Aucun argument
juridiquement fondé ne
pouvait justifier
l’arrestation de Pinochet
et autoriser son
extradition, selon Lord
Slynn of Hadley,
président du tribunal des
Lords qui s’est prononcé
sur l’immunité de
Pinochet en novembre
1998.
Le gouvernement chilien
et le Vatican, entre
autres, partagent son
analyse
MY LORDS,
Le défenseur de cet appel est
censé avoir commis ou avoir
été responsable de l’accomplissement
des crimes les plus graves
: génocide, meurtres de
masse, tortures, prise d’otages.
Au cours de 1998, onze procès
criminels lui ont été intentés au
Chili à cet égard. Des actions
ont également été intentées devant
une cour espagnole. Cette
dernière a estimé qu’elle était
compétente pour le juger. Dans
cette action récente, on n’accuse
pas le défendeur d’avoir
commis personnellement aucun
des crimes susdits.
Si la question posée à vos Seigneuries
dans cet appel était de
savoir si ces allégations doivent
être examinées par une cour criminelle
au Chili ou par un tribunal
international, la réponse,
soumise aux termes de toute
amnistie, serait certainement
affirmative. Mais telle n’est pas
la question et il importe de se
rappeler tout au long de notre
examen que telle n’est pas la
question. On ne demande pas à
vos Seigneuries s’il faut intenter
une action contre le défendeur,
ni même s’il doit être en
définitive extradé vers un autre
pays (cette question concerne
le secrétaire d’Etat) ni à fortiori
s’il est personnellement coupable
d’avoir commis ou responsable
d’avoir laissé commettre
ces crimes. La seule question
posée est de savoir s’il a droit,
en tant qu’ancien chef d’Etat, à
l’immunité d’arrestation et
d’extradition hors du
Royaume-Uni au sujet d’actes
censés avoir été commis pendant
qu’il était chef d’Etat.
Si les restrictions de son immunité
ne s’appliquent pas à un
chef d’Etat, elles ne sauraient
s’appliquer à un ancien chef
d’Etat qu’on cherche à poursuivre
pour des actes commis alors
qu’il était en fonction. On a toutefois
suggéré une autre restriction.
Au sujet d’actes accomplis
par une personne dans l’exercice
de ses fonctions comme
chef de mission, on dit que c’est
la seule « immunité » qui subsiste
tandis que les « privilèges
et les immunités cessent normalement
au moment où il quitte
le pays » (c’est-à-dire où il
quitte ses fonctions).
Quand un agent diplomatique
(chef d’Etat) est en poste, il
jouit de ces immunités et privilèges
en tant que tels - c’est-à-dire
ratione personae tout
comme, à l’égard des actions
civiles, il jouit de l’immunité
des cours du Royaume-Uni
sous la section 14 de l’acte de
1978 en vertu de sa charge.
Pour qui cesse d’occuper un
poste, « en ce qui concerne les
actes accomplis par cette personne
dans l’exercice de ses
fonctions » comme membre de
la mission (chef d’Etat), l’immunité
continuera de perdurer.
La question se pose alors de savoir
ce que sont les actes
(c’est-à-dire les actes officiels)
accomplis dans l’exercice de
fonctions de chef d’Etat. On a
déclaré, outre l’argument que
ces fonctions ne recouvrent que
les fonctions internationales, ce
que je rejette :
1) que les fonctions d’un chef
d’Etat doivent se définir par le
droit international et ne sauraient
être définies simplement
comme une affaire de droit ou
de pratique interne ; ensuite
2) que le génocide, la torture et
les prises d’otages ne sauraient
être tenues pour des fonctions
de chef d’état au sens du droit
international quand celui-ci les
tient pour des crimes contre le
droit international.
En ce qui concerne 1) je ne
crois pas que le droit international
spécifie la liste des fonctions
rentrant dans le cadre de
l’article 32 et celles qui n’y rentrent
pas ; le rôle d’un chef
d’Etat varie beaucoup d’un pays
à l’autre, y compris entre les
présidents de divers pays européens
et celui des Etats-Unis.
Le droit international reconnaît
les fonctions qui lui sont attribuées
comme chef d’Etat par la
loi ou, dans le pays dont il est
le Chef, comme étant en pratique
les fonctions afférentes à ce
poste, dans les limites des principes
généraux du droit international
habituel ou du droit interne
qui pourraient empêcher
de voir dans tel acte une fonction
de chef d’Etat.
