Épisodes d’une formation pour jeunes demandeurs d’emploi, par Michel Elias
Personnages par ordre d’apparition : deux animateurs d’ITECO, un animateur de l’ABOS (AGCD en flamand), une douzaine de participants, un attaché de cabinet,
un animateur de l’AGCD (en retard), un fonctionnaire retraité.
Par un frileux matin de décembre, deux animateurs
d’ITECO pénètrent sous le
porche art-déco d’un couvent
de capucins. La bâtisse recyclée
dans l’accueil de groupes
est de briques sombres, austère,
accroupie comme une géante,
la tête dépassant les bosquets
du plat pays flamand.
Les briques, les arbres rabougris,
l’espace qui bée sur le ciel
noirci oppressent comme des
injonctions paradoxales. Un
bonheur réglementaire de sanatorium
ou la réminiscence totalitaire
d’ Auschwitz.
Les deux collègues sont habités
d’un malaise et leurs pas gémissent
sur les dalles du cloître.
Ils ont le petit trac habituel du
début de chaque groupe. Mais il
y a plus. Quelque chose comme
le sentiment diffus de tomber
dans un piège. Normalement ils
n’auraient pas dû être là
aujourd’hui. Demain seulement.
Aujourd’hui c’est le jour
de l’accueil, du lancement de la
formation. C’est le rôle de l’animateur
de l’AGCD. Le travail
dévolu à ITECO, c’est plus tard.
Mais ils ont voulu être là, ils ont
eu l’autorisation du ministère.
Ils veulent être là au début, pour
voir. C’est important ce qui se
dit au début. Et puis il y a les
présentations des participants,
la glace brisée... Ceux qui débarquent
ensuite dans un groupe
sont toujours plus ou moins des
intrus illégitimes. Comme ils
ont à travailler sur les motivations
des gens, il vaut mieux
gagner la confiance, être là à
l’origine des choses...
Le jour gris du préau se plombe
un peu plus au travers des baies
vitrées. Ils marchent sous les
voûtes dans une aurore de gel.
Personne.
Chuchotements à droite, trois
formes incertaines dans la pénombre.
Présentations : le fonctionnaire du ministère, aussi
athlétique que flamand, l’animateur
du groupe de l’ABOS,
l’attaché de cabinet...
— L’animateur de l’AGCD n’est
pas encore arrivé... —dit l’athlète,
et il ajoute— : Nous allons
commencer par le groupe
flamand. (Ils sont tous là à
l’heure, eux !).
Les trois personnages s’éloignent
laissant les animateurs
d’ITECO devant une lourde porte
de cloître où s’affiche « AGCD ».
Ils entrent.
Une salle de classe vert pomme
éclairée au néon, un piano, un
tableau blanc, des plantes vertes
à la fenêtre : une école de
notre enfance. Une douzaine de
personnes clairsemées et silencieuses
autour des tables disposées
en carré. Les regards scrutent
les nouveaux venus, l’air
de dire « enfin quelque chose
se passe ! »
— Bonjour !, dit l’animateur
d’ITECO n°1.
— Salut !, dit à son tour l’animateur
d’ITECO n°2.
Puis ils font le tour du groupe,
serrant les mains, avec un sourire
comme pour dire « c’est
chouette ici, il y a longtemps
que vous vous amusez comme
ça ? ». Ils s’asseyent sagement à
côté des autres et se mettent
comme eux à attendre de toutes
leurs forces.
Le temps passe. Les gens commencent
à se parler timidement.
Les deux animateurs d’ITECO
font de même dans leur coin. Ils
s’inquiètent, se demandant entre
eux s’il faut agir, jouer leur
rôle d’animateurs, prendre les
choses en main...
— Après tout —tranche l’animateur
n°2—, le contrat est
clair. ITECO n’est pas co-organisateur
de la formation. On n’a
rien eu à dire ni sur le lieu, ni sur
les dates, ni sur les contenus...
On est là pour une intervention
ponctuelle : travailler les motivations
et l’interculturel...
Entrée de l’attaché de cabinet.
Discours de l’attaché de cabinet.
Sortie de l’attaché de cabinet.
Il a parlé, répondu à des questions,
n’a regardé personne. Il
est très pris.
