Présentation : Le développement, en VO ou sous-titré ?

Mise en ligne: 19 mars 2012

Le monde où chacun parlera sa langue et comprendra celles des autres se fait attendre, par Antonio de la Fuente

Il est délicat de traduire la notion de développement, son champ sémantique et les sous-entendus que cette notion comporte dans des langues qui ne possédaient pas ce terme avant la mise en place de programmes d’aide. La façon dont on perçoit le monde dépend du langage de même que c’est le langage qui détermine notre vision du monde.

« On raconte l’histoire d’une communauté villageoise au Cameroun, qui a vécu les effets du changement provoqué sous le nom de développement. On leur a dit que ses habitants pouvaient concevoir un projet, mais qu’ils devaient pour cela établir une planification sérieuse s’ils voulaient obtenir de l’argent des donateurs. Comme aucun mot pour ces notions étrangères n’avait encore été inventé dans leur langue, quelqu’un leur a expliqué ce que les Occidentaux comprenaient par ces concepts. Une fois leur curiosité satisfaite, ils ont traduit ce qu’ils en avaient compris dans des mots de leur propre langue. Depuis lors, dans ce village, le développement signifie « créer la pagaille », la planification est rendue par « le rêve du Blanc », et projet veut dire « demander de l’argent en Europe » [1].

Prenons le cas de la langue et de la culture aymara dans les Andes ou des Bantous d’Afrique centrale. Si pour les eux le temps est circulaire, se développer, se projeter dans l’avenir, équivaut à rencontrer le passé, à revenir en arrière en quelque sorte. Ne sommes-nous pas (eux et nous) au cœur d’un quiproquo relativement profond ?

Les langues sont des armes

Qu’est-ce qu’une langue ? « Un dialecte qui a une armée et une marine », disait le maréchal Lyautey, dernier conquérant colonial français [2]. Dans les principaux pays européens, l’homogénéité nationale à travers la création des Etats-nations a eu besoin d’une certaine homogénéité linguistique. Ce fut le cas de la France, de l’Allemagne, du Royaume Uni, de l’Italie, de l’Espagne, de la Russie. Ces Etats-nations devenus puissances coloniales, ont exporté et imposé leur modèle linguistique et culturel outremer et c’est ainsi que le monde s’est trouvé regroupé en ensembles linguistiques suivant les langues européennes des pays colonisateurs : monde anglophone, francophone, hispanophone, lusophone...

Puis, ce fut le tour des pays surgis de la décolonisation d’imposer à leurs propres populations le même principe d’homogénéité linguistique. Les principales langues parlées dans le monde, mandarin, anglais, espagnol, arabe, hindi, portugais, composent ainsi de vastes ensembles linguistiques.

L’Assimil du développement

Des lors, on peut se demander si cette homogénéité linguistique est une condition du développement. D’un certain développement modernisateur et productiviste, probablement. En contrepartie, une critique de ce type de développement est souvent allée de pair avec la promotion des langues en recul voire minoritaires. Car le fait est que tous les jours il y a une langue qui disparaît et que l’humanité semble s’acheminer vers une forme poussée d’homogénéité linguistique.

« On admet généralement qu’il existe environ six mille langues vivantes, et que plus du tiers disparaîtra peu à peu car elles sont parlées par moins de mille personnes. Sur ces six mille langues, les cent premières sont parlées par plus de 90 % de l’humanité » [3].

Malgré cela, sous l’impulsion des Etats, des politiques linguistiques volontaristes peuvent remettre sur pied une langue éteinte, comme ce fut le cas de l’hébreu en Israël, où l’Etat a déployé des moyens humains et financiers considérables pour parvenir à une véritable résurrection de cette langue. C’est aussi en partie le cas de la langue basque qui revit dans le nord de l’Espagne après une reconnaissance constitutionnelle qui a permis aux autorités régionales de mener une politique très active en la matière. Et de la langue grecque, qui représente aussi un cas particulier, dans la mesure où les Grecs ont décidé à un moment donné de consacrer un parler populaire comme langue officielle de l’Etat.

Dans l’Histoire, les peuples se sont souvent fait la guerre pour des questions liées à la langue. Avoir une langue en commun n’a néanmoins pas évité les pires atrocités. Les cas des Rwandais et des Serbo-croates en sont une preuve récente. Si tous les jours une langue disparaît, il ne se passe pas un jour sans que les langues ne fassent partie de l’actualité. La plus récente concerne le refus de la population lettone, via un referendum, d’inscrire la langue russe comme deuxième langue officielle du pays, décision contestée par la minorité russophone empêchée de participer à cette consultation.

En anglais, tu me captes ?

En Europe au Moyen Age la langue de communication entre les gens qui ne parlaient pas la même langue était le latin. En Afrique Centrale, à certains moments, le swahili a joué un rôle semblable, de même que dans les Andes ce fut le cas de la langue quechua. De nos jours, néanmoins la primauté en tant que langue internationale revient de plus en plus à l’anglais ou à une version simplifiée de l’anglais.

Que l’humanité toute entière se voit obligée de parler une langue, que seul un petit nombre de personnes peut revendiquer comme langue maternelle et qui n’est maitrisée correctement que par les élites, n’est-ce pas une injustice rampante, une de plus dans ce monde injuste ?

C’est un moindre coût du principe d’économie linguistique, à l’œuvre de tout temps, rétorqueront d’autres. L’anglais est de nos jours tout simplement le plus simple et commun dénominateur linguistique. Y a-t-il une alternative ? Certainement pas l’esperanto, qui un peu plus d’un siècle après sa création, est parlé par quelques centaines de milliers de personnes à peine. Et certainement pas non plus l’europanto, ce parler fantasque du quartier européen de Bruxelles, créé par Diego Marani, que tout le monde maîtrise et personne ne comprend.

En attendant qu’une lingua franca se stabilise, et en attendant aussi l’arrivée de la langue parfaite chère à Umberto Eco où chacun parlera sa langue et comprendra celles des autres, les francophones, les Parisiens les premiers, saupoudrent leur parler des expressions tirées de l’anglais. [4]

Comment écrit-on apprendre et enseigner ?

Question naïve : Est-ce plus difficile d’apprendre une langue ou de l’enseigner ? Pourquoi tant d’efforts déployés dans l’alphabétisation et l’enseignement des langues ne sont pas toujours couronnés d’effort et comment se fait-il qu’une partie de l’humanité reste confinée dans la seule expression orale ? La parole aux spécialistes. Bonne lecture.

[1Edith Sizoo, Ce que les mots ne disent pas.

[2Ranka Bijeljac et Roland Breton, Du langage aux langues, Gallimard, 1997.

[3Philippe Van Parijs, Le Rez de chaussée du monde.

[4Le site My little Paris en répertorie quelques-unes : Ça bugue sévère ce matin. Tu me l’envoies dans le workflow, je vérifie qu’il est bien tagué et je le publie asap. Ils sont overbookés, que c’est totalement confusant ou encore demander à quand est fixée la deadline ? Le projet a été totalement mal drivé, j’ai bien aimé ton input sur la réunion, il est pas très corporate, on est sous-staffé, je propose un brainstorm, y a plus qu’à. Le plus simple, c’est que je te briefe, et après, tu me débriefes, tu prends le lead sur le projet ?, je mets le projet sur ma to-do… Tu me captes ?