A l’heure où internet permet de connecter des millions d’individus entre eux, Avaaz, au nom de la conscience citoyenne, s’est créé une véritable cyber-communauté : plus de 15 millions de personnes dans le monde semblent y adhérer, par Alexandra Vanderbeck
Changer le monde grâce au pouvoir d’internet, est-ce possible ? C’est en tout cas le postulat d’Avaaz, mouvement citoyen international, créé en 2007. « Réduire l’écart entre le monde que nous avons et le monde voulu par le plus grand nombre et partout », telle est la devise d’Avaaz, dont le but revendiqué est de faire entendre aux dirigeants le point de vue des citoyens sur des enjeux de société importants afin d’influer sur leurs décisions politiques.
Le moyen qu’Avaaz a trouvé pour répondre à son objectif est la mobilisation massive des gens via internet. Son mode d’action consiste en l’envoi de pétitions aux dirigeants concernés par le problème soulevé. Ces pétitions sont soumises par sondage auprès de panels de dix mille membres. Seules les initiatives qui suscitent une forte réponse sont alors lancées à grande échelle.
Depuis 2012, toute personne a le droit de proposer une pétition à Avaaz. Toutefois, « si une pétition n’est pas soutenue par nos membres ou est contradictoire avec la mission d’Avaaz, elle peut être dépubliée », explique l’association. S’il existe une charte détaillée qui précise les normes en matière de contenu (contenu injurieux ou obscène), elle précise aussi qu’« Avaaz se réserve le droit de retirer ou refuser de publier toute contribution d’utilisateur quelle qu’en soit la raison ».
Quinze millions c’est le nombre astronomique de membres revendiqué par Avaaz. En réalité, devient « membre » automatiquement et sans avoir donné son accord, quiconque a signé une de leurs pétitions.
Ces « membres » sont évidemment factices puisqu’ils ne payent aucune cotisation, et que bien souvent, vu le procédé, les gens ne sont même pas au courant qu’ils ont été, à leur insu, désignés membres. De même, ils se voient automatiquement abonnés à la newsletter d’Avaaz sans avoir donné leur accord.
Ce qui semble orienter les dirigeants d’Avaaz dans leurs choix de défendre telle ou telle cause est l’adhésion de leurs membres au point de vue défendu. Ainsi, peut-on lire sur leur site, « les priorités et le pouvoir d’Avaaz viennent de ses membres. Chaque année, Avaaz définit ses priorités à partir d’un sondage ». Par ailleurs, Avaaz explique que « plusieurs versions d’une même campagne peuvent être proposées à nos membres pour déterminer quelle stratégie sert le mieux notre mission ».
A ce propos, nous avons recueilli le témoignage d’un ancien militant français d’Avaaz qui a participé à l’Action Factory, une équipe internationale formée de jeunes bénévoles, destinée à préparer des mobilisations en Europe pour le sommet de Copenhague en 2009.
Ce militant a posé un certain nombre de questions aux responsables d’Avaaz car il ne voyait pas bien ce que signifiait pour eux « un bon accord » à Copenhague, comme ils l’avaient formulé : « Ils m’ont expliqué au téléphone qu’ils étaient opportunistes dans le sens où ils ne voulaient pas passer du temps à rédiger des positions papers, parce que, pour eux, c’était obsolète au moment où ça sortait et qu’ils voulaient répondre aux besoins du moment. Donc, en fonction de l’actualité, ils changeaient leur mot d’ordre, leur position ».
Avaaz, opportuniste, oui, ils ne s’en cachent pas et, pour eux, il faut le prendre dans le sens positif : Avaaz est très réactif et agit sur des problèmes urgents.
Avaaz surfe donc sur la « tendance » du moment, mais le travail dans l’urgence implique un temps de réflexion plus court et une documentation forcément moins aboutie. Une urgence en appelant une autre, qu’en est-il une fois les actions terminées ?
Sur le site, la page « Temps forts » indique les différentes pétitions qui ont porté leurs fruits. Ces petits encarts sont très peu détaillés, sans analyse post-événement. De plus, il n’y a pas d’historique des campagnes : seules sont accessibles les campagnes récentes. Il n’y a pas de retour sur les situations pour voir comment elles ont évolué.
La dispersion des campagnes – qui traitent aussi bien du climat, que de la protection de l’environnement, en passant par les droits humains–, ne leur permet pas d’approfondir un sujet en particulier.
