Les maladies psychosomatiques sont plus visibles pour les femmes. Les hommes, eux, souffrent de maux identiques, mais ne peuvent pas se plaindre, par Maude Malengrez
Les femmes migrantes développent parfois des maux de dos, de ventre, des migraines et allergies dont elles ne souffraient pas dans leur pays d’origine. Les traitements médicamenteux n’y font rien. Ces maux sont les symptômes du « mal du pays » ou la résurgence de blessures passées.
Beaucoup de femmes migrantes en Belgique souffrent de maux physiques qui ne sont qu’une expression de leur mal-être. "Les plaintes que nous recevons des migrantes sont souvent liées à leurs problèmes d’exil", témoigne Myriam Ilunga, médecin dans un centre de planning familial de Bruxelles. « Hypertension, gastrites, œsophagites, œdèmes aux jambes et ulcères de l’estomac sont les pathologies les plus courantes. Elles sont liées au stress, à la mélancolie ou à une mauvaise alimentation », précise-t-elle. Ne pas parler la langue, travailler dur pour remplacer son mari qui ne trouve pas de travail, vivre la discrimination dans l’isolement : autant de difficultés qui façonnent le quotidien de ces femmes.
« Je ne peux pas retourner dans mon pays et ici la vie est dure pour moi. Je fais de l’hypertension et j’ai des maux de tête incessants pour lesquels je prends quatre perdolans (un antidouleur à base de paracétamol) par jour », confie Honorine Lusekumbanza, de l’association de femmes angolaises Alegria. « Ce n’est que lorsque j’ai une maladie inhabituelle que je vais chez le médecin ». La majorité des femmes migrantes, vivant dans la précarité, prennent leurs maux en patience par manque d’argent. De plus quand elles finissent par consulter, le traitement prescrit se révèle souvent inefficace. « Au bout de plusieurs consultations, la personne revient avec les mêmes plaintes et d’autres, de plus en plus diverses », confirme Myriam Ilunga. « Ces maladies ne sont pas considérées comme graves par le personnel médical, qui ne prend pas en compte leur dimension culturelle ».
Diagnostiquer et traiter les causes de ces maux n’est pas chose facile pour des médecins non formés à l’interculturel. Il faut parfois orienter les patientes vers des services psychologiques. Mais « les femmes préfèreront s’adresser à une assistante sociale qu’à un psychologue ou un psychiatre, car pour certaines d’entre elles, aller chez ces derniers serait reconnaître qu’elles sont un peu folles », explique Pamela Datoli, du Collectif des femmes de Louvain-la-Neuve. Selon Honorine Lusekumbanza, « beaucoup vont à l’Eglise s’en remettre à Dieu ou au pasteur et parfois iront chez un guérisseur africain ».
Le Petit Château, un centre pour les demandeurs d’asile, envoie régulièrement ses habitants chez le docteur Openge, d’origine congolaise. Sa formation d’ethnopsychiatre le rend sensible au fait que la souffrance et la maladie peuvent être vécues et s’exprimer différemment selon la culture du patient. « Ces gens arrivent avec beaucoup de symptômes : manque d’appétit, insomnies, formes de dépressions. Des psychothérapeutes ont essayé de traiter ces dépressions par voie médicamenteuse, sans résultats ». Lors d’une visite en ethnopsychiatrie, l’équipe multidisciplinaire et multiculturelle de thérapeutes tente de comprendre les causes des symptômes de la personne par le récit de son histoire et de celle de ses proches. « Les gens arrivent déjà fragilisés », remarque le Dr Openge. « La migration est le déclencheur de cette perturbation déjà inscrite », comme le fait d’avoir vécu une guerre ou d’être excisée. Cette démarche prend aussi en compte la dimension magique de la maladie. « Nombre des patients africains ont des maladies liées au monde invisible ou à la sorcellerie, explique le médecin. Lorsqu’ils se confrontent à des thérapeutes ’classiques’ qui ne les croient pas, il devient impossible de retrouver la cause des troubles actuels ».
« En Afrique, quand il y a un problème, on va chez l’aîné, qui réunit les gens pour en discuter. Le problème n’est pas tranché de façon aussi visible qu’ici », poursuit le docteur Openge. La discussion au sein des associations de migrantes est un exutoire pour ces femmes. Grâce aux expériences de leurs paires, elles mettent le doigt sur des causes psychologiques de problèmes qu’elles croyaient organiques. Mais là-aussi, des blocages existent : « La femme africaine est enfermée sur elle-même et elle ne se plaindra pas facilement de peur qu’on en parle après dans la communauté », soupire Honorine Lusekumbanza. Dans de nombreuses cultures, les difficultés que les gens éprouvent à dire leurs problèmes sont aussi une question de dignité. Ces maladies psychosomatiques sont plus visibles pour les femmes, « parce que ce sont elles qui viennent avec les enfants chez le médecin », explique Myriam Ilunga, ce qui leur donne l’occasion de parler de leurs problèmes. Les hommes, eux, souffrent de maux identiques, mais « dans nos cultures africaines, les hommes ne peuvent pas se plaindre », conclut le docteur Openge.