Le point de vue de quatre journalistes, par Otman Louaret
Comment les médias réfléchissent la diversité et comment la traduisent-t-ils ? Est-ce que les journalistes réfléchissent aux mots avant de les prononcer, avant de les écrire ? Rechercher une réponse à ces questions ne constitue pas un moyen pour se tranquilliser et de s’exempter d’une réflexion. Car chacun d’entre nous doit être porteur de réflexion et d’attention sur le thème de la diversité culturelle.
Les médias sont-ils tout de même des leaders d’opinion ? Peu de journalistes souscrivent à cette idée et rejettent même ce qu’ils perçoivent comme une étiquette qu’on veut leur faire porter de manière injustifiée. Effectivement, la majorité des journalistes diront sans doute qu’ils ne font que traduire l’évolution de la société dans laquelle ils sont imprégnés. Ils seraient donc une sorte de miroir social.
Alors, de la société et des journalistes, qui mène le bal ? Ou plutôt : Qui le mène davantage ? Trancher nettement cette question paraît évidemment hasardeux tant le sujet est large et complexe.
En effet, évoquer « le rôle de la presse », « l’influence de la presse », sous-entend l’existence d’une sphère médiatique clairement définie. Or, les journalistes ne sont pas à coté ou en dehors de la société mais bien plongés dans le monde qu’ils observent et rapportent. Mais il leur faut reconnaître que leur pouvoir de transmission est bien plus grand que celui du quidam ordinaire. Ils occupent une position clé en ce sens qu’ils sont des relais, des transmetteurs avec une large capacité de diffusion.
Dans un tel contexte de présence médiatique, il semble difficile de ne pas juger indispensable un surgissement permanent de la problématique de la diversité culturelle et leur présentation dans les médias.
Ricardo Gutiérrez, journaliste au Soir et Mehmet Köksal, journaliste indépendant, évoquent en premier lieu l’Association des journalistes professionnels, l’AJP, comme structure de réflexion et de travail sur la présentation de la diversité.
En Flandre existe depuis plusieurs années un Conseil de déontologie des journalistes. Ricardo Gutiérrez explique qu’il va se mettre en place du coté francophone dans quelques mois. Ce Conseil pourra convoquer les journalistes en cas de dérapages et pourra éventuellement prendre des sanctions à leur égard.
« Et puis, il y a les chefs de services, les secrétaires de rédaction, les collègues qui supervisent le travail des journalistes. » rappelle Ricardo Gutièrrez. Alors, est-ce suffisant pour éviter les dérapages ? Sûrement pas si l’on s’arrête là. Surtout lorsqu’on connaît l’urgence dans la production et donc l’obligation de réaction « à chaud », qui plus est contradictoire avec la fonction de journaliste qui met en avant la neutralité et la prise de distance par rapport aux évènements. D’autant plus que « la double exigence de concision et de vulgarisation », comme la présente Mehmet Köksal, est une sorte de condition sine qua none à l’atteinte d’un large public et ne favorise pas la traduction d’une réalité complexe.
Samir Ben El Caïd, journaliste de formation et directeur de l’association La Maison des enfants d’Anderlecht, est plus radical à ce propos : « Il n’y a pas de réflexion autour des termes qu’on utilise vu les exigences d’immédiateté de toutes les presses. Donc, on pioche des mots comme cela un peu partout avec des amalgames inévitables. C’est à l’emporte-pièce, chacun y va de sa propre définition ».
Il existe donc un malaise autour de la terminologie et, à l’arrivée, la question est de savoir comment les médias doivent s’y prendre pour parler des personnes d’origine étrangère ou des personnes étrangères. Les journalistes eux-mêmes peuvent ressentir un malaise ou des hésitations par rapport à l’usage du vocabulaire, aux enjeux de la dénomination et aux conséquences négatives liées aux amalgames que les termes engendrent.
Pour Samir Ben El Caid, un mot comme « Nord-Africain » est déjà une tare dans le sens où « c’est devenu une typologie physique du criminel ». Il existe, par conséquent, un risque clair de stigmatisation inutile lorsque l’on précise, par exemple une origine nationale du moment cela n’a pas lieu d’être, c’est à dire lorsque la précision n’apporte rien à la compréhension de l’information.
Il est indéniable que l’opinion publique est toujours d’une certaine manière, même indirecte, façonnée par les médias qui agissent perpétuellement sur l’environnement même si très probablement, nous n’arriverons pas à déterminer de façon très précise de quelle manière elle l’est. Faut-il définir, dès lors, des règles de régulation, notamment concernant le vocabulaire pour permettre la construction et la consolidation de la société multiculturelle ?
Mehmet Köksal est en désaccord avec ce point de vue : « On ne peut pas obliger les gens à utiliser un terme. Il faut arrêter avec cette utopie. Il faut écouter les arguments de chacun, mais à un moment chacun fait son choix. La société évolue avec la liberté, pas par les interdits. Et elle avance avec le langage ».
Betty Cleeren, journaliste à la RTBF, explique également : « Les termes changent parce qu’ils changent dans la société mais ils désignent toujours les mêmes personnes discriminées pour les mêmes raisons. Je ne pense donc pas que c’est important à faire. L’important se situe dans la façon dont on relate les faits et le choix des sujets mais moins dans la stigmatisation des termes. L’important n’est pas d’apprendre à parler des gens mais à parler aux gens ».
Il apparaît donc clairement que définir un vocabulaire, une terminologie qui éviterait au discours d’être envahi par l’incorrection politique est très réducteur de la problématique et empêche de travailler profondeur la question. Le discours ne se réduit pas à un lexique et permettre une évolution des mentalités ne se résume pas au remplacement d’un mot par un autre.
Chaque commentaire journalistique d’un journal télévisé, chaque article de journal composé ne relève pas d’un discours unique ou, plus exactement, il existe beaucoup de discours différents.
Pour les journalistes, c’est le rôle de chacun de travailler la question. Tout le monde est responsable. Mais la parole n’est pas partagée de façon équilibrée. Le langage, le vocabulaire retenu, est le résultat d’un rapport de forces. On peut comprendre dès lors que des catégories socialement, politiquement ou économiquement peu valorisées trouvent peu d’échos à leurs revendications ou contestations. Ces personnes ont-elles la parole ? Et, dans ce cas, bénéficieraient-elles d’une écoute ou d’une attention légitimée ?