Nous ne sommes pas très éloignés du risque de l’évaluation tous azimuts, selon Thomas Périlleux, par Antonio de la Fuente
Séminaire du CFIP à Namur, fin octobre 2010. Plusieurs ateliers sont organisés, parmi lesquels, L’évaluation en questions. L’atelier s’ouvre par une présentation de Thomas Périlleux, sociologue et chargé de cours à l’UCL.
Dans le monde du travail, on assiste à une véritable poussée de fièvre de l’évaluation, affirme-t-il. L’évaluation est devenue le baromètre du bonheur. L’importance de l’évaluation s’accroît en fonction de l’augmentation du malaise dans les organisations.
Le travail implique la subjectivité autant que la sociabilité, « le travail nous travaille », comme on dit. Travailler, c’est faire l’épreuve du réel, souvent du doute, parfois de l’échec. L’organisation est le lieu des contradictions inévitables tant par rapport à la quantité qu’à la qualité du travail.
Quelques tendances et repères par rapport à l’organisation du travail : On assiste à une nette intensification du travail, à un cumul des contraintes, de pair avec la crise du taylorisme et de la bureaucratie. On assiste aussi à une intensification de la demande d’investissement de soi, ce qui est illustré par l’expression« il faut entendre le sourire au téléphone ».
Dans ce contexte, de nouvelles méthodes d’évaluation se répandent d’abord dans le secteur marchand, puis elles deviennent transversales : l’évaluation par projets, l’évaluation de conformité aux procédures, l’évaluation des performances individuelles (qui peut aller jusqu’au paradoxe de l’autoévaluation menant à l’auto-exclusion).
Nous ne sommes pas très éloignés du risque de l’évaluation tous-azimuts, où l’on serait sans cesse à l’épreuve, où rien n’est jamais acquis. De l’évaluation 360° ou de la demande de qualité totale, sans doutes ni discussions.
Ce ne sont pas les seules dérives : Il y a une confusion croissante entre travail et résultats visibles, au nom de l’impératif de la quantification. Il y a aussi le risque d’entretenir la fiction de la qualité, le risque de la réduction de l’expérience par les indicateurs, et du gouvernement par les objectifs, voire par des contraintes pas toujours éclairées.
L’ensemble de ces paramètres vont vers la rationalisation et la standardisation des activités, ainsi que vers la précarité et l’isolement des collectifs.
L’évaluation est néanmoins nécessaire. L’essentiel est de s’accorder sur les choix des modalités, car aucune évaluation n’épuise la question de la qualité du travail, conclue notre intervenant.
La salle a suivi attentivement son exposé. Les questions ne tardent pas à venir : Quel est, dès lors, le sens de l’évaluation ?
La reconnaissance, sans doute, récompenser les efforts, redistribuer les compétences, rétablir la hiérarchie. La plainte devant le désir de reconnaissance inassouvi est assez générale. Derrière la reconnaissance il y a aussi le besoin d’établir des critères personnels. Par là peut transiter la manipulation managériale.
Qu’est-ce qu’on ne peut pas évaluer, qu’est-ce qui échappe à l’évaluation ?
La question est intéressante et suscite en large débat. Si l’évaluation se centre sur les résultats, est-ce que le processus lui échappe ? N’est-ce pas mieux ainsi ? Avoir des bons résultats permet d’avoir plus de marge quant à la manière ?
De toute façon, la séparation entre l’évaluation des objectifs et les processus est factice, semble-t-il. Dans ce sens, il vaut mieux ne pas se focaliser sur l’indicateur mais sur le multi-indicateur.
A ce stade, l’animatrice improvise un petit jeu de rôles : Le directeur se met en face du responsable des ressources humaines, du délégué syndical, de l’usager. Au centre de tout ce petit monde, l’évaluateur ou, plutôt, l’évaluation.
L’expérience est vivante, éclairante même. L’évaluation, au centre, est constamment sollicitée mais elle ne peut pas tout faire, tout résoudre, c’est une évidence. Si le réel du travail lui échappe, elle peut néanmoins assurer une forme de traduction ou d’interprétariat entre acteurs.
Elle peut aussi, last but no least, et à certaines conditions, réduire l’arbitraire.