Rendre la justice ou obtenir un compromis ?

Mise en ligne: 16 juillet 2012

Pourquoi il ne faut pas juger Pinochet (bis) :La dichotomie entre
tortures réactionnaires
et progressistes n’a
aucun sens pour
l’ancien dissident
polonais Adam Michnik

Le Général Pinochet a provoqué
un sanglant coup d’Etat et
instauré une dictature durable au
Chili. Mais, en même temps,
c’est l’homme qui a été le garant
de l’approbation par l’armée
de la transition pacifique vers la
démocratie. Son arrestation ramène
au premier plan la question
du bilan de l’époque de la
dictature, question présente dans
toutes les jeunes démocraties, y
compris en Pologne.

L’affaire n’est pas simple. Les
arguments politiques entrent en
conflit avec les arguments juridiques.
Parfois, divers courants
de l’ordre moral s’entrechoquent.
Or, qu’est-ce qui est plus
moral : rendre la justice au risque
de provoquer une nouvelle
guerre civile ou obtenir un compromis
entre les ennemis
d’hier ? Aucun dictateur ne
quitte la scène sans avoir obtenu
certaines garanties.

Je n’ai jamais été un partisan de
la dictature, qu’elle soit communiste
ou anticommuniste. J’y
voyais toujours le piétinement de
la liberté, de la dignité et de la
vérité. C’est pourquoi je n’ai jamais
accepté une double comptabilité.
Pour les éditorialistes de
gauche, Pinochet est un « bourreau
sanglant », tandis que Castro
est un « révolutionnaire romantique
 ». Pour ceux de droite,
Castro n’est qu’un bandit bolchevique
et un terrible tyran, et
Pinochet, le défenseur conservateur
des valeurs nationales et religieuses.
Pour moi, la dichotomie
entre les meurtres et les tortures
réactionnaires et progressistes
n’a aucun sens. Ils étaient
tout aussi répugnants en version
Pinochet qu’au pays de Fidel.
J’ai été contre la dictature aussi
bien au Chili qu’en Pologne, ce
que j’ai fait savoir plus d’une
fois. Et il est arrivé quelque
chose d’extraordinaire : au Chili
et en Pologne, les dictatures ont
été liquidées non par les barricades
et les poteaux d’exécution,
mais autour d’une table de négociations
et par un vote. Il n’y
a pas eu de justice et de revanche,
mais une paix sociale relative.

Malgré tout, je comprends le
point de vue des juges espagnols.
Ils ne veulent pas qu’on viole la
loi ; ils ne veulent pas non plus
que le crime reste impuni. Mais
cette médaille a deux facettes.
Pinochet a dans son pays de
nombreux supporters, pour qui
le procès du général équivaut à
briser le consensus intérieur. Les
Espagnols devraient garder en
mémoire les raisons qui les ont
poussés à laisser tomber les règlements
de comptes, nés du
franquisme. La voie espagnole,
pacifique et par la négociation,
est devenue un modèle pour de
nombreux peuples. L’Espagne a
été le premier pays à appliquer
cette invention, peut-être la
meilleure de ces dernières décennies,
à savoir le démontage
de la dictature par la voie de la
discussion et du compromis.