C’est incroyable qu’un même reporter dise une chose et son contraire, par Béatrice Ndayizigamiye
Les médias burundais ont travaillé en synergie lors des élections communales du 24 mai 2010, à la grande satisfaction des auditeurs qu’ils informaient sur toutes les régions du pays. Mais certains d’entre eux, en dehors des émissions faites en commun, sont restés partisans d’un parti ou d’un autre, bafouant la charte qu’ils avaient signée.
Quatre-vingt-quinze sur cent : c’est la note attribuée à la synergie des médias burundais par un participant à la plateforme des représentants des partis politiques et de la société civile qui a clôturé, le 26 mai, ce travail des médias pour les élections communales du 24 mai 2010. Une bonne note qui cache cependant quelques fausses notes, témoignant d’une implication mitigée de certains journalistes à un suivi équilibré de ce scrutin.
Pour sa seconde édition, cette synergie, qui avait bien fonctionné en 2005, a réuni 15 médias de la presse audio-visuelle et écrite, qui ont mis ensemble leurs journalistes pour assurer une large couverture du processus électoral pour produire et diffuser des émissions communes. Organisée en deux temps, elle les a d’abord réunis, durant quatre jours lors du lancement de la campagne électorale le 5 mai. Puis, ils se sont retrouvés au sein d’une rédaction commune à la Maison de la presse de Bujumbura le 19 mai, à l’avant-veille du scrutin initialement annoncé pour le 21. Durant ces deux périodes, les médias ont diffusé les mêmes journaux en quatre langues, à la mi-journée et le soir.
Une centaine de journalistes ont été déployés aux quatre coins du pays pour rendre compte de la campagne électorale. Ils ont suivi les meetings des partis politiques, se sont rendus dans les services de l’État constatant la désertion de certains cadres, dénoncé l’usage du charroi de l’État pendant la période de propagande, rapporté l’accident d’un véhicule de transport de marchandises, qui véhiculait des militants de partis et qui a coûté la vie à l’un d’eux. Rien n’échappait à leur œil vigilant, à la grande satisfaction des auditeurs. Dans la rue, au marché, dans les maisons, chacun restait l’oreille rivée à sa radio pour suivre ce qui se passait même dans les coins les plus reculés du pays.
Ces reportages respectaient la charte du Plan d’action commun d’appui aux médias, financé par la Communauté européenne, signée par les médias. Celle-ci souligne, sur le plan déontologique, la nécessaire neutralité du regard de la presse sur le cycle électoral 2010. Mais certains médias, proches du parti au pouvoir notamment, à la reprise de l’antenne habituelle, diffusaient des reportages qui allaient à l’encontre de ce qui avait été dit dans ceux de la synergie. Un même journaliste pouvait ainsi donner sur un même événement deux sons de cloche bien différents selon qu’il travaillait pour la synergie ou en dehors.
Lorsqu’ils couvraient un meeting, par exemple, les estimations du nombre de participants différaient selon l’émission dans laquelle ils en parlaient. Il variait également selon que le parti en question était de l’opposition ou pas. Cela suscitait alors des interrogations chez le public et l’indignation chez les journalistes de la synergie : « C’est incroyable qu’un même reporter dise une chose et son contraire », s’indigne l’un d’eux.
« Le problème n’est pas que des personnes aient des penchants politiques », souligne de son côté Innocent Muhozi, le président de l’Observatoire de la presse burundaise, l’organe d’auto-régulation, dans une des éditions de la synergie, mais c’est de dévaloriser les autres, d’émettre des critiques destructives envers les autres partis. C’est une question d’éthique. Pour Gérard Nzohabona, ex-président de l’Association burundaise des journalistes, tout médium faisant partie de la synergie doit en garder l’éthique dans toutes ses diffusions. Il souligne que, dans le cas contraire, cette attitude peut être dangereuse et troubler les gens dans la période cruciale qu’est la campagne électorale.
Du 19 au 25 mai toutes les radios avaient convenu de diffuser les mêmes programmes durant toute la semaine. Mais là aussi, certaines radios ont tardé à capter le signal émis depuis la Maison de la presse. Certaines même reprenaient l’antenne en cours de route, diffusant leurs propres programmes, en contradiction avec ce qui avait été convenu.
En dépit de ces incohérences, l’appréciation du travail de la synergie a été bonne, de la part des auditeurs tant nationaux qu’internationaux. Mais, en dehors des émissions de la synergie, l’appréciation varie selon les médias. Dans une conférence de presse le 27 mai 2010, la mission d’observation de l’Union européenne a relevé une forte présence du parti présidentiel surtout dans les médias publics. Elle a aussi précisé que la plupart des radios privées octroient un temps d’antenne plus équilibré aux différents acteurs politiques.