La démocratie et la modernité dépendent de l’émancipation des femmes

Mise en ligne: 20 mars 2006

Quelles sont les modalités d’action du mouvement des femmes au Maroc ?, par Leïla Rhiwi

La question des droits des femmes est au cœur du développement démocratique et l’amélioration de leur statut est une condition centrale dans l’émancipation de toute société. Par leur revendication des droits, les femmes s’inscrivent dans une accélération de l’histoire, c’est de leur émancipation, en vérité de leur libération que dépend la construction démocratique et l’inscription dans la modernité.

Aussi, le mouvement des femmes avec ce qu’il implique comme transformation au sein de la société est en train de déstabiliser la culture patriarcale. Ce sont des ruptures qui sont recherchées par le mouvement des femmes et les différentes manifestations de lutte engagées sont en train de changer le cours de l’histoire.

Modalités d’action : stratégique et immédiat

On peut schématiser le travail mené par les associations en deux modalités d’intervention : l’intérêt stratégique des femmes en faveur du changement de politique, de lois et de mécanisme en vue d’une plus grande promotion des droits des femmes et celui de l’intérêt immédiat orienté sur des actions ciblant directement les femmes et visant leur autonomisation.

Pour ce qui est de l’intérêt immédiat ou renforcement des capacités des femmes, on peut distinguer cinq modalités d’action :

Habilitation ou autonomisation

Ce sont toutes les activités de formation et d’apprentissage de métiers ou de soutien susceptibles de permettre aux femmes de devenir économiquement indépendantes. Ou encore de renforcement de l’identité personnelle : l’alphabétisation est une action très forte de renforcement des capacités des femmes dans le sens où cela leur permet de devenir autonomes dans les actes de la vie quotidienne et par conséquent constitue un renforcement important de leur leadership social.

Prise en charge juridique et psychologique

Ces quinze dernières années ont connu l’ouverture de centres juridiques de consultations. L’aide des avocates et assistantes de ces centres participe, en plus des services rendus, à rendre les femmes capables de faire prévaloir le droit pour se défendre.

Social humanitaire

Les actions menées en faveur des mères célibataires en matière de réinsertion sociale ou encore des petites filles dans le milieu rural en vue de favoriser leur accès au cycle secondaire en sont autant d’exemples.

Habilitation politique

C’est une question, certes différente du renforcement du pouvoir des femmes, mais c’est un intérêt immédiat également, dans le sens où ce qui est visé c’est de rendre les femmes plus combatives pour investir les lieux traditionnellement masculins, comme les partis politiques et les syndicats, par exemple.

Pour ce qui est de l’intérêt stratégique ou force politique, trois dimensions sont en vue :

Plaidoyer et contre pouvoir

Tous ces axes, juridiques, économiques, politiques et sociaux sont également couverts dans le cadre des revendications des associations féminines pour ce qui est de la défense de l’intérêt stratégique. Il s’agit de s’inscrire comme une force de pression et de mener des actions de plaidoyer pour changer les politiques, les lois et les mécanismes. Ce sont toutes les actions que mènent les organisations féminines en faveur de la réforme de la moudawana ou code du statut personnel, du code du travail, du code pénal, de la lutte contre la pauvreté, de la lutte contre les violences ou encore de l’accès des femmes aux sphères de prise de décisions politiques. Le mouvement se positionne de plus en plus comme un contre pouvoir, manifestant son désaccord, parfois profond, comme cela a été le cas pour la réforme de la moudawana.

Vigilance ou la pratique du contre rapport

La pratique du contre rapport ou du rapport parallèle est dorénavant intégrée dans les stratégies des associations féminines. Il s’agit de réagir politiquement parlant à des politiques d’Etat sur des questions relatives à la condition des femmes (économique, juridique, sociale, politique).

L’exemple le plus frappant a été les rapports concernant la Convention sur toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes. Cette pratique de l’interpellation sur d’autres arènes que l’arène nationale permet aux ONG de constituer une force avec laquelle les gouvernants doivent dorénavant compter. Aujourd’hui avec l’ère de l’internet, les sites et autres forums d’expression, il est devenu encore plus facile de communiquer les réactions, critiques et autres interventions de la société civile.

