La migration peut être vécue comme une expérience différente selon le sexe, par Karen Bähr Caballero
Bien que le pourcentage de la population ayant migré à l’échelle mondial soit resté relativement stable, les dernières décennies ont vu doubler le nombre total de migrants. De nos jours, une personne sur cinq a émigré. Le nombre total de personnes ayant migré atteint les 175 millions, c’est-à-dire 3% de la population totale du monde. Près de la moitié de ces migrants sont des femmes.
La plupart des personnes qui décident de migrer habitent dans un pays du Sud et se dirigent vers un pays du Nord. En Europe le nombre total d’immigrés provenant des pays extérieurs à l’Union européenne est estimé à 13 millions.
Cet important flux provenant du Sud nous autorise à parler d’un mouvement migratoire Sud-Nord. Les différences géographiques en ressources, innovations technologiques, sécurité alimentaire et santé recoupent les routes migratoires : ainsi, trois zones (Etats-Unis, Europe et Japon) concentrent à elles seules 70% des richesses de la planète.
Aujourd’hui, il est impossible de dissocier la migration internationale du contexte dominé par la mondialisation économique. Au Sud, l’impact négatif et continu des politiques d’ajustement structurel exerce une grande pression sur les conditions de reproduction des populations, affectant notamment les sphères de la santé, l’éducation, la culture, etc, qui auparavant étaient, ne serait-ce que théoriquement, garanties par l’Etat. Au Nord, la flexibilisation de l’emploi et la mise en œuvre de nouvelles formes d’organisation du travail ont un impact sur l’augmentation de la demande de travailleurs "flexibles" (dans des conditions précaires) en partie satisfaite par les migrants en situation irrégulière.
En Europe, il y a plus de migrantes que de migrants et la plupart proviennent des pays sous-développés : 52.4 % du total de personnes ayant migré vers le continent européen sont des femmes. En 2001, 60 % de migrants originaires de l’Amérique latine étaient des femmes. En Espagne, le nombre des femmes immigrées est passé de 57,000 en 1996 à 570 mille en 2003.
Le genre exerce une influence sur l’expérience migratoire ainsi que sur les motivations qui poussent les femmes à migrer. Les femmes sont poussées à migrer pour les mêmes raisons que les hommes, pauvreté, impact de l’ajustement structurel, etc. Mais, la plupart des femmes partent à la recherche de meilleures conditions de vie tout en assumant la responsabilité ou la coresponsabilité de la survie économique de leurs familles.
Depuis deux décennies on assiste à une augmentation de la représentation féminine dans les flux migratoires, phénomène que l’on appelle "féminisation de la migration". Cette migration féminine s’insère dans la restructuration de l’économie mondialisée, notamment à travers des changements de la migration liée au travail, la nouvelle division internationale du travail et le grandissant rôle économique des femmes.
La migration a été traditionnellement abordée comme un phénomène masculin et la présence des femmes ainsi que la spécificité de leur expérience migratoire a été largement ignorée.
Dans les années soixante et septante, l’attention est portée à la migration liée au travail. Les hommes sont perçus comme les acteurs "actifs" de la migration tandis que les femmes sont des accompagnatrices "passives". Le cadre néoclassique dominant explique les causes de la migration par la recherche individuelle de travail et d’opportunités. Centrée sur le rôle de immigrants -tacitement masculins- comme agents économiques qui rééquilibrent le marché de l’emploi entre espaces géographiques dissemblables, cette approche explique la migrations des femmes exclusivement par des raisons sociales (comme le regroupement familial).
Dans les années septante et quatre-vingt, la femme est ajoutée au débat sur la migration sans que la façon dont celle-ci est expliquée soit revisitée : les modèles dominants qui expliquaient pourquoi les gens migrent, où ils vont et comment ils s’intègrent dans les pays d’accueil ne sont pas problématisés. Les modèles néoclassiques qui mettent en exergue les facteurs d’expulsion et d’attraction et qui voient la migration comme le résultat de décisions individuelles continuent à être prééminents. Une des principales questions de cette période est que la migration contribue à "moderniser" les femmes, les libérant des valeurs et comportements dits traditionnels.
