Que faites-vous dans la vie ? Je suis responsable « qualité » dans une ONG

Mise en ligne: 17 juin 2013

Qui serait assez sot pour critiquer la qualité ?, par Nicolas Almau

Le mouvement de professionnalisation qui traverse les ONG n’est pas une nouveauté en soi ni fait figure d’exception. Des pans entiers du secteur non-marchand (hospitalier, services aux personnes) et du travail social connaissent également des transformations du travail à des degrés divers. Dès lors, on peut se poser la question de savoir quels sont les motifs qui conduisent à adopter des méthodes managériales.

Lors d’une série d’entretiens avec des permanents d’ONG et des membres des conseils d’administrations, la professionnalisation des ONG a été prise au prisme de la « démarche qualité » récemment adoptée par Acodev, démarche connue sous les sigles EFQM (European Fondation Quality Management).

En quelques années, la mesure de la qualité semble être devenue le critère de professionnalisation absolu ; mais qu’est-ce que l’EFQM ? Bien que cette démarche ait été envisagée pour le secteur privé, elle a commencé à être diffusée dans les associations, à l’instar d’autres dispositifs inspirés de la pensée managériale. Cependant, Adrien, responsable d’une ONG, nous rassure : l’EFQM n’est pas vraiment adapté aux ONG. D’où l’idée de le traduire en un langage propre aux ONG. Cette démarche vise à mener l’ONG à entamer une réflexion à propos de son organisation du travail et à instaurer une dynamique d’amélioration continue. Suite à une première phase d’autodiagnostic, le modèle propose la priorisation de projets d’amélioration et sa mise en œuvre selon trois objectifs-clés. Ces trois objectifs approuvés par l’organisation, ce sont alors trois « trajectoires d’amélioration » qui sont initiées pour une année.

Les personnes interviewées, pour leur part, définissent la démarche EFQM comme un outil d’apprentissage organisationnel, de gestion de savoir organisationnel ou de gestion de la qualité dans l’organisation au travers d’une confrontation dialectique des résultats et des processus internes ; un outil qui propose aux structures de ne pas avoir une lecture trop spécifique de la qualité mais d’avoir une lecture globale de ce qu’ils font ; ou encore un bon outil de motivation du personnel au sein de l’équipe.

Une dynamique qui s’alimente elle-même donc, une amélioration continue, une identification nette des objectifs à mettre en œuvre au sein de l’organisation et une excellence assurée et certifiée en fin de parcours ; en bref, un remède universel. Vraiment ? Une brève escapade dans d’autres secteurs professionnels du non-marchand nous invite cependant à la prudence, si pas à la méfiance à l’égard de ces nouveaux préceptes managériaux ; même si Martine, responsable « qualité » dans son organisation, tente de nous rassurer en présentant la démarche comme un outil de management mais qui, heureusement, ne va pas être employé comme un outil de management.

Bien sûr, la volonté de faire un travail de qualité est difficilement critiquable ; comme le dit Catherine, responsable de projets internationaux, « on a envie de faire un travail de qualité, c’est évident. Tout le monde, tout professionnel, à envie de faire des choses qui fonctionnent bien ».

Qui serait assez sot pour critiquer la qualité ?

Mais a-t-il fallu attendre une démarche « qualité » pour envisager de faire de la qualité comme se le demande Luis, formateur en éducation au développement. Si la démarche « qualité » consiste à se dire : quelle est la pertinence, qu’est-ce que je ramène de plus à des gens pour réfléchir au monde actuel, à leurs actions de travail social, dans l’interculturalité des rapports Nord-Sud ; alors oui, on est dans la qualité depuis tout temps. Je ne vois pas très bien quel est l’intérêt aujourd’hui de formaliser tout ça.

Nous le voyons donc, la question de la qualité est centrale dans l’élan de professionnalisation qui traverse les ONG. Que ce soit en paroles ou en actes, comme procédure, réorganisation du travail ou encore finalité, la « qualité » est donc mobilisée dès qu’il s’agit de se positionner, de se justifier ou encore simplement d’agir. Alors pourquoi une telle démarche ?

Un phénomène naturel ?

Dans un élan de professionnalisation qui a déjà vu apparaitre des transformations importantes dans le rapport à l’activité, aux méthodes de travail et à autrui (ne l’oublions pas, la seule vraie légitimité de l’action de solidarité internationale), la question de l’approche « qualité » semble donc cristalliser les enjeux du secteur. Nous avons pu relever quatre types différents de motivations qui ont suscité l’engagement ou non dans une démarche qualitative de la part de différentes ONG : le fait naturel de se professionnaliser, suivre un mouvement, anticiper une contrainte, ne pas s’engager.

