Une terre promise pour la presse officielle

Mise en ligne: 20 mars 2006

Saïd Jedidi, redacteur en chef à la Radio Television du Maroc, propos recueillis par Andrés Patuelli

Saïd Jedidi est écrivain et responsa-ble des émissions d’information en espagnol à la RTM, la chaîne nationale de radio et de télévision du Maroc. Ces programmes en espagnol représentent 1,4 % du total de la programmation, la majorité étant diffusés en arabe, la langue officielle (81 %), et 16 % le sont en français. A noter que 1,6 % seulement des programmes sont diffusés en langue berbère. Or, l’amazighe, la langue berbère, est parlé par 40 % au moins de la population.

Quels sont les objectifs de votre service ?

Saïd Jedidi : Les émissions en espagnol répondent à une politique d’Etat. Le Maroc est un pays pluriculturel et pluraliste sur le plain politique, social et linguistique. Presque toute la population est trilingue. Ils sont nombreux à capter la télévision espagnole. A présent, pour plusieurs raisons, notre gouvernement veut s’adresser non seulement aux Marocains habitant à l’étranger mais aussi aux étrangers eux-mêmes. Nous voulons donner notre point de vue sur les sujets qui touchent notre pays. Notre JT en espagnol figure déjà parmi les émissions les plus regardées dans le sud de l’Espagne.

Quelle est votre opinion sur la liberté de presse au Maroc ?

Saïd Jedidi : Le pays vit une véritable métamorphose. Nous avons fait d’énormes progrès après l’avènement du roi Mohammed VI, en conquérant toujours davantage de droits. Ainsi, un code de la presse a été créé et les travailleurs du secteur se sont regroupés en un syndicat national.

Votre collègue, Ahmed Benchemsi, considère pourtant que les limites de la légalité ne sont pas claires...

Saïd Jedidi : Je crois que la liberté absolue n’existe pas. Et encore moins dans des pays du tiers monde comme le nôtre. Nous avons réalisé d’énormes progrès, mais il faudra patienter et respecter les règles du jeu. Le code de la presse doit certes être amélioré, mais il est là pour être appliqué : celui qui insulte les autres sans preuves commet de la diffamation et il doit répondre devant les tribunaux. La liberté d’expression s’arrête là où commence la liberté de l’autre.

Ahmed Benchemsi affirme également que des personnes proches du pouvoir n’ont aucun intérêt à faire avancer les réformes...

Saïd Jedidi : Historiquement, dans tous les processus de changement, il y a eu des noyaux de résistance. Tous les Marocains en sont conscients. Mais je crois que la volonté du Roi est suffisamment puissante pour les vaincre.

Quels progrès en matière de liberté d’expression tenez-vous à souligner ?

Saïd Jedidi : Les transformations au sein de la RTM. Auparavant, celle-ci servait de porte-parole du gouvernement ainsi que de chaîne de vidéo et de musique à l’usage discrétionnaire de fonctionnaires. Devenue désormais « Société nationale de radio et de télévision », elle est autonome vis-à-vis du gouvernement, tout en continuant à bénéficier d’un soutien financier public. La RTM a été chargée de se mettre au service de tous les Marocains, y compris ceux de l’opposition. Depuis un an, nous sommes occupés à mettre en place un système démocratique de gestion, comprenant un conseil d’administration auquel participent tous les employés de la société.

Les partis politiques et d’autres secteurs de la société sont-ils eux aussi représentés dans ce Conseil ?

Saïd Jedidi : En font partie le Ministère de la communication et la Haute autorité de la communication audiovisuelle (HACA), tout comme les partis politiques, le Syndicat national de la presse marocaine et d’autres organisations syndicales, comme la Confédération démocratique du travail. Il existe au sein du Conseil un équilibre démocratique entre tous les représentants, les décisions étant prises de manière collective, et non plus dictées par le gouvernement ou par le ministre de l’information.

D’autres radios, privées, doivent également se joindre l’année prochaine à la RTM. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Saïd Jedidi : Contrairement à ce qui se passe dans la majorité des pays du tiers monde, au Maroc il y a eu une libéralisation du secteur audiovisuel [1]. Le monopole de l’Etat n’existe plus. Actuellement, tout le monde peut présenter son projet auprès de la HACA. Je crois qu’il doit y avoir au moins une vingtaine de projets sérieux introduits jusqu’à présent. Et il ne cesse d’en arriver.

Que pensez-vous de la publication des caricatures du prophète Mahomet ?

Saïd Jedidi : Je crois que la liberté d’expression ne peut pas donner lieu à autant de xénophobie, de racisme et d’intolérance, comme on l’a vu ces derniers jours. Je ne perçois aucune différence entre ceux qui ont publié et reproduit ces caricatures et les membres d’Al Qaïda. Dans les deux cas, c’est du terrorisme religieux. Ces caricatures ne font qu’alimenter la thèse de la guerre des civilisations avancée par l’islamisme radical et elles rendent impossible la vie de ceux qui croient à la coexistence pacifique.

Les réactions parfois violentes, se justifient-elles pour autant ?

Saïd Jedidi : On ne peut pas nous demander de rester passifs face à une insulte si grave, à une profanation. C’est une ligne rouge à ne pas franchir ! Je peux vous assurer que les musulmans, qui sont plus d’un milliard, ne permettront jamais que cela ait lieu à nouveau !

[1Le Parlement marocain a donné le feu vert, en novembre 2004, à la libéralisation du paysage audiovisuel du pays. Une première dans les pays du Maghreb. Ainsi, la radio officielle et des chaînes marocaines publiques - RTM et 2M - seront transformées en sociétés nationales ouvertes aux capitaux privés. La Haute autorité de la communication audiovisuelle (HACA) a été chargée d’étudier les nombreux projets présentés. Les résultats seront connus en mars 2006.