Par ailleurs, Avaaz revendique un certain nombre de victoires, dont il est difficile de vérifier si elles peuvent être attribuées directement à leurs pétitions. Prenons l’exemple de l’autoroute en Bolivie, repris d’une liste de succès d’Avaaz citée dans l’article « Nous avons dix millions de membres actifs dont un million en France » par Jean-Luc Martin-Lagardette, dont la construction aurait été empêchée grâce à Avaaz.
Ils le présentent de la manière suivante : « Avaaz a stoppé la méga-autoroute qui aurait tranché en deux les terres protégées des peuples indigènes de Bolivie ». Mais les peuples indigènes sont au nombre de trente-six d’après la constitution bolivienne. Le fait de parler de « terres protégées des peuples indigènes » sans spécifier de quels peuples il s’agit montre leur méconnaissance de la réalité bolivienne. Avaaz a-t-il seulement noué des contacts avec les peuples Chiman, Mojeño et Yuracaré, opposés à la construction de l’autoroute ? Accepteraient-ils que l’on se réfère à eux en ces termes ? Aussi, il n’est pas averé que la construction de l’autoroute ait été stoppée définitivement.
D’après nos renseignements, une opposition de points de vue est apparue rapidement. D’une part, la thèse « merveilleuse » d’un mouvement citoyen révolutionnaire qui contribue à améliorer le monde est relayée par leur site. D’autre part, plusieurs personnes s’interrogent dans des forums, par exemple, dans celui du site d’Agoravox, sur l’identité d’Avaaz et se méfient de cette organisation, en apparence si idéaliste.
Si on essaye de comprendre d’où vient cette méfiance vis-à-vis d’Avaaz, tout d’abord on doit admettre que l’organisation est peu transparente à plusieurs égards. Sur leur site, on apprend qu’Avaaz est financée par des dons privés et ne demande des subsides à aucun gouvernement.
Qu’Avaaz est enregistrée dans l’Etat du Delaware aux États-Unis (un paradis fiscal par ailleurs), mais que ses salariés sont répartis dans le monde. Ce sont à peu près les seules informations disponibles pour cerner l’organisation. En effet, on ne trouve aucun organigramme de la société. Il est donc impossible de savoir qui est responsable de quoi, seule une adresse mail générale est accessible. Concernant leurs comptes, on sait seulement qu’ils sont contrôlés une fois par an, par un audit financier.
Il y a aussi le fait qu’Avaaz, revendiquant son indépendance vis-à-vis de tout gouvernement, ne reçoit aucune subvention d’Etat ou d’organisations. Elle dit recevoir uniquement des dons privés, qui n’impliquent aucun contrôle, aucun programme définissant des objectifs précis à remplir, comme c’est le cas pour la plupart des ONG.
Mais ce qui laisse véritablement penser aux sceptiques qu’Avaaz joue le jeu des grandes puissances est leur positionnement en Syrie, qui prône clairement l’interventionnisme. Un article du Monde [1] reprend le programme d’Avaaz pour la Syrie : « Reconnaître le Conseil national syrien (la principale plate-forme d’opposition), comme le représentant légitime du peuple syrien », ce qui impliquerait la rupture des derniers liens diplomatiques avec Damas ; « durcir les sanctions » contre le régime, au risque de pénaliser aussi la population et « instaurer une zone de sécurité pour les civils », ce qui supposerait, même si Avaaz ne le mentionne pas, une forme d’intervention militaire étrangère en Syrie.
Sans entrer dans un débat de type « théorie du complot », nous pouvons démystifier cette organisation. Avant d’être un mouvement citoyen révolutionnaire, Avaaz est une ONG de marketing, qui joue sur sa communication aromatisée et démagogique. Elle use de nombreux artifices et fait miroiter aux gens un monde qui serait meilleur grâce à elle. Vu l’adresse de leur communication, cela pourrait paraître paradoxal qu’ils ne communiquent pas sur l’association elle-même : qui a fondé Avaaz, qui sont ses directeurs, ses salariés, comment les contacter, comment sont-ils répartis dans le monde ? Ce mystère est peut-être sciemment entretenu…
[1] Avaaz, le trublion de l’humanitaire, passe à l’offensive contre le régime syrien, par Benjamin Barthe et Laure Stephan publié le 10 mars 2012.