Indicateurs de l’efficacité de l’aide ou du développement ?

Mise en ligne: 17 mars 2009

L’efficacité prend un autre sens en lien avec un projet politique porteur de justice et non de dépendance, par Xavier Guigue

« Nous, ministres de pays développés et de pays en développement chargés de la promotion du développement, et responsables d’organismes bilatéraux et multilatéraux d’aide au développement, réunis à Paris le 2 mars 2005, prenons la résolution de mener des actions ambitieuses, se prêtant à un suivi, afin de réformer nos modalités d’acheminement et de gestion de l’aide… ». Point de départ de la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide au développement, cet engagement cherche à être appliqué aux activités de coopération des ONG belges.

Cette volonté vise à concentrer l’action des ong dans un certain nombre de pays –-des pays dits ‘prioritaires’ pour la Belgique- et s’appuie sur l’idée que la spécialisation, la concentration et la coordination sont des gages d’efficacité. Dans ce cadre, les ONG deviennent des instruments de la politique de coopération de l’Etat, politique qui est elle-même tributaire du positionnement de la Belgique vis-à-vis des enjeux internationaux qui la concernent.

Mais revenons à notre point de départ. La Déclaration de Paris engage les Etats et leur gouvernement. La société civile n’y est pas impliquée. Ainsi, si un de ces « engagements de partenariat » est l’appropriation par les gouvernements, l’appropriation par les populations et les avancées en matière de processus démocratique font défaut. Mais le plus gros défaut est le suivant : le texte se limite à des aspects assez techniques bornant la question de l’efficacité à celle de l’aide et non à celle du développement.

La Déclaration d’Accra (d’octobre 2008) a cependant permis d’aller un peu plus loin. Si le texte est encore trop flou, il fait néanmoins référence à la participation de la société civile, aux Objectifs du millénaire des Nations Unies et au besoin de cohérence entre les politiques économiques de tous les Etats.

Fortes de ces principes, les autorités belges cherchent à impliquer les ONG à travers différents instruments de mise en œuvre de ces déclarations profitant d’une longue expérience de négociation avec les ONG dans le cadre des réformes de la politique bilatérale indirecte.

On voit ainsi apparaître des concepts nouveaux ou des interprétations des cinq principes de la Déclaration de Paris (appropriation de l’aide par les pays partenaires, alignement des pays donateurs sur les politiques des pays partenaires, harmonisation des actions des donneurs et transparence, gestion axée sur les résultats, responsabilité mutuelle des pays donateurs et des pays partenaires).

Tel est le cas de la notion d’ « avantages comparatifs ». Le terme, malheureux, a été utilisé par le Groupe consultatif sur la société civile et l’efficacité de l’aide dans la recommandation suivante : « Que les organisations de la société civile (OSC) du Nord et du Sud travaillent de concert à définir les domaines où elles possèdent des avantages comparatifs pour établir une répartition appropriée du travail susceptible d’encourager les osc du Sud à prospérer et à renforcer leur place dans la société au fil du temps ». Il y a là plusieurs phases : concertation entre acteurs de la société civile, puis répartition du travail dans la but du renforcement des sociétés civiles du Sud.

Gare à la GAR

Mais, associé à la « gestion axée résultat », GAR [1], le concept d’avantages comparatifs, défini comme « avantage de chacun à se spécialiser dans ses domaines d’excellence et à se désengager des domaines dans lesquels ses résultats sont les moins bons, même si ces derniers sont meilleurs que ceux obtenus par des tiers », est très réducteur : il empêche une approche systémique. Le développement n’est pas alors perçu dans sa complexité mais comme un séquençage de situations où interviennent différents acteurs, chacun dans un champ très déterminé rendant difficile voir impossible l’analyse et la prise en compte des interdépendances. De plus ce séquençage amène à choisir non plus en fonction de critères politiques (au sens de choix de société par exemple), mais en fonction de critères techniques, mesurables, chiffrés, quantifiés.

Ce concept d’avantage comparatif se trouve étendu au rapport entre la Coopération belge et les missions des ong pour promouvoir complémentarité et synergie. Sous couvert d’une démarche technique (tirons profit de ce que nous savons faire le mieux) se cache une dimension politique : le gommage des contradictions qui existent entre les différents acteurs et en particulier entre la Coopération bilatérale et les ONG. La coopération d’un Etat est un instrument de sa politique étrangère. Le négliger reviendrait à négliger d’analyser sérieusement la politique de coopération bilatérale directe, les prises de positions de l’Etat sur la scène internationale, ses politiques commerciales et l’ensemble des choix des autorités publics qui ont un effet sur le développement. Ceci n’est pas un procès d’intention, puis qu’il s’agit d’analyser les textes, les faits et les actes pour nourrir les actions de mobilisation et de plaidoyer des ong.

Nous nous situons là au cœur d’un impossible pacte. A moins de considérer totalement incohérente la politique d’un gouvernement, il n’est pas possible d’isoler la politique de coopération des autres politiques menées par ce gouvernement. Vouloir engager ong et politique gouvernementale dans des axes communs amène à des contradictions et c’est parce que cela n’est pas possible qu’il faut des espaces de dialogue et de confrontation. Dans certain cas il y aura complémentarité et synergie entre coopération gouvernementale et société civile et dans d’autres cas il y aura désaccord et opposition.

