Pour Le Souverain, bimestriel congolais, le combat pour la liberté de la presse est d’abord une lutte permanente pour exister, propos de Solange Lusiku, recueillis par Violaine Jadoul et André Linard
Solange Lusiku, vous êtes l’éditrice du Souverain, qui paraît à Bukavu, dans l’est du Congo. Quel genre de journal Le Souverain est ?
Solange Lusiku : Le Souverain est un journal d’information générale, libre et indépendant. Nous sommes un petit groupe de militants rassemblés autour de luttes sociales. Notre objectif est d’aider cette jeune démocratie – qui commence au Congo – à s’asseoir et à promouvoir les valeurs républicaines qui sont contenues dans La charte du Souverain. Des valeurs comme le respect de la dignité humaine, le pluralisme d’opinions…
Au quotidien, quelles sont vos difficultés en tant qu’éditrice ?
- La difficulté est générale pour tous les éditeurs parce que cela fait longtemps que l’État congolais n’a plus fourni de subsides aux médias. Donc ceux-ci doivent se débrouiller pour vivre. Au Souverain, comme nous sommes indépendants de toute idéologie politique ou religieuse, nous devons nous débrouiller en tant que militants pour la survie du journal. La grande difficulté, c’est l’absence d’appui financier. L’équipe n’est pas constitué de permanents. Nous sommes tous tentés d’aller travailler là où il y aura un petit salaire pour vivre, pour se nourrir, pour couvrir tous les besoins élémentaires, et notre travail au Souverain vient après.
Votre rédaction a-t-elle déjà été victime d’atteintes à la liberté du travail journalistique ?
- Non. Mais l’éditeur qui m’a précédée a été parfois fortement menacé. À l’époque de la rébellion, fin des années 1990, tout le monde a connu beaucoup de difficultés. Moi, à l’époque, je travaillais dans l’audiovisuel. Suite à des menaces, j’ai dû vivre dans la clandestinité pendant 15 jours. Au Souverain, nous n’avons pas encore été inquiétés, mais nous savons que nous pouvons l’être parce que tous les journalistes congolais sont menacés. Le travail de l’Ong Journalistes en danger aide à ce que les gens réfléchissent avant de s’en prendre aux journalistes. Mais nous sommes dans un pays, où, souvent, tout se règle avec les armes. Or, les journalistes ne sont pas armés et n’ont pas besoin de l’être pour exercer leur travail.
Dans quelle mesure peut-on parler de presse libre au Congo ?
- On ne peut pas parler de presse libre, parce que la majorité de nos médias appartient à des hommes politiques ou à des confessions religieuses. Nous serons libres lorsque nos médias deviendront de vraies entreprises de presse ; c’est-à-dire quand ils s’autofinanceront. Le financement par des tierces personnes fait que nos médias vivent la censure et l’autocensure au quotidien. Pour atteindre cette liberté, il y a beaucoup de travail à faire ; au niveau des institutions du pays, de la population et même des journalistes. Le dernier rapport de Journalistes en danger indique une diminution des menaces à l’encontre des journalistes. Cela ne signifie pas que ceux-ci, en faisant bien leur travail, n’ont pas été menacés. L’amélioration est due au fait qu’ils se sont beaucoup autocensurés pour ne pas avoir de problèmes. Selon moi, le grand mal pour une rédaction, c’est l’autocensure.
Qui est très présente ?
- Oui. Comment voulez-vous, par exemple, qu’un média qui appartient à un homme politique puisse dénoncer ce que fait celui-ci ? Ou qu’un autre qui répond à des idéologies religieuses contredise la parole des leaders de la confession ?
On pourrait poursuivre le raisonnement : comment voulez-vous qu’un journaliste qui reçoit de l’argent pour couvrir un sujet le fasse de façon indépendante ?
- Chez nous, au Congo, les journalistes ne sont pas bien payés. Pour faire vivre leur famille, payer les études de leurs enfants, les soins médicaux… ils doivent se débrouiller. Certains m’ont raconté que, quand ils ont signé leur contrat, on leur a donné un micro et on leur a dit de se débrouiller pour se faire payer. C’est difficile. Un journaliste qui va en reportage, qui se laisse véhiculer par l’institution qui organise l’activité, et qui se fait payer par la suite en « frais de transport », qu’on appelle chez nous coupage, ne dispose plus de tout son sens critique pour rédiger son article. Il va d’abord chercher à plaire aux gens qui ont fait preuve de générosité envers lui.