A l’égard de 2), il est clair que
le droit international n’admet
pas qu’il revienne à un chef
d’Etat de commettre la torture
ou le génocide. Mais le fait
qu’en accomplissant d’autres
fonctions le chef d’Etat commette
un acte illégal ne signifie
pas qu’il doive être tenu
comme n’accomplissant plus
son office.
Si c’était le cas, l’immunité à
l’égard des actes criminels serait
vidée de l’essentiel de son
contenu. Je ne crois pas juste
de faire une distinction dans ce
but entre les actes dont la criminalité
ou l’immoralité est
plus ou moins grande.
Dans le cas qui nous occupe, les
actes allégués ont été commis
dans le cours de ses fonctions
lorsqu’il était chef d’Etat.
Les règles du droit international
habituel changent, il est
vrai. Par exemple, le concept
d’immunité absolue d’un souverain
a évolué vers une théorie
de l’immunité restreinte
pour autant qu’elle concerne les
activités commerciales d’un
Etat. Il importe donc de considérer
ce principe d’immunité à
la lumière des progrès du droit
international relatifs à ce qu’on
appelle les crimes internationaux.
Que les crimes de droit international
doivent être jugés devant
les tribunaux internationaux
ou dans l’Etat de celui qui
les a perpétrés est une chose ;
qu’ils soient invoqués devant
les cours d’autres Etats sans se
soucier d’une règle de droit international
habituel depuis
longtemps établie en est une
autre.
Il convient de considérer ce qui
s’impose —en l’absence d’une
convention internationale générale
définissant ou supprimant
l’immunité de chef d’Etat—
pour définir ou limiter l’immunité
d’un ancien chef d’Etat
dans des cas particuliers. A mon
avis, il est nécessaire de trouver
une provision dans une convention
internationale dont
soient signataires l’Etat soutenant
l’immunité d’un ancien
chef d’Etat s’agissant de ses actes
officiels, comme l’Etat
auquel on demande de la refuser.
Ladite convention doit clairement
définir le crime contre
le droit international et demander
à tel Etat de prévenir ou
poursuivre ce crime, qu’il ait
été ou pas commis dans sa juridiction
et par un de ses ressortissants
ou non ; cette convention
doit dire avec clarté qu’une
cour nationale peut connaître
d’un crime reproché à un ancien
chef d’Etat ou que l’avoir été
n’est pas une protection et
qu’expressément ou implicitement
l’immunité ne saurait
s’appliquer pour empêcher les
poursuites. Ladite convention
doit avoir force de loi dans les
cours nationales de l’Etat.
A cet égard, il faut déterminer
à quel moment s’abolit l’immunité
préexistante. A mon sens,
c’est à partir du moment où la
législation nationale devient valide.
Les actes commis par la
suite ne sont pas protégés par
l’immunité ; les actes commis
avant, pour autant qu’ils soient
par ailleurs appropriés, sont
protégés par l’immunité. Il me
paraît inexact en principe, de
dire qu’une fois que l’immunité
est abolie s’agissant de certains
crimes elle n’existe plus même
pour des actes accomplis alors
qu’elle existait et était tenue
pour valide. De même, il est fallacieux
de dire qu’une mauvaise
action peut être jugée
comme la fonction d’un chef
d’Etat jusqu’à ce qu’une convention
internationale déclare
que ledit acte est un crime.
Malgré les vues divergentes
quant à la portée de la doctrine
de l’Acte d’Etat, selon moi, une
fois établi que l’ancien chef
d’Etat a droit à l’immunité d’arrestation
et d’extradition sur les
bases que j’ai indiquées, les
cours du Royaume-Uni ne jugeront
pas des fait allégués pour
justifier l’arrestation, mais, selon
la formule de Lord
Wilberforce, elles feront preuve
« de retenue ou d’abstention juridiques ».
Ainsi, à mon avis, le défendeur
était fondé à revendiquer l’immunité
d’ancien chef d’Etat
contre l’arrestation et les poursuites
d’extradition au
Royaume-Uni au nom d’actes
officiels par lui commis alors
qu’il était chef d’Etat relatifs
aux charges du mandat d’arrêt
provisoire du 22 octobre 1998.
En conséquence, je rejetterais
l’appel.