Que faut-il en retenir ? Le ministre
mène une politique. Il
veut le changement (enfin). Il a
raison (en gros). Tout va bien et
ce qui va moins bien va s’arranger.
En attendant, les participants
sont les bienvenus à cette
première « formation pour jeunes
demandeurs d’emploi ».
— Certes —dit l’attaché de cabinet—,
on nous a critiqués
quand nous avons conçu ce projet
! On nous a dit « vous voulez
envoyer dans le tiers monde
des jeunes sans expérience ! ».
Mais ce que nous voulons c’est
un travail de sensibilisation des
jeunes, c’est que ces jeunes fassent
une première expérience,
qu’ils effectuent une prise de
connaissance de la réalité du
terrain, qu’ils se rendent compte
pour qu’ensuite ils envisagent
éventuellement un départ plus
long dans le cadre de la coopération.... Nous, on veut introduire
des jeunes dans le circuit
! Dans les ONG, c’est toujours
les mêmes vieux coopérants.
On ne peut tout de même
pas forcer les ONG a recruter des
jeunes ! Les coopérants eux-mêmes
trouvent qu’il n’y a pas
assez de jeunes qui entrent dans
le circuit...
A présent les participants sont
autorisés à poser des questions.
Ils demandent : « La formation
qui commence ici est-elle équivalente
au cycle d’orientation ? (Oui, répond
l’attaché de cabinet) « On
n’aura donc pas à la refaire si
nous partons ensuite avec le
statut de coopérant ? » (Non
non, répond l’attaché de cabinet).
« Les problèmes d’assurances
sont-ils débloqués ? Des
points de chute existent-ils pour
nous dans le tiers monde ? Les
ONG proposent-elles des postes,
jouent-elles le jeu ? Pensez-vous
réellement ce que vous
dites ? Pensez-vous réellement
ce que vous dites quand vous
dites que notre départ n’est
qu’une question de quelques
semaines ? »
— Si si —répond l’attaché de
cabinet—, je vous assure, début
97 ! ».
L’attaché de cabinet rajuste sa
cravate et sort, il est très pris.
L’animateur de l’AGCD en retard
entre, accompagné d’un
monsieur âgé tiré à quatre épingles.
Bonjour. Le monsieur âgé
est un fonctionnaire retraité de
l’AGCD chargé de présenter dans
tous les stages l’action de l’administration.
Il dit aux participants
qu’ils ont de la chance
parce que la formule de formation
qu’ils commencent
aujourd’hui est plus avantageuse
que la formule habituelle,
car elle combine la formule
AGCD et la formule ITECO d’un
seul coup ! Les animateurs ITECO
se regardent interloqués. Le
fonctionnaire chic et retraité
enchaîne les recommandations :
« Vous allez avoir des conférences,
ne vous laissez pas accabler
par les contenus, n’hésitez
pas à interrompre l’orateur ;
vous avez avec vous un animateur
en permanence, c’est l’animateur
de l’AGCD ; vous, le
groupe, soyez actifs et éveillés,
investissez-vous, nous voulons
de la pédagogie active. Il y a
aussi une documentation à distribuer.
A la fin il y aura un
examen écrit et un oral, il y aura
aussi un test psychologique ».
Un froid glacial gagne le groupe
et atteint même les animateurs
ITECO qui se demandent de plus
en plus s’ils ont vraiment bien
fait de venir. Le monsieur chic-retraité-
actif commence un exposé
bien huilé, mis au point
depuis longtemps. Il présente
l’action de l’administration pour
le développement. Il y a des
chiffres irréfutables, des courbes,
des tendances. Le groupe
est une banquise même pas
égayée par des ours. Chacun se
demande ce qu’il est venu faire
là. Un participant retardataire
fait heureusement son entrée,
s’excuse, ne sait pas où poser
son sac. Ce qui donne l’idée au
retraité dynamique de proposer
une amnistie : nous irons boire
une tasse de café ! Le groupe
s’ébroue vers le réfectoire. Immense
salle surveillée par douze
apôtres attablés avec Jésus sur
le mur du fond.
