...Est-ce un paradoxe ?, propos de Michel Bonami recueillis par Antonio de la Fuente
Michel Bonami, vous êtes professeur à l’Université de Louvain, spécialiste en systèmes et pratiques de formation et d’enseignement, dont vous avez une large expérience autant en Europe que dans le Sud. Quel est aujourd’hui le panorama de la formation des formateurs ?
Nous pouvons tenter de décrire les tendances lourdes de la formation professionnelle continue, dont fait partie la formation de formateurs : depuis une quinzaine d’années, on voit bien que les contenus et les dispositifs des formations ont tendance à se rapprocher des conditions habituelles de l’exercice professionnel : on quitte la formation hors situation de travail pour aller vers une formation en situation de travail. Pour serrer de près les conditions d’exercice d’un travail, on va chercher de plus en plus des situations didactiques qui donnent du sens aux situations professionnelles. On va, dans la préparation de la formation, faire l’analyse des situations critiques dans cadre professionnel ; les « nouveaux » métiers d’accompagnement des personnes et des équipes en situation s’activité réelle se développent de même que les stages pratiques, la formation en alternance.
L’autre tendance, c’est de passer de situations de formation en groupe à des situations de formation individuelle (la flexibilité des nouvelles technologies) ou interindividuelle (avec son coach !). Avant, la formation constituait un espace construit sur un mode identitaire qui conciliait l’action sur les personnes et les valeurs de l’organisation ; cela valait aussi bien pour les entreprises, que les administrations et les associations. Maintenant, nous avons affaire à des types de formation de plus en plus individualisées et modularisées. L’ensemble de pratiques qui se développent autour du coaching, du mentoring, du team-building, de l’évaluation 360°, de la validation des acquis d’expérience sont comprises dans cette tendance.
Il y a donc un ensemble de facteurs, parmi lesquels l’informatique, la formalisation des compétences, l’appréhension à la fois de la complexité des situations et la création de langages communs (les référentiels) qui permet d’entrer en contact, de se faire connaître, qui font en sorte que la formation n’est plus séparable d’une relation marchande (sur le marché de l’emploi et l’insertion professionnelle). Il y a un double mouvement, à la fois vers l’individualisation et la standardisation. Est-ce un paradoxe ?
C’est le cas aussi à l’université ?
A l’université aussi les futurs diplômés doivent faire preuve de leur excellence dans des pratiques : par exemple pour devenir professeurs dans l’enseignement supérieur non universitaire, les candidats doivent présenter un portfolio qui atteste de leur intégration de connaissances et du développement de compétences particulières. Des parcours de formation qui combinent à la fois des modules qui constituent un socle, des séminaires de réflexion sur des pratiques ainsi que la validation des acquis d’expérience. Il s’agit de constituer un dossier qui permette de manifester vos compétences et vos connaissances ; qui en indique les traces dans des documents produits à l’occasion de pratiques professionnelles quotidiennes, ou de pratiques de recherche et d’enseignement à l’université. On retrouve les métiers de l’accompagnement et les techniques d’individualisation.
Que va changer la réforme de Bologne, c’est-à-dire le fait de placer des systèmes nationaux diversifiés dans un cadre commun, en matière de formation de formateurs ?
Un des principes qui régit Bologne est celui de faciliter les échanges, d’un pays à l’autre, d’une université à l’autre. On voit bien là aussi une individualisation et une modularisation des parcours. La formation est organisée autour des crédits qui peuvent être validés auprès de n’importe quelle autre université. Au point que des projets de formation d’adultes en horaire décalé, comme la Fopa ou la Fopes, à Louvain-la-Neuve, qui donnaient accès à l’université à des non universitaires et favorisaient des parcours collectifs éprouvent des difficultés d’adaptation des curriculums et des dispositifs de formation aux demands plus diversifiées d’adultes et de jeunes.
Quelle est la place des nouvelles technologies, l’importance de la formation à distance dans ce nouveau contexte ?
Je dirais que les médias classiques (la radio, la télévision) ont peu changé la structure de formation, mais qu’internet a changé beaucoup plus. Il y a des nouveaux produits à travers des manières de faire, des plateformes, des forums, des systèmes de guidance, des ressources éducatives qui viennent compléter les activités existantes davantage que les modifier. Des nouveaux produits donc mais pas des grandes transformations pédagogiques. Internet par contre modifie l’accès à l’information et à la formation ; il arrive même qu’à travers internet des exclus soient inclus. Sur le plan Nord-Sud, il y a des formations qui se font au Bénin et sont produites au Québec et qui permettent sous certaines conditions à des personnes d’accéder à des démarches de formation auxquelles elles n’auraient jamais pu prétendre autrement.