Le rôle des ong va alors au delà de la fonction de « chien de garde ». Elles disposent ou acquièrent une expertise dans l’analyse des enjeux économiques, sociaux et politiques, elles construisent des campagnes de sensibilisation, de mobilisation et font pression pour demander à leurs gouvernements de rendre des comptes. Elles sont force de proposition, force de dénonciation, et demandent l’application des droits humains quand ils sont bafoués…. Et surtout, les ong du Sud et du Nord agissent ensemble pour lutter contre les injustices, pour sortir de la démarche symptomatique qui transforme la pauvreté en état de fait, en fermant les yeux sur les causes qui dérangent. C’est particulièrement le cas des mobilisations qui visent le respect du droit et son renforcement concernant les activités économiques du secteur privé, comme les campagnes sur le travail décent.

Mais comment évaluer ces activités par la Gestion axée résultat ? Comment mesurer ce qui peut correspondre aux « résultats » d’un travail, d’une action qui met en évidence et combat les injustices, et dont les « résultats » sont à long terme ? La mise en œuvre de cet engagement, la gar, affirmé dans la déclaration de Paris et repris à Accra est déjà sujet à débat quand il s’agit d’éléments quantifiables. Alors quand la gar se rapporte à du qualitatif, le risque est grand de la voir se transformer en un instrument de contrôle politique.

Plus prosaïquement, il existe un indicateur rudimentaire, récurent et trop facilement associé à cette notion de « chien de garde » : la diminution de la dépendance vis-à-vis des financements du Ministère de la coopération pour agir en toute… indépendance. Cela cache une logique purement budgétaire et un alignement sur les directives de l’OCDE, à moins d’imaginer la volonté de restreindre la liberté d’expression critique des ong.

Toujours dans la même logique de restriction budgétaire, la concentration des activités des ong dans les pays dits « prioritaires » de la Belgique est considérée comme un indicateur d’efficacité de l’aide. Si cet indicateur est utile à l’efficacité-de-la-coopération-belge, cela ne veut pas dire qu’il s’agisse d’un bon indicateur en matière de développement. En d’autre termes, ce n’est pas la fragmentation ou la taille réduite d’une action de coopération qui implique inefficacité mais le fait que les objectifs ont été mal définis et ne peuvent pas être atteints.

Deux autres tendances apparaissent de concert le plus souvent par souci d’économie, sous couvert d’efficacité : harmonisation et concertation. Faut-il harmoniser l’action d’une ong avec les politiques nationales ou bien harmoniser les actions des ong entre elles ou bien encore harmoniser les procédures et en quoi cela peut amener à du changement social, à plus de respect des droits ? Ou bien faut-il entendre harmonisation comme étant la création collective d’une « harmonie » amenant à du changement social où chacun a un rôle à jouer. Ce sont deux interprétations opposées. Si la deuxième est trop vague pour définir un indicateur, la première risque de se limiter à l’élaboration de procédures en négligeant les objectifs de l’action. La concertation peut souffrir de la même dérive : indispensable quand il y a besoin de se concerter, elle devient un poids quand la concertation prend un caractère systématique sans qu’elle soit mis au service de l’objectif à atteindre.

De l’aide au droit

Devenu très prisé, le renforcement des capacités des partenaires devient une sorte de panacée de la coopération officielle aux dépens du financement de biens directement fournis aux partenaires. Mais là encore, le renforcement de la société civile est ici perçu dans un seul sens, comme un « transfert ». Il peut pourtant être aussi conçu comme un combat commun ou comme un renforcement mutuel (citons par exemple les actions de Via Campesina, la Marche mondiale des femmes ou le Forum social mondial). C’est alors une démarche citoyenne qui se met en place où la « société civile » au Nord comme au Sud cherche à transformer les causes du mal développement.

Poussé jusqu’au bout de sa logique, l’indicateur ultime de la réussite d’un programme de coopération reposerait sur un fonctionnement à terme sans aide extérieure. Mais cette vision ne tient pas compte des inégalités produites par l’histoire et la géographie. Dans les domaines comme l’éducation, l’accès à l’eau ou la santé, des rééquilibrages structurels sont nécessaires : le coût de l’accès à l’eau dans une région désertique n’est pas le même que dans une région tempérée par exemple. Ainsi à l’échelle d’un pays, une région avec peu de ressources bénéficie ou devrait bénéficier de la richesse des régions plus riches pour son système éducatif, pour son système de santé… Si c’est plus ou moins vrai à l’échelle d’un pays, cela commence à être mis en place à l’échelle de l’Europe dans certains domaines. Cela devrait être aussi vrai hors de nos frontières privilégiées, ne serait-ce que pour que soit respecté, par exemple, le droit à l’éducation pour tous affirmé dans la Convention internationale des droits de l’enfant.

On sort alors du discours autour de l’aide pour passer à celui du droit. La question n’est plus celle de l’efficacité de l’aide, mais celle de l’efficacité dans la mise en œuvre des droits pour tous. Dans ce cas, le concept de l’efficacité et les indicateurs qui lui sont liés prend un autre sens, une autre dimension, en lien avec un projet politique porteur de justice et non de dépendance.

[1D’après le PNUD, méthode de gestion appliquée par une organisation pour veiller à ce que ses procédures, produits et services contribuent à la réalisation de résultats clairement définis.