La liberté ou la famine

Mise en ligne: 14 septembre 2010

La liberté est moins un luxe qu’une condition de survie, par Antonio de la Fuente

Y a-t-il un lien entre démocratie et liberté de la presse ?

Ouvrons le journal : des manifestations réclamant l’avènement de la démocratie au Swaziland, petite nation d’Afrique australe gouvernée par un roi despotique, et la subséquente arrestation des manifestants, mérite une courte brève. Même espace pour l’arrestation de journalistes tibétains en Chine. Le lien semble étroit et réciproque mais la propre presse ne le met pas toujours fort en vue.

Et y a-t-il un lien entre liberté de la presse et développement ?

Une réponse tranchée en la matière est celle du Prix Nobel d’économie indien Amartya Sen : « Aucune famine significative ne s’est produite dans un pays indépendant et démocratique à l’intérieur duquel la presse jouit d’une relative liberté ». Parcourir la liste des famines meurtrières au cours des dernières décennies –de la Chine au Niger, en passant par le Nigeria, la Corée du Nord, l’Ethiopie et le Zimbabwe- permet de lui donner raison.

Un rapport à double sens

Dans l’entendu que le développement est un processus vers un meilleur niveau de vie pour tous, le rapport entre la liberté de la presse et le développement est à double sens : ils vont de l’avant ensemble ; a contrario, la faiblesse de l’un affaiblit l’autre.

Le dernier Prix de la Fondation Roi Baudouin pour le développement fut accordé en 2008 à l’agence de presse indonésienne KBR68H. Plus d’un lecteur a pu se demander quel peut être le lien entre le développement et une agence de presse au point de récompenser une pour son travail dans la direction du premier, tant une certaine conception étroite du développement se limite à la croissance économique de la même manière dont on réduit parfois le travail journalistique à la simple transmission relativement neutre de l’information.
KBR68H, l’agence de presse indonésienne qui a reçu le Prix de la Fondation Roi Baudouin, est, par contre, résolument engagée dans la voie du développement et de la démocratisation de la société indonésienne.

Son directeur, Santoso, se plaît à dire que l’agence a un nom de virus. Du virus de la démocratie. Et donne des exemples pour appuyer son propos : Les victimes d’une famine, par exemple, en Papouasie Nouvelle Guinée, ou les malades du sida, sont davantage des victimes sans information. Celle-ci n’est pas un luxe mais bien une condition de survie.

L’information n’est, bien entendu, pas tout dans le travail journalistique. Des médias assument aussi la tâche de la constitution d’une mémoire collective. C’est le cas du journal Le Souverain, de Bukavu, au Congo. L’oralité véhiculée par la radio ne permet pas d’assurer cette tâche. L’information écrite, par contre, ne peut pas être détournée par l’interprétation. A cet égard, une forme d’alliance entre le monde associatif et les médias est possible et même nécessaire.

Le paradoxe du quatrième pouvoir

On désigne parfois la presse comme étant le quatrième pouvoir, destiné à passer en revue critique l’action des autres pouvoirs incarnant l’Etat. Ce rapport n’efface pas le paradoxe né du fait que la presse est souvent financée directement ou indirectement (via la publicité) par des acteurs qu’elle se doit de contrôler et de critiquer.

Ainsi, la liberté de la presse peut parfois exister, relativement, envers le pouvoir politique mais être tout à fait inféodée aux élites économiques et financières. C’est le cas au Brésil avec l’empire communicationnel de la Rede Globo ou en France avec TF1.

Aussi, pour garantir la liberté de la presse, l’existence des lois en ce sens est une condition nécessaire mais pas suffisante. Parfois, les juges qui doivent appliquer la loi pénale, méconnaissent ou sont contraints d’ignorer des conventions internationales visant à garantir la protection de la liberté de la presse et l’intégrité des journalistes.

Sous la dictature, là où les pouvoirs sont concentrés et manipulés par quelques mains, le journalisme est un métier à haut risque. Selon Reporters sans frontières, les prédateurs de la liberté de la presse sont nombreux, puissants et souvent maffieux. Dans le courant de 2010, 26 journalistes ont été tués et 162 sont emprisonnés.

Comme chante Alpha Blondy, la liberté y a laissé des plumes.