Imprévisibles, rapides, les révolutions arabes interpellent par l’absence de structures politiques qui en seraient le fer de lance, par Fouad Lahssaini
La révolte populaire en Tunisie suite au décès du jeune Bouazizi et la chute de Ben Ali auront été l’étincelle qui a mis le feu aux poudres dans plusieurs pays du Maghreb au Proche-Orient.
Pacifique, symbolisée par le jasmin et bien que réprimée brutalement, comme il est d’usage dans ces parties du monde, cette révolution a surpris tant par sa rapidité de la mobilisation populaire que par la vitesse de la chute d’un dictateur porté jusque là par les gouvernements occidentaux. Dans la foulée, Moubarak chutait en Egypte dans un scénario identique. Dans les deux cas, la touche finale était portée par l’armée qui refusait d’obéir aux ordres de tirer sur la population.
Et l’espoir est né de voir l’ensemble de la région mettre fin à des années d’humiliations héritées de l’époque coloniale.
Depuis lors, les peuples de la région découvrent aussi leur force de frappe, adoptent tous le fameux « Dégage » et revendiquent à l’unisson démocratie, dignité et justice sociale.
Dans l’ensemble de ces pays, les jeunes auront joué un rôle prépondérant et ont utilisé les nouveaux réseaux de communication pour déjouer les méthodes sécuritaires qui, jusque là, étouffaient dans l’œuf toute tentative de protestation.
Imprévisibles, rapides, ces révolutions interpellent aussi par l’absence de structures politiques qui en seraient le fer de lance.
Dans l’ensemble de ces pays en révolte, ni les islamistes, ni la gauche radicale n’ont été les précurseurs de ces mouvements populaires. Tout au plus tentent-ils aujourd’hui de les récupérer mais, du coup, exposent ces révoltes à des critiques qui fragilisent leurs mouvements et les privent d’un soutien plus large.
Certes, les différents pays en question ont chacun leurs particularités qui doivent nous inciter à la prudence lors de toute réflexion, mais le rôle prépondérant des jeunes et leurs méthodes d’organisation auront été un facteur identique et déterminant dans le déclenchement et la poursuite de la révolte.
Mais après ? Quelle place occupent-ils dans les révoltes encore en cours en Lybie, au Yémen, en Syrie ou le Maroc, dans celles qui ont débouché sur le départ de l’ancien régime comme la Tunisie et l’Egypte ?
S’il est encore trop tôt pour tirer des conclusions sur le rôle et la place des mouvements de jeunes dans ces révolutions, il y a toutefois des indicateurs qui permettent de poser des hypothèses sur l’évolution du rôle des jeunes et par la même du type de révolution qui se joue dans les différents pays.
On a tendance à l’oublier à présent mais, en Tunisie comme en Egypte, les informations livrées par Wikileaks ont servi de déclencheur en publiant les câbles diplomatiques sur ces deux pays. Les versions arabe et française de ces câbles ont été diffusées très rapidement, dès le début du mois de décembre. Ceux-ci ne faisaient pas que décrire la corruption des régimes, ils mettaient aussi en évidence leur extrême fragilité. Ces informations mettaient aussi en évidence le fait que les Etats-Unis ne soutiendraient pas les despotes en cas de conflits, en particulier avec leur propre armée ! En outre, elles mettaient l’Europe en fâcheuse posture en affaiblissant toute tentative de soutien à leurs ex-alliés.
Ainsi, les réseaux sociaux, et en particulier le canal de Facebook, servaient de lieux d’échange de ces informations mais aussi de mobilisation pour des jeunes qui avaient depuis longtemps perdu toute confiance dans leurs dirigeants et qui, comme le tunisien Bouazizi, se sont lancés dans un acte désespéré, les mains vides (ou, plutôt, le portable à la place du pavé) pour revendiquer une énième prise en compte de leur situation.
L’autre média à avoir joué un rôle non négligeable est la chaîne Al-Jazira, qui a pris fait et cause pour ces révolutions des jeunes et a joué un rôle crucial en particulier dans la révolution égyptienne lorsque Moubarak a décidé de fermer le web.
Si es jeunes ont été les premiers à lancer le mouvement, sans autre objectif que de voir « dégager » Ben Ali et accéder à la liberté et la dignité, ils risquent cependant d’être les oubliés de la révolution. Aujourd’hui, les tractations se passent entre les rescapés du régime de Ben Ali que la révolte n’a pas balayés et les partis politiques qui peuvent enfin sortir de l’ombre. Observateurs désabusés, absents des cénacles où se dessine la nouvelle architecture politique de leur pays, les jeunes tunisiens et plus particulièrement les sans emploi, sans diplôme, sans perspectives d’avenir, ils occupent la place publique, manifestent mais leur contestation est qualifié d’émeute et de plus en plus réprimée. Ces jeunes n’ont toujours pas organisé leur rang et voient leur révolution leur échapper. En Egypte, par contre, dès la chute de Moubarak, les jeunes se sont empressés de s’organiser et de constituer une délégation qui les représente légitimement.
Ces jeunes sont aujourd’hui ceux qui exigent le renvoi des militaires dans leurs casernes et menacent d’appeler à une autre marche de leur mouvement. En effet, en Egypte, les militaires se présentent comme les garants de l’évolution du processus de changement. Contrairement à la Tunisie, l’armée égyptienne était habituée au pouvoir. De par sa situation géostratégique, Moubarak avait besoin de l’appui de la grande muette et en avait fait un allié privilégié en accordant à l’establishment militaire des privilèges de pouvoir. Elle n’a pas « lâché » Moubarak pour lâcher le pouvoir mais pour mieux le garder. Ce sont ces militaires qui négocient aujourd’hui avec leurs alliés occidentaux, Etats-Unis en premier. Leur rôle apparaît de plus en plus comme les garants de la continuité du rôle que l’Egypte a à jouer dans la région.
Bien que la situation en Egypte et en Tunisie soit à un stade autrement plus avancée qu’au Maroc et rien (pour le moment) ne permette de dire que dans ce dernier l’évolution s’inscrive dans le même schéma que les premiers.
Ce numéro d’Antipodes présente une tentative d’approche de ce qui se passe aujourd’hui dans le monde dit arabe, où il est cependant davantage question de la situation en Tunisie et en Egypte que de la guerre civile déclarée ou latente en Lybie, la Syrie ou le Yémen.
Bonne lecture.
Fouad Lahssaini est président du Conseil d’administration d’ITECO.