Dans les années quatre-vingt et nonante, l’approche de genre en tant que construction sociale permet d’intégrer la notion du conflit à l’analyse de l’espace privé. Le ménage ne sera plus considéré comme un espace où les membres partagent les mêmes intérêts. Ces modèles tentent d’expliquer d’une part, comment le "patriarcat" a un impact sur l’expérience de migration des femmes et, l’impact de la migration sur les rôles de genre de l’autre.
Plus récemment, des efforts on été faits dans le cadre d’une théorie de la migration internationale ayant un souci pour lier les niveaux micro et macro, de tenir compte d’une part, de l’expérience spécifique des femmes et du contexte socioéconomique et d’autre part, du fait que les femmes sont des acteurs à part entière dans les processus de migration internationale.
Finalement, certains approches qui abordent la migration comme un processus liant les réalités de départ et d’arrivé des migrants, ont recours à l’approche de genre pour étudier l’impact de la migration -masculine ou féminine- sur la famille et communauté d’origine et identifier des changements au niveau socioculturel tels que les transformation du rôle -réel ou idéologique- de pourvoyeur économique des hommes et l’augmentation de l’apport économique des femmes.
Cependant, l’intégration de l’approche de genre à la problématique de la migration internationale reste insuffisante. Or, l’analyse de genre est nécessaire dans la mesure où elle met en évidence certaines caractéristiques de la migration internationale qui, autrement, resteraient invisibles. C’est le cas des problématiques spécifiques telles que santé et migrations. L’analyse de genre pour aborder la problématique de migrations et santé se justifie parce que :
Elle montre que la migration peut être vécue comme une expérience différente selon le sexe. Par exemple, les femmes migrantes sont particulièrement vulnérables lors de la route migratoire à la violence de genre, et plus particulièrement à la violence sexuelle . Dans les pays d’accueil, les migrantes en situation irrégulière sont dépourvues des systèmes formels et légaux de protection contre la violence de genre. Or, la violence faite aux femmes est définie par l’Organisation Mondiale de la Santé comme une question de santé publique .
Elle permet d’identifier les formes spécifiques que peut prendre la migration en certaines régions du monde, qui autrement restent invisibles. Ainsi, en 1995, 29,103 hommes et 39,333 femmes sont partis d’Indonésie. Une année plus tard ils sont toujours autour de 29,000 hommes à partir mais 65,584 femmes. Les femmes indonésiennes partant pour l’Arabie Saoudite étaient 38,130 en 1995. Elles sont 108,185 en 1996. Ces chiffres nous invitent à nous poser des questions sur les secteurs d’absorption et les rapports de genre dans le pays d’origine et dans le pays d’accueil.
Elle permet de déceler des impacts spécifiques sur le secteur de la santé : Dans le secteur de la santé, la fuite de cerveaux concerne 1.5 million des professionnels de la santé, pour la plupart des infirmières, provenant des pays en développement et s’étant installées dans les pays industrialisés . Les praticiens en soins de santé représentent un petit pourcentage des travailleurs qualifiés migrants vers le nord, mais la perte en ressources humaines a un impact significatif sur la capacité des systèmes de santé des pays en développement de garantir une offre de santé convenable et équitable .
Elle met la lumière sur certaines caractéristiques de la restructuration de l’économie, notamment les différences par secteurs d’absorption : Un des principaux secteurs d’accueil des femmes migrantes est l’industrie (et en particulier celles orientées vers l’exportation), les manufactures textiles et les usines d’assemblage, où les conditions inadéquates de travail génératrices de risque pour la santé de travailleuses sont monnaie courante.
Un autre secteur employeur des femmes est celui du travail domestique " Ce secteur est lié à une nouvelle division internationale du travail. Les femmes des classes moyennes dans les pays occidentaux, par nécessité économique ou par émancipation, entrent sur le marché de l’emploi. Leur rôle dans la sphère reproductive est assuré par la main d’œuvre féminine du sud " . Dans le cadre de la division du travail, les femmes migrantes assument des responsabilités de soins et de santé de la même façon qu’elles le faisaient dans leurs pays d’origine. Finalement, le vieillissement de la population dans la plupart des pays dits développés fait augmenter la demande de services dans des secteurs tels que les soins de santé aux personnes âgées et dans la plupart de cas, ce sont les femmes migrantes qui satisfassent cette demande.