Mais l’exposé reprend son
cours, bétonné, sans faille. La
Vérité. Comment retenir tout
ça ? Ça bouillonne à l’intérieur,
mais on ne voit rien. Pourtant
chacun a envie de mordre son
voisin, ça se voit aux mains
crispées, aux mouvements saccadés
des pieds, à quelque chose
dans le regard. Un cri intérieur
résonne dans les têtes : « C’est
cher payé pour un projet aussi
merdique ! ».
Le fonctionnaire pré-mort continue
sur le bi-multilatéral et
ses merveilles.
Trois années se passent avant la
conclusion du texte
macaronique : « L’interaction
entre le Nord et le Sud peut se
faire grâce aux rencontres...
Vous verrez, en allant là-bas,
que la découverte de l’Afrique
est quelque chose qui est inoubliable
! C’est là le grand intérêt
de ce projet qui vous amène
ici ! ». Amen !
Les deux animateurs d’ITECO
n’osent plus se regarder. Ils vivent
un sentiment de honte d’être-
là-silencieux. Situation
torturante. Comme s’ils faisaient
partie d’une rangée de
pots de yaourt recevant le divin
ferment d’un pontife assermenté.
Ils se demandent quoi
faire et se sentent coupables de
laisser le groupe en détresse.
Comme des sous-officiers en
première ligne d’une bataille
absurde décidée dans un état
major irresponsable. Entre passivité
et rébellion.
La cloche de la tour sonne la
demie de quatre heures. Les
deux animateurs d’ITECO prennent
le café avec l’animateur de
l’AGCD.
— C’est dingue ! —soupire
l’animateur d’ITECO n°1 qui s’escrime
en vain pour extraire de
son emballage sa frangipane
industrielle.
— Oui, il y en a deux en tout et
pour tout. Deux sur tout le
groupe ! —grogne l’animateur
d’ITECO n°2—. Deux qui ont le
profil prévu... Ça ! des jeunes
sans expériences ? Il y a même
un type de trente-quatre ans qui
a rebâti une école au Caire ! Et
le mec qui fait des audits dans le
privé... ».
Les deux autres soupirent, tout
occupés à nettoyer leurs doigts
collants de confiture d’abricots.
Puis l’animateur de l’AGCD se
met à farfouiller dans son porte-documents
avec ses trois doigts
encore propres...
Le réfectoire est un espace
paysagé grand comme un hall
de gare. Des plantes en caissons
alternent avec des cloisons en
formica à roulettes. La dernière
cène, fresque moderne années
soixante, surplombe le percolateur et les convives. Les apôtres,
en état de choc manifeste,
sont attablés devant trois petits
pains et zieutent sans intention
d’y toucher les frangipanes sous
cellophane.
— Mais tu as bien entendu le
petit blond là, celui qui s’appelle
Robert ou Roland, tu sais,
celui qui est kiné. Il a dit qu’il
avait téléphoné avant-hier au
service de formation de l’AGCD
pour s’informer des dates du
prochain cycle de formation
pour les coopérants et que la
dame lui a dit de s’inscrire à ce
stage-ci de jeunes demandeurs
d’emploi ; qu’il aurait le même
certificat, avec la même valeur
et que s’il ne s’inscrivait pas il
aurait à attendre trois mois pour
le prochain cycle... ».
Les trois hommes regardent
leurs tasses vides d’un air accablé.
Entre l’envie et le dégoût
d’une autre tasse.
— Ils sont sympas tout de
même ! —constate bonasse
l’animateur d’ITECO n°1, jamais
en reste d’attendrissement
quand il est question de participants
et de groupes.
— Oui, Katia est mignonne
— dit l’autre, plus pratique—.
Beaux yeux !
Sur ce terrain l’animateur n°1
se garde de donner son opinion,
il passe à autre chose :
— Tous comptes faits, c’est un
groupe comme on en a habituellement
dans nos stages.
Plein de gens qui ont bourlingué,
fait des trucs, qui ont des
contacts dans le Sud, ont déjà
travaillé...
— Oui —répond l’autre et il
ajoute lyrique— : sauf que sur
le front des participants de ce
stage-ci l’administration a posé
le stigmate décoratif du chômage.