Le fait de se professionnaliser et celui de suivre un mouvement semblent se confondre et emprunter les mêmes chemins de la normalité, du mouvement inéluctable de la professionnalisation qui est en marche depuis près de vingt ans et qui devrait permettre aux ONG d’assurer de manière claire sa légitimité sociale, son expertise « savante » et encore bien d’autres attributs dignes d’une profession respectable. La démarche « qualité » serait donc le garant d’un certain professionnalisme ; comme le dit Céline, responsable des projets d’éducation au développement : l’idée c’est d’avoir une structure efficace qui permet à chacun de ne pas passer trop de temps dans « l’administratif » mais du temps pour la réflexion, la formation..., c’est aussi ça le professionnalisme.

Cependant, la professionnalisation d’une activité reste un phénomène complexe. A ce sujet, Anne Le Naëlou [1] nous rappelle que « souvent reconnu comme nécessaire et inéluctable par le personnel des ONG, le processus de professionnalisation renvoie à des sens divers et parfois contradictoires. Les uns insisteront sur la sécurité entrainée par la salarisation, mais aussi sur la montée en puissance de certains groupes, les autres sur une plus grande reconnaissance internationale mais avec l’adaptation implicite d’un modèle anglo-saxon ».

Cependant, les motifs et les raisons rencontrés diffèrent entre les deux premières catégories. Dans le premier cas, l’engagement dans la démarche EFQM est assumé. Selon Ignacio, responsable « action Nord » dans une ONG, un gouvernement a le droit et même l’obligation d’exiger une certaine professionnalisation car une ONG travaille avec l’argent des contribuables et doit faire le mieux possible et s’améliorer ; elle peut faire des fautes mais pas gaspiller de l’argent. Dans le deuxième cas, il s’agit de saisir une opportunité qui passe afin de pouvoir s’améliorer en interne grâce à un apport extérieur ou tout simplement faire comme les autres, comme le dit Martine : on est entré dans la démarche, parce qu’il faut rentrer dans la démarche : faire bande à part ça ne sert à rien et à personne. On en profite alors pour mettre en place de nouvelles méthodes de travail comme le benchmarking, les descriptifs de fonction, les time sheet, évaluations et autres formations ou encore de nouveaux outils et dispositifs tels les référentiels, les organigrammes, ou encore de s’insérer dans un mouvement porteur, afin de ne pas être déclassé. Le déclassement ! Sans doute une notion qui préoccupe largement la troisième catégorie également.

Dans le troisième registre de motivations, on anticipe alors une menace supposée ou réelle. Le témoignage de Louise semble évident à cet égard : il y a des enjeux institutionnels complexes et le risque que la DGD utilise EFQM comme un critère pour le financement… Tout comme celui de Julie, membre du CA d’une ONG : nous sommes bien conscients que ne pas le faire peut nous mettre dehors, mais le fait de le faire va aussi à l’encontre d’une certaine philosophie qui serait de mettre en place une réflexion qualité qui ne soit pas dépendante ni d’un organisme public, ni faite en fonction de potentiels critères de la DGD.

Enfin, il reste des organisations qui résistent, qui n’entrent pas, ou pas encore, dans la démarche qualité et qui n’y voient aucun intérêt, comme nous l’a précisé Louis : Pourquoi se lancer d’abord ? Sauf à se dire qu’on s’est levé un beau matin et qu’on s’est rendu compte que tout ce qu’on faisait, c’était de la connerie. Et d’un seul coup s’intéresser à la qualité.

Alors pourquoi se ruer dans cette voie ? A l’occasion des débats concernant la démarche « qualité », d’autres approches ont d’ailleurs vu le jour. Ce fût l’occasion pour certains de penser la qualité non pas globale mais dans l’action ou encore pour d’autres de repenser leur organisation non pas de manière hiérarchique et verticale mais bien horizontale.

De même, la construction pourrait-elle être envisagée en dehors de l’harmonisation des pratiques de travail ; par la mise en place de certaines conditions de travail plus adéquates ou par le renforcement de la protection sociale des travailleurs par exemple. On le voit, la best way managériale n’est pas si naturelle, elle ne mène pas de toute évidence à une professionnalisme sans failles mais bien à une adhésion sans failles, à une incorporation de la contrainte.

[1Pour comprendre la professionnalisation dans les ONG : quelques apports d’une sociologie des professions, Tiers monde, tome 45, n°180, 2004, 773-798.