Elle permet d’identifier les différences selon le sexe au niveau des motivations pour migrer : Les femmes migrantes, comme les hommes, partent à la recherche de meilleures conditions de vie, pour elles et pour leurs familles. Mais les systèmes de genre dans un pays donné vont peser au moment de décider qui va migrer ainsi que les opportunités de travail dans le pays d’accueil où, comme on la vu, l’absorption de main d’ouvre féminine et précaire est importante. Les motivations pour partir peuvent aussi être biaisées par le genre. Alors que les hommes partent à la recherche d’un emploi, la migration des femmes est, en plus, orientée par un éventail de considérations sociales et reproductives.
Elle permet de déceler de nouvelles thématiques :
Un exemple est celui de la thématique de la migration et l’insécurité. D’une part, les conditions de migration clandestine rendent les femmes plus vulnérables à la violence dans la sphère publique. L’approche de genre permet d’identifier la manière spécifique dont les femmes migrantes expérimentent l’insécurité. Par ailleurs, la plupart des victimes de trafic à des fins d’exploitation sexuelle sont des femmes et des petites filles . Selon les estimations du gouvernement étasunien, d’un total compris entre 600 mille et 800 mille personnes victimes de trafic, 80% sont femmes et 50% des enfants (dont 34% des filles) . Comme c’est le cas de la migration en général, le trafic d’êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle trouve le plus souvent son origine dans les pays pauvres et se dirige vers les pays riches.
Le plus souvent, la relation entre migration et développement s’est établie sur base de l’apport positif ou négatif des migrants à l’économie du pays d’accueil. Afin d’élargir le débat, nous porterons notre attention aux visions extrêmes, sachant qu’il existe de nombreuses variantes se situant entre les deux.
L’approche pessimiste souligne l’impact négatif de la migration sur l’emploi et sur le système de sécurité sociale du pays d’accueil. Dans sa version la plus récente, cette vision est marquée par le retour d’une approche sécuritaire, par une obsession du risque migratoire. Dans le volet politique, cette approche se traduit par des mesures politiques et administratives de plus en plus contraignantes qui cherchent à limiter le mouvement migratoire et à le contrôler. Ce contexte produit des situations de rejet et favorise les attitudes racistes et xénophobes à l’encontre des immigrés mais aussi des nationaux d’origine étrangère.
L’approche optimiste, met l’accent sur le phénomène de vieillissement de la population européenne et voit la migration internationale comme possible solution du remplacement générationnel. Le Rapport de la Division de la population du Département des affaires économiques et sociales de l’ONU a affirmé que les pays développés ont besoin de la migration pour éviter le déclin et le vieillissement de la population . Selon les projections cités par le Rapport, "dans les prochaines 50 années, les populations de presque tous les pays développés deviendront plus petites et plus vieilles, en conséquence de la faible fécondité et de l’accroissement de la longévité".
Alors qu’en 1995 la population de l’Union européenne dépassait celle des Etats-Unis de 105 millions, en 2050 elle sera inférieure de 18 millions, ce qui ne manquera pas d’avoir un impact social important : "en l’absence d’immigration, on pourrait maintenir à leurs niveaux actuels les rapports de support potentiel en augmentant la limite supérieure de l’age actif à environ 75 ans" .
Récemment, des travaux sur la migration ont été réalisés mettant en avant l’intérêt des migrants. Ainsi, certains tenants du discours néoclassique affirment que la migration peut ouvrir des nouvelles opportunités de travail, de rémunération et d’insertion dans le marché. L’envoi des fonds est mis en avant comme un outil de financement des économies du sud. Pour sa part, les apports qui limitent le statut social des femmes aux seuls aspects micro, affirment que la migration permet l’autonomisation économique et affective des femmes (empowerment) vis-à-vis de leurs partenaires masculins.
