Les régions reculées du Congo sont le royaume de Congo China Telecom, par Wendy Bashi
Si les réseaux sociaux, Facebook, Twitter et Youtube ont pu contribuer à la chute de certains régimes en Afrique du Nord, la réalité est plus complexe en République démocratique du Congo (RDC). Très peu de Congolais ont accès à internet et l’utilisation des réseaux sociaux n’a pas vraiment pesé lors des dernières élections de novembre 2011.
Les évènements qui ont secoué le monde arabe ont pu laisser penser qu’il suffit d’être équipé d’une bonne connexion pour être acteur du changement. En RDC, lors des élections présidentielles de novembre 2011, des journalistes se sont tournés vers les réseaux sociaux après la suspension du signal de Radio France Internationale et celle des SMS avant l’annonce des résultats.
Junior M, jeune journaliste, a fortement utilisé internet et les réseaux sociaux pendant les élections. Sa principale motivation était de récolter les informations pour les répercuter sur les réseaux sociaux et informer le plus grand nombre : « Mon rôle était de communiquer les infos censurées que les médias ne transmettaient pas. Il n’est pas étonnant de voir sa chaîne suspendue : tout le système de diffusion TNT actuel est contrôlé par le ministère des Médias. Pour une page Facebook ou un site web comme direct.cd ou lecongo.info, c’est difficile ».
Junior n’est pas le seul à s’être emparé de l’outil internet pendant la période électorale. Francis est un jeune homme bien ancré dans son époque et conscient des réalités sociales et économiques de son pays. Pour lui, les réseaux sociaux doivent jouer un rôle politique : « La technologie mise à notre portée ne doit pas seulement être un vecteur de transmission de photos ou de vidéo, mais aussi et surtout un instrument contribuant à l’éveil des consciences et du rôle que la jeunesse peut avoir dans nos pays dits sous-développés. Pour ceux qui y avaient régulièrement accès, internet a favorisé le débat, les langues se sont déliées ».
Mais beaucoup, justement, n’y ont pas accès. En RDC, le taux de pénétration du Net à l’intérieur du pays est très faible ; seule une infime proportion de la population peut en user. Pour Mugisho, informaticien congolais vivant en Inde, ceux qui utilisent l’internet le font généralement de manière utilitaire (traitement de textes, envoi d’emails…).
Qu’utilise le reste de la population ? Les SMS, pardi ! Marti Waals, agent de développement depuis une trentaine d’années au Congo, remarque que l’arrivée de nouveaux moyens de communication reste un facteur à ne pas négliger. Pendant les années Mobutu, seuls les médias traditionnels (TV, radio et presse écrite) avaient la primeur de l’information. Aujourd’hui, on peut constater que la multiplication des supports permet à tout le monde, même dans les campagnes, de savoir ce qui se passe. Dans ces régions reculées, les pylônes d’internet sont parfois remplacés par ceux de la CCT (Congo China Telecom), Airtel et tous ces opérateurs téléphoniques qui fourmillent sur l’ensemble du territoire.
C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles les SMS ont été coupés par le gouvernement, nous dit cette source qui a souhaité garder l’anonymat… Quand on sait qu’un SMS coûte approximativement 0,01$ chez CCT, on comprend que l’information circule assez rapidement et à moindre coût. D’après le gouvernement, cette coupure était censée limiter la diffusion de messages haineux via les SMS. Mais, selon cette même source sus-citée, la raison première était bien de contrôler l’information.
Information qui reste, malgré tout, une denrée rare, comme le rappellent Alexis Bouvy et François Van Lierde, les initiateurs du projet Local Voices. Il faut parfois aller la chercher loin. « Via notre site web, nous avons voulu relayer l’information électorale d’une région enclavée du Congo, où il n’y a ni téléphones portables ni cybercafés. Local Voices, comme son nom l’indique, a voulu être le porte-voix des communautés rurales oubliées du Congo ».
S’ils peuventa fournir vite, au plus grand nombre, des informations essentielles, les réseaux sociaux sont aussi propices à la manipulation et sensibles à la rumeur. Julien Vlassenbroek, journaliste au département internet de la RTBF rappelle qu’internet « est accessible à tous, aussi bien aux adversaires qu’aux partisans d’un quelconque changement ».
Un journaliste de la VRT, Peter Verlinden, spécialisé dans l’actualité internationale africaine, a, lui, fait les frais d’une utilisation « étrange » du web. A son retour du Congo, il a donné une interview dans l’émission Reyers Laat où il a tenté d’expliquer son point de vue, fort de son séjour congolais pendant les élections. A son grand étonnement, certains sites web et pages de réseaux sociaux ont repris ses propos pour discréditer le processus et contester les résultats publiés par la Commission électorale. « Je suis journaliste et je ne suis pas responsable de la manière dont mon propos va être récupéré par un tel ou un tel autre groupe. Je trouve dommage que mon discours ai été récupéré pour servir ce genre de causes. Je ne défend les intérêts d’aucun candidat congolais ; ce qui m’importe, c’est ce peuple, qui encore une fois a manqué son rendez vous avec l’histoire ».
Dans les pays d’Afrique du nord, on a vu la force fédératrice et structurante de la toile. Mais comme le relève Lilian Wagdy, jeune blogueuse cairote : « Internet a juste été un outil, pas l’élément déclencheur. Mon peuple vivait depuis bien trop longtemps dans une situation d’injustice et de frustration. Internet n’a été qu’une arme pour nous faire entendre, la révolution reste celle des peuples ! ».