus adéquate.

Nous mentionnerons, ci-après, sans prétention d’être exhaustifs, certains impératifs éthiques importants à prendre en compte dans la gestion sociale en général et en particulier dans l’évaluation :

  • Peu importe la porte d’entrée des interventions, il est nécessaire de prendre en compte le respect et la promotion des droits humains généraux et spécifiques (femmes, enfants, groupes vulnérables) consacrés dans les résolutions internationales et adoptés par chaque pays.
  • Les actions doivent contribuer à diminuer les différences en termes d’équité, c’est-à-dire à augmenter les opportunités dans les trajectoires de vie de ceux qui se retrouvent dans des situations de vulnérabilité ou de risque. Dans ce sens, toute évaluation de la performance et des résultats en termes de gestion doit apprécier dans quelle mesure les différences d’opportunités ont été réduites au sein des populations destinataires.
  • L’action sociale mise en œuvre doit s’éloigner du clientélisme, pour inclure des formes d’action qui n’affectent pas la dignité des personnes, mais qui, au contraire, recherche leur autonomie, c’est-à-dire qui augmentent leur capacité de contrôle sur les facteurs conditionnant leur qualité de vie actuelle et future.
  • L’action doit être orientée en lien avec les besoins des populations destinataires (qu’elles soient considérées comme clientes, utilisatrices, bénéficiaires, etc.) plutôt qu’avec des intérêts personnels, ceux de certains groupes ou encore des intérêts propres à l’organisation. Les organisations communautaires s’interrogent sur le fait de savoir si elles doivent répondre aux demandes des agences de coopération et d’appui financier ou aux besoins et aux demandes des populations destinataires.
  • La transparence de la gestion, sa communicabilité et son adéquation aux valeurs culturelles, sont également des aspects éthiques à considérer en priorité.

Il est évident que l’inclusion de ces questions éthiques dans les évaluations pourrait contribuer au renforcement des organisations, via le renfort de leurs valeurs, affaiblies à cause du contexte actuel trop orienté vers les résultats sans prendre en compte la qualité éthique des processus et les liens humains qui les rendent possibles.

Traduit de l’espagnol (Argentine) par Antonia et Daniel de la Fuente.

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