Pour d’autres auteurs, la situation précaire des migrants en situation irrégulière dans les pays d’accueil augmente leur vulnérabilité vis-à-vis de la pauvreté et de l’exploitation. D’une part, la montée du trafic d’êtres humains mentionné ci-dessus serait le signe d’une "exploitation de genre". D’autre part, dans certaines régions du monde, les femmes migrantes obtiennent surtout des emplois de domestiques et sont susceptibles d’être mises en servitude. Finalement, Saskia Sassen met l’accent sur les nouvelles divisions internationales du travail et observe que la plupart des femmes migrantes se concentrent dans les circuits informels et souterrains des grandes villes du Nord. Elle montre comment les concentrations urbaines de personnes à hauts revenus permettent la création d’une multitude d’emplois de services et une explosion de l’informalité . Pour Jules Falquet, l’insertion des femmes dans ce secteur informel est au cœur même de la réorganisation néolibérale du travail.
Plus récemment, les dynamiques migratoires inédites ont suscité une attention croissante sur l’impact de la migration dans les pays d’origine.
Les agences internationales mettent l’accent sur les questions relatives au transfert de compétences et de connaissances et aux envois de fonds et leur contribution à la lutte contre la pauvreté et à l’accomplissement des Objectifs du millénaire pour le développement -OMD-. L’aide globale atteignant $68.5 billions chaque année, l’ONU estime que les ODM pourraient être atteints si l’aide augmentait à $100 billion annuels. Or, une petite flexibilisation des restrictions au mouvement de la main d’oeuvre - augmentant la proportion de migrants dans la main d’oeuvre des pays développés à 3% - permettrait d’augmenter le flux à $150 billions annuellement . Les envois de fonds envoyés par les canaux officiels représentent $93 milles milliards, incluant les transferts formels et informels. Cette somme peut s’élever jusqu’à $300 billions . Ce transfert de ressources économiques pourrait, nous dit-on, être utilisé afin de réduire la pauvreté.
Or, la Banque mondiale affirme que ces transferts se traduisent en un apport "durable" pour le développement il faudrait qu’ils ne soient pas seulement canalisés à la survie mais aussi à la promotion de la croissance économique. Ainsi, sont présentés comme exemplaires les transferts collectifs, destinés à améliorer les infrastructures des communautés (voies d’accès, systèmes sanitaires, cliniques, écoles etc.) et à promouvoir des projets productifs dans les communautés d’origine .
La littérature sur le sujet nous apprend que les ménages bénéficiant d’un revenu supplémentaire grâce aux envois de fonds, les utilisent pour rembourser des dettes, pour améliorer leurs maisons, pour s’alimenter, pour garantir les soins de santé de base et pour l’éducation de leurs familles.
Malgré le fait que les envois de fond ont converti les migrants en substituts de l’état en matière de protection sociale, les organisations internationales continuent de déplorer l’usage "non productif" et "irrationnel" de cet argent. Le genre s’infiltre dans cette notion apparemment neutre du "productif" qui s’oppose à un usage "non productif" des envois.
Le comble de cet argumentaire, est la lecture selon laquelle il faudrait favoriser les conditions économiques et structurelles pour que l’impact des transferts des fonds soit durable, c’est-à-dire, "poursuivre les politiques macroéconomiques qui génèrent un climat propice à l’investissement" , c’est-à-dire les mêmes politiques d’ajustement structurel qui ont provoqué une dégradation des conditions de vie dans la plupart des pays où elles ont été appliquées à la suite d’une diminution des dépenses publique en santé, éducation et autres dépenses sociales.
On désigne par biens communs les biens auxquels personne ne peut s’arroger un droit de propriété individuelle parce qu’ils appartiennent à l’ensemble de l’humanité. Si la santé possède une dimension individuelle (parce que l’état de santé d’un individu est en relation directe avec les autres dimension de son bien être), elle possède aussi une dimension sociale car, quand la santé devient un problème affectant une partie de la population, c’est l’ensemble de la société qui se voit affectée ; tant du point de vue économique que du point de vue du "vivre ensemble". De ce fait, la santé, au même titre que l’éducation et l’environnement, est considérée comme un bien commun. En tant que tel, la santé constitue également un droit humain universel qui exige des réponses de la part de l’Etat et de la société y compris l’obligation de créer les conditions nécessaires pour que ce droit se matérialise pour tous les habitants d’un pays donné, migrants inclus.
