Comment l’expérience migratoire transforme-t-elle la façon de penser la maladie ? Quelles pratiques les professionnels de la santé peuvent-ils développer pour mieux prendre en compte le sens de la maladie chez les usagers ?, par l’Equipe Interculturelle
Renouvellant une vieille tradition
toujours en cours à ITECO, nous avons voulu ouvrir une espace de réflexion autour d’un problème transversal qui concerne tant le Nord que le Sud. Nous avons choisi le thème de la santé en l’articulant autour de trois axes :
Les migrations internationales des femmes et l’accès aux droits à la santé.
Les nouveaux mouvements religieux et les cultes de guérison.
Les mouvements sociaux et les luttes pour l’accès aux soins.
Si nous avons choisi ces axes, c’est parce qu’ils nous permettent d’envisager les sociétés du Sud et les migrants non pas comme des victimes impuissantes face aux situations qu’ils vivent, mais bien plutôt comme des acteurs qui mettent en place des stratégies pour faire face à la maladie. Nous sommes en effet partis de l’idée que si théoriquement pour la Déclaration universelle des droits de l’homme « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien être et ceux de sa famille... » (article 25), force est de constater qu’en 2004, l’espérance de vie à la naissance d’un enfant Sierra léonais était seulement de 34 ans, soit moins de la moitié d’un enfant belge [Rapport du PNUD, 2004].
Bien sûr ce fossé entre le Nord et le Sud s’explique par une multitude de facteurs : les ajustements structurels produisant une augmentation de la pauvreté, le poids des dettes des pays pauvres sur leurs systèmes de santé et d’éducation, l’accès difficile aux médicaments, les conflits meurtriers, la désorganisation sociale liée à la propagation du sida, etc. Cependant, face à ces situations dramatiques les individus, les groupes, et les sociétés du Sud sont amenés à élaborer des réponses sociales et culturelles.
Nous avons donc choisi d’aborder
trois questions qui nous semblent particulièrement intéressantes pour la compréhension des enjeux liés aux thèmes de la santé, des migrations et du développement. La première concerne les migrations internationales d’un groupe particulier, les femmes, parce que celles-ci sont souvent considérées comme responsables du « capital santé » de leur famille. Face à cette réponse, nous nous sommes demandés : Quels sont les impacts des ajustements structurels sur les migrations des femmes ? Comment les migrations transforment-elles les rapports entre les hommes et les femmes au Sud comme au Nord ? Comment valoriser les savoirs des femmes liés à leur expérience migratoire ? Qu’en est-il du droit d’asile pour les femmes victimes de violences du fait de leur identité sexuelle ? Quelles sont les réponses et les résistances des femmes face au retrait de l’Etat dans le domaine de la santé ?
Quant au second axe, il s’intéressait aux sens que les individus, les groupes et les sociétés donnent à la « répétition du malheur » et à la maladie au travers des nouveaux mouvements religieux (par exemple, les églises de réveil) et des cultes de guérison. Nous nous sommes donc demandés : Dans quelle mesure les conditions d’existence favorisent-elles l’émergence de discours et de pratiques faisant référence au religieux ? Comment l’expérience migratoire transforme-t-elle la façon de penser la maladie ? Quelles pratiques les professionnels de la santé peuvent-ils développer pour mieux prendre en compte le sens de la maladie chez les usa-gers ?
Enfin, ledernier axe nous a amenés à nous intéresser aux mouvements sociaux et aux luttes pour l’accès aux soins. Plus précisément, cet axe de réflexion était consacré aux mouvements sociaux créés autour de la lutte contre le sida (en Afrique du Sud et en France) et la lutte pour l’accès aux soins de santé tant au Nord qu’au Sud. Il s’agissait d’aborder cette réponse à partir des questions suivantes : Quelle est l’histoire de ces mouvements sociaux ? Comment ces mouvements ont-ils affronté les questions qui se posent aux malades, et aux associations (stéréotypes, négation de l’ampleur de la maladie, etc.) ? Quels changements ont-ils obtenu dans les politiques publiques dans le Nord et le Sud ? Quelles sont les pratiques de collaboration entre les mouvements sociaux de malades, les associations de santé et les ONG ?
Ces différents thèmes ont été abordés par des conférences qui nous ont fourni des éléments de diagnostic et par des ateliers qui avaient comme objectif d’échanger et d’approfondir les problématiques abordées. Ce forum a été donc l’occasion de mieux appréhender les dimensions sociales et culturelles de la santé, et d’envisager leurs interrelations entre les réalités du Nord et du Sud. C’est l’objet de ce numéro d’Antipodes. Cependant, certains conférenciers ou intervenants n’ont pas pu écrire d’article, nous avons donc dû approcher les sujets de leurs interventions par d’autres contributions.
Nous tenons à remercier la DGCD, ainsi que la Communauté Française de Belgique pour nous avoir soutenus dans la réalisation de ce projet. Nous désirons également exprimer notre reconnaissance à la Boutique culturelle d’Anderlecht, et plus particulièrement à Barbara Roman, qui nous a si chaleureusement accueillis dans ses locaux. Ce partenariat nous est d’autant plus cher qu’il nous a permis d’asseoir le déroulement de cette rencontre dans un quartier de Bruxelles où les frontières entre l’ici et l’ailleurs semblent s’estomper. Nous voulons aussi remercier tous les conférenciers et les intervenants qui nous ont permis de mieux comprendre les enjeux liés aux thèmes de la santé et des migrations : Karen Bahr Caballero (juriste, doctorante en sociologie du développement, UCL), Fanny Filosof (Collectif des Femmes en noir), Pascale Maquestiau (Le Monde selon les femmes), Marceline Zeba (GAMS, Groupement d’hommes et de femmes pour l’abolition des mutilations sexuelles féminines), Eléonore Armanet (anthropologue, Centre de santé mentale Le Méridien), Pascale De Smedt et Vérane Vanexen (Pissenlits, Centre de santé communautaire à Anderlecht), Pierre-Joseph Laurent (anthropologue, professeur à l’UCL), Olivier Ralet (philosophe, Collectif Entre deux mondes), le Dr Jean-Cyr Yombi (Cliniques universitaires Saint Luc, UCL), Bertold Openge (ethnothérapeute, La Bastide), Marianne Falament (formatrice, Cultures et santé - Promo santé), Youssra Akleh (assistante sociale et thérapeute familiale), Khalil Elouadighi (responsable du plaidoyer pour les questions internationales d’Act Up Paris), Linda Mafu (TAC, Traitment Action Campaign, ONG d’Afrique du Sud active dans le combat contre les firmes pharmaceutiques et pour la défense des droits des malades du sida). Enfin, nous tenons à remercier tous les participants au Forum qui ont enrichi les débats grâce à leurs questions et à leurs réflexions.