La tendance est à l’ouverture et à la mixité

Mise en ligne: 12 mars 2008

Être femme, pauvre et indienne c’est néanmoins subir une triple discrimination, propos de Sophie Charlier recueillis par Antonio de la Fuente

Sophie Charlier, vous êtes agronome et docteure en développement. Vous travaillez au Monde selon les femmes et à l’Université catholique de Louvain. Pensez-vous qu’il y a des ‘nouveaux’ mouvements de femmes en Amérique latine ?

Les mouvements de femmes et le féminisme ne sont pas nouveaux en Amérique du Sud. On les voyait déjà à l’œuvre au Mexique au début du vingtième siècle et très actifs un peu partout sur l’ensemble du continent dans les années soixante. On voit apparaître dans les années quatre-vingt et nonante un féminisme différent de celui que l’on connaît à la même époque en Europe. Le féminisme latino-américain explique les inégalités entre les femmes et les hommes comme conséquence du patriarcat mais également de la colonisation et du système économique libéral. Il rejette l’homogénéisation des femmes du tiers monde et leur cantonnement dans le rôle de victimes. Rigoberta Menchú, leader guatémaltèque, a mis en avant la triple discrimination dont souffre la femme indienne guatémaltèque : en tant que femme, en tant que pauvre et en tant qu’indienne. Les voies de sortie de cette oppression seront dès lors propres à la réalité latino-américaine, basées sur un travail sur l’estime de soi et des revendications sociopolitiques ; à la différence de l’Europe, où les revendications des femmes sont davantage liées à la sphère individuelle, aux droits reproductifs et aux revendications juridiques (le mouvement ne nie pas pour autant l’importance de celles-ci).

Ensuite, la mondialisation de l’économie est venue sans doute transformer en profondeur la situation des femmes latino-américaines.

Oui, par le biais de la précarisation croissante du travail des femmes, notamment dans les maquilas et autres usines de montage le long des frontières et dans les zones franches. Il y a aussi l’importance accrue des phénomènes de migration au sein du continent et jusqu’en Europe. Migration qui, au début, était presque exclusivement masculine et est devenue à présent également féminine. Tout cela amène beaucoup de violence contre les femmes, une violence intra et extra familiale. On assiste aussi, par ailleurs, à un développement de la prostitution dans les zones touristiques et le long des frontières, notamment entre la Colombie et le Venezuela. Depuis 1993 à Ciudad Juarez, à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, plus de 400 femmes dont la plupart des ouvrières des usines d’assemblage, ont été violées puis assassinées.

Avez-vous des exemples de l’action des mouvements des femmes ?

Il en existe beaucoup, mais je prendrais comme exemple la lutte des femmes contre la privatisation de l’eau à Cochabamba en Bolivie. C‘est un mouvement de femmes rurales : « la Coordination pour l’eau et pour la vie », qui a fait faire marche arrière au précédent gouvernement bolivien et à la multinationale Bechtec qui voulaient privatiser les sources d’eau alimentant la ville. A présent ce mouvement est représenté dans l’organe public de gestion de l’eau.

Qu’en est-il de la dépénalisation de l’avortement, reste-elle bloquée un peu partout par le pouvoir de l’Etat et de l’Eglise catholique ?

Cela varie d’un pays à l’autre. Et même à l’intérieur des pays. Au Mexique, par exemple, l’avortement a été dépénalisé à la capitale mais pas en régions. Dans la plupart des pays où le virage à gauche s’est opéré ou s’opère pour l’instant, la lutte pour les droits reproductifs n’a pas nécessairement été relayée par ces gouvernements de gauche. C’est le cas au Nicaragua, en Uruguay, en Argentine ou au Chili.

Dans votre première réponse vous avez fait la distinction entre mouvements de femmes et mouvements féministes.

Oui, les mouvements de femmes, surtout indiens ne se revendiquent pas nécessairement féministes même si ils ont des revendications féministes. De plus, sur le plan sociologique, en Amérique latine les militantes féministes sont souvent issues de la classe moyenne tandis que les mouvements des femmes font partie de la base, des travailleuses, des indiennes. Quoiqu’il en soit, ce sont des mouvements pluriels et dynamiques qui participent à l’égalité entre les sexes.

Les femmes participent aussi dans des mouvements « mixtes ».

Oui, et il y a une tendance à l’ouverture et à la mixité, même si ce sont des terrains qui restent difficiles pour les femmes. En Bolivie, par exemple, plusieurs femmes qui ont été élues aux Parlement se sont vues, par la suite, poussées à démissionner, pression qui venait de la part de leurs suppléants. Malgré cela, certaines ont des postes de responsabilité. La Bolivie est un cas intéressant à ce propos. Plusieurs femmes sont devenues ministres et une d’entre elles vice-ministre du gouvernement Morales mais à côté de cela le ministère du genre a été supprimé... Ainsi, le mouvement indigéniste voudrait faire croire que le repli vers des institutions traditionnelles de la culture indienne -aymara, dans ce cas-ci- comme le « chachawarmi », sorte de yin et de yang de la complémentarité entre hommes et femmes, assurerait à ces dernières l’égalité, ce qui dans la réalité vécue est faux ou, en tous le cas, fort discutable.