Or, cette approche de la santé comme un droit universel est opposée à la logique inhérente des nouvelles formes d’intervention sociale basées notamment sur un principe de "ciblage". Ces politiques visent à offrir une couverture ponctuelle aux "populations les plus vulnérables" tout en laissant de côté une grande partie des "pauvres non méritants" et des classes moyennes ; c’est le cas notamment des programmes de réduction de la pauvreté. Cette vision réductionniste sert aussi à réduire le spectre de la santé en tant que bien public, puisque l’on assiste de plus en plus à une restriction de cette définition aux seules maladies contagieuses.
Ce double "ciblage" constitue une nouvelle variante de la stratégie de reconfiguration des relations entre le marché et l’état mise en œuvre par les acteurs dominants tout aussi bien au Sud qu’au Nord. Elle fait partie du modèle de développement qui donne la primauté à la croissance économique et à l’accumulation. Or, les stratégies d’accumulation se font au détriment des conditions de reproduction des populations. Il existe certainement un lien entre la dégradation de ces dernières et la nature des mouvements migratoires des dernières décennies d’une part, et les conditions de précarité des migrants dans les pays d’accueil d’autre part. Nous avons vu comment la migration internationale dans un contexte de globalisation se caractérise par l’illégalité, la flexibilité de l’emploi, l’augmentation de risques liés au travail et surtout l’exclusion aux systèmes de protection sociale, notamment la santé.
Le scénario de la mondialisation crée une situation de déstabilisation pour le migrant et la migrante parce que les systèmes de santé n’ont pas les mécanismes pour lui donner une couverture, malgré le fait que les migrants représentent une force productive économiquement importante pour les pays d’accueil mais aussi pour les pays d’origine.
Les migrants et les migrantes sont aussi des acteurs capables de mettre en place leurs propres stratégies. Traditionnellement, il est considéré que la principale motivation de la migration est avant tout une quête individuelle d’amélioration des conditions matérielles de vie. Mais l’approche de genre nous apprend que pour les femmes le facteur matériel n’est pas le seul facteur important.
Nous croyons que les motivations des femmes pour migrer sont fortement influencées par la division sexuelle de rôles dans leurs sociétés d’origine, notamment par leur rapport spécial avec la sphère de la reproduction.
Ainsi, la structure sociale et familiale nous apprend que le rôle des femmes dans la sphère reproductive va les pousser à migrer comme une stratégie de maintien et amélioration de l’unité familiale. Par ailleurs, une grande partie des ménages recevant des envois des fonds sont dirigés par une femme et ce sont elles qui décident de l’assignation de ses ressources supplémentaires pour la survie et finalement ; la littérature nous apprend que le rôle de gestion du ménage joué par les femmes peu expliquer la tendance à dépenser les envois des fonds pour satisfaire les besoins de subsistance.
En élargissant l’échelle d’observation il est possible d’observer une stratégie collective qui, à partir des unités familiales élargies, s’étend pour associer des communautés entières dans la construction d’un territoire transnational. C’est ce qui nous apprend l’approche de la migration en termes de réseaux transnationaux.
Bien sur nous ne pouvons pas parler de stratégies concertées et élaborées rationnellement par des acteurs organisés. Mais des auteurs du tiers monde ont déjà questionné les approches qui mettent l’accent sur l’intentionnalité dans la capacité d’action parce qu’ils laissent de côté toute une série de pratiques individuelles et collectives qui n’ont pas une base intentionnelle. Ainsi les actions justifiées par les besoins de survie, quand elles sont continues peuvent produire des changements dans les vies des acteurs mais aussi dans les structures locales et les politiques sociales.
Si l’on applique cette vision à l’analyse de genre de la migration, on constate que les femmes constituent bel et bien un acteur et que nous nous trouvons effectivement devant une stratégie collective, résultat d’une même logique d’action priorisant les besoins reproductifs au sens large.
Cette logique traduit en réalité une logique de développement. En fait, reproduction et développement sont deux processus étroitement liés, faisant intervenir des notions complexes et fondamentales de sécurisation du revenu, d’entretien du vivant et de régénération du lien social. Il ne saurait y avoir de développement sans reproduction .
Si l’on confronte la place qu’occupe la santé dans les stratégies des femmes migrantes, où elle fait partie d’une stratégie de reproduction élargie ; avec la place de la santé publique dans les politiques de développement en vigueur, nous nous rendons compte de la façon dont les femmes migrantes nous interpellent sur la nécessité de redéfinir les priorités du développement.