La systématisation de la veille ou vigilance par rapport aux politiques est tout aussi importante que les actions des gouvernants, car si eux ont la responsabilité de l’élaboration de politiques, les ONG, elles, ont la responsabilité de s’exprimer sur ses politiques. Aussi, la pratique de la critique systémique dans le sens d’une interaction positive des forces en présence déterminera le positionnement du mouvement en tant que force politique influente.

Une force de proposition : l’alternative

C’est l’évolution la plus marquée du mouvement ; alors qu’au début de leur action les ONG féminines étaient inscrites beaucoup plus dans une logique de contestation et de réaction, elles sont aujourd’hui porteuses d’alternatives. C’est donc un mouvement porteur d’une vision de société, d’un projet de société. Leurs actions de terrain permettent une prise sur la réalité du vécu des femmes et donc une connaissance praticienne et militante des problèmes que dorénavant elles allient à l’expertise.

D’un autre côté, les femmes dans les projets qu’elles défendent devront se placer comme des « constructrices » d’opinion ; elles sont en train, les derniers événements l’ont prouvé, de se placer dans un réel rapport d’échange avec les différents partenaires. Il s’agira de développer de véritables stratégies de communication susceptibles de construire une adhésion de l’opinion publique aux projets défendus par le mouvement des femmes.

Quelles stratégies pour le mouvement des femmes ?

Lobby fort et force d’influence

Les associations féminines dans les domaines aussi bien juridique qu’économique, politique et social s’inscrivent comme une force de pression, mènent des actions de plaidoyer pour changer les politiques : la réforme de la moudawana ou code du statut personnel, du code du travail, du code pénal. Il s’agira dorénavant pour le mouvement des femmes de constituer un lobby suffisamment fort pour influer sur les décisions politiques ainsi que sur le système juridique, l’exemple du réseau qu’elles ont réussi à monter pour soutenir un projet gouvernemental en faveur des femmes en est la plus belle illustration avec celui de la réforme de la moudawana.

Des alliances devront être systématiquement recherchées. Il faudrait également multiplier les réseaux, développer les coordinations, construire des partenariats inter-associatifs. Elle est finie la logique des fédérations, des unions et des fronts mais l’heure est à la multiplicité des initiatives porteuses des mêmes valeurs et participant de ce fait à la défense du même idéal.

Transmission de l’idéal égalitaire

Enfin, le mouvement des femmes reste convaincu que le changement ne peut réussir s’il n’est pas porté par une société et que les plus belles lois qui soient, sans changement de mentalités, ne peuvent protéger les citoyens et citoyennes.

Aussi, le troisième niveau d’action est celui du travail sur le changement des comportements et des attitudes ; la promotion d’une culture de l’égalité est la plus grande des batailles et certainement la plus difficile. Les valeurs que les femmes défendent doivent être présentées,défendues auprès des jeunes, des hommes et des femmes pour qu’ils puissent se les approprier, les porter et les défendre avec le mouvement des femmes.

C’est un accompagnement nécessaire et obligé de l’importante action sur les lois. Ce champ d’action immense de travail sur le changement des mentalités commence à être investi par les féministes qui développent dorénavant l’action pédagogique de révision des rôles des hommes et des femmes et engagent une action de formation innovante pour contrer les stéréotypes.

Grâce à ces « universités du printemps », ces sessions d’été, ces « écoles de la citoyenneté », les associations féminines contribuent à la transformation de la société : le chantier est immense et l’enjeu de taille. Tous les acteurs de la construction démocratique, qu’ils soient institutionnels ou membres de la société civile ont une responsabilité en termes d’éducation à l’égalité.

Aujourd’hui, ce sont les courants conservateurs qui encadrent les jeunes au travers des clubs culturels et autres structures. Or, comment les valeurs d’égalité, de liberté, de tolérance peuvent-elles être portées et défendues si ce nécessaire travail d’éducation n’est pas fait ? Comment ces valeurs peuvent-elles « se vendre » si elles ne sont même pas présentes à côté de toutes les autres ?