L’animateur de l’AGCD trouve
enfin sa feuille de notes, l’agite
euphorique au dessus de sa tête
et la pose précautionneusement
entre les miettes de gâteau. Il se
met à énumérer :
— Betty, 28 ans, six mois au
Brésil avec des femmes battues...
Thierry, 27 ans, cuisinier, théâtre
en Australie...
Philibert, 30 ans, recyclage
d’ex-tontons macoutes en
Haïti...
La feuille de papier fait buvard
et boit par la tranche de gauche
une petite flaque de thé au lait.
L’animateur de l’AGCD l’essuie
du tranchant de la main et continue :
— Étienne, 32 ans, sociologue,
a organisé une rencontre sportive
internationale au Zimbabwe...
Gérard, 34 ans...
— Dans le lot il n’y a que Léa et
Manu qui correspondent à l’arrêté
! —interrompt l’animateur
d’ITECO n°2—. Ils ont 20 ans,
sortent de l’école, sont en stage
d’attente du chômage...
Cinq heures moins le quart sonnent
à la tour. L’animateur de
l’AGCD se lève en disant « bon,
on y va », la formule rituelle
de l’ animateur qui en a marre
mais qui, professionnel, est déterminé
à tenir jusqu’au bout.
Il ajoute à l’intention des deux
autres :
— Alors, on se revoit demain
matin ?
— O.K. On fera le jeu des cinq
questions. Et qu’est-ce que vous
faites ce soir ?
— Musique africaine.
Il fait nuit devant le couvent.
Impossible de faire démarrer
cette bagnole. Il a plu toute la
journée sur Vaalbeek. C’est le
delco qui a pris l’eau ? On ne va
tout de même pas passer la nuit
ici ! C’est pas prévu dans le
contrat avec l’AGCD. L’animateur
n°2 court chercher de l’aide
et ramène le grand Stéphan. On
pousse la R5 dans l’allée. Explosions
stériles. Soubresauts
et hoquets. Après trois-cents
mètres sur le petit chemin bétonné,
le moteur crachote et
prend enfin. Stéphan disparaît
dans les volutes d’échappement.
On lui dira merci demain.
Pluie battante sur l’autoroute.
Les balais d’essuie-glace dansent
leur ronde hypnotique.
— Ça a finalement démarré—
dit l’animateur n°1.
— Oui, grâce à Stéphan —dit le
n°2.
— Non, je voulais parler du
groupe...
La voiture s’arrête au feu rouge
puis s’engage sur la nationale.
Le pare-brise s’embue malgré
la soufflerie...
— Le groupe a finalement vraiment
démarré ce matin. Le jeu
des cinq questions a bien donné.
Tu ne trouves pas ?
— Oui —concède l’autre.
— Les gens avaient envie de
parler —constate l’animateur
n°2—. C’est la petite Carole
qui a sonné l’hallali, quand elle
a dit que de toutes façons elle
partirait, AGCD ou pas, statut de
coopérant ou pas, qu’elle n’en
avait rien à foutre des bons sentiments,
des projets et des programmes,
qu’elle partait point
final et que si elle pouvait avoir
un statut tant mieux... On aurait
dit que ça n’attendait que l’occasion
pour sortir...
Du monde sur l’autoroute. Où
vont tous ces gens ?
— Finalement dans ce stage, les
autorités peuvent pavoiser ! Le
ministre et son administration
vont se congratuler. D’un côté
tu as le ministre qui commence
à voir un début d’exécution à
son projet débile déjà claironné
dans la presse, et de l’autre, tu
as l’administration qui n’y a
jamais cru, mais qui a réussi à
exécuter les ordres sans trop se
bouger et en traînant les pieds.
Il lui a suffi d’avoir l’idée de
remplir les places vides avec
des figurants recrutés parmi les
candidats habituels. Ils ne sont
plus tout jeunes, d’accord ! Mais
ils sont quand même chômeurs,
non ? Ouf !
— Oui, et en plus —surenchérit
l’animateur d’ITECO n°2— les
participants y ont trouvé leur
compte aussi ! Ils veulent mettre
les bouts dans le Sud et ils
ont réussi à prendre un raccourci.
Ils sont sortis de la file
d’attente et ont gagné quatre
mois sur les autres candidats !
Sur la bande inverse de l’autoroute,
bondée par l’heure de
pointe de la sortie de Bruxelles
les véhicules roulent au pas.
— Le seul qui est persuadé
d’avoir réalisé quelque chose
de neuf, c’est sans doute le ministre
! —ironise n°1, qui enchaîne—
: Et l’attaché de cabinet,
tu as vu hier matin, c’est
marrant, il parlait au groupe
comme s’il avait devant lui la
patrouille des Castors. Le type
ne s’est absolument pas rendu
compte à qui il avait affaire !
En se carrant plus à fond sur le
siège de la bagnole, l’animateur
n°1 se met à repenser au
groupe, il se repasse mentalement
le film, il revoit les visages
des participants ; quinze
existences qui se croisent le
temps dérisoire d’une formation.
Il se sent comme le concierge
indiscret d’un immeuble
éphémère. Drôle d’immeuble
squatté par de jeunes adultes
migrateurs. Ils mènent leur barque
en cabotant entre les écueils
du chômage et en s’aidant de
toutes les perches tendues par
le système. La débrouille.
Comme à Kinshasa, comme à
Manille, mais avec de l’argent
public en plus. C’est la mondialisation
de la galère, tempérée
au Nord par des politiques vestiges
de la social-démocratie.
L’animateur a l’impression soudaine
d’être devenu très vieux.
S’il avait leur âge aurait-il pu
agir comme eux ? Se serait-il
engouffré dans ce projet d’envoi
de demandeurs d’emploi ?
Aurait-il perçu ce projet comme
une opportunité ? On aurait
trouvé ce truc pas sérieux, se
dit-il, on voulait du solide même
si on contestait tout. Fallait un
politicien issu des sans frontières
pour inventer un truc pareil
susceptible de donner à l’électeur
l’impression qu’on s’occupe
à la fois du chômage et des
malheurs du Sud, mais qui soit
en fait un hochet de plus pour
les enfants du Nord !
— Oui —dit soudain n°2— y’a
pas à s’en faire pour eux ! Reste
à voir ce que ça va donner au
Sud, ce que les gens de là-bas
en penseront. Ça leur fera sans
doute encore un peu plus de
problèmes à régler. C’est dingue
! Cette manie de ne jamais
leur demander leur avis !
Comme si on savait ce qui est
bon pour eux !
— Bah ! Pour eux non plus faut
peut-être pas trop s’en faire !
Tu te souviens ? On avait déjà
fait cette constatation en juillet
à propos de ce projet foireux
d’adduction d’eau au Mali. Finalement
les gens s’en tirent en
dépit des projets qu’on fait sur
eux, ils se débrouillent de manière
complètement inattendue
pour gérer les conneries de la
coopération.
Sur l’autoroute, la circulation
redevient plus fluide, les lumières
des voitures font une large
rivière de diamants et de rubis.
Le vingt-et-unième siècle est
proche. L’an 2000 de nos livres
d’enfant est là. C’était donc ça,
l’an 2000 ? Les animateurs
d’ITECO sont perdus dans la foule
anonyme des bagnoles qui glissent
sur les épaules du Vlaams
Brabant. Comme dans les romans
de Saint-Ex, ils ne sont
qu’une petite lumière dans le
scintillement du fleuve d’autos.
Une petite bulle irisée, dérisoire
qui coule avec le flot. Tout trac
en eux a disparu. C’est la détente
des soirs d’animation, le
retour au bercail, entre commentaires
et silences.
L’animateur n°2 se met à ricaner.
L’autre ne prend pas la
peine de lui demander pourquoi,
tant il sait que l’explication
doit venir.
— Tu sais pourquoi je me
marre ?
— ...
— Je pense à l’évaluation de ce
programme d’envoi de jeunes
chômeurs dans le tiers monde.
Je vois d’ici ce que ça peut
donner ! Par contre, ce que les
gens du Sud auraient à en dire,
ça m’étonnerait que ça apparaisse !
— D’abord faut voir si l’administration
en fera une évaluation.
Puis ensuite, s’ils utilisent
leur méthode PIPO...
Les deux animateurs ITECO se
mirent à rire, seuls les initiés
comprendront pourquoi.