L’expérience des Comités d’action contre l’austérité en Europe

Mise en ligne: 18 décembre 2013

Les Comités contre l’austérité en Europe collaborent avec des syndicats, des associations et des groupes informels, par Yiorgos Vassalos

Les Comités d’action contre l’austérité en Europe sont nés à Bruxelles en avril 2011 lorsque l’Union européenne commençait à graver par des lois les politiques d’une austérité profondément injuste socialement. Après l’adoption du Pacte pour l’euro, les institutions européennes se préparaient à voter un paquet législatif de six règlements (le « six pack ») sur la gouvernance économique. Celles-ci prévoient des sanctions pour tout gouvernement qui n’accepterait pas les recommandations de la Commission européenne en matière de gel ou réduction de salaires réels et de coupes dans les budgets pour la santé, l’éducation et la sécurité sociale.

Des citoyens choqués par ces évolutions ainsi que des militants venus de mouvements avec des traditions bien différentes constataient qu’il y avait, d’une part, une unanimité parlementaire en faveur de ces mesures et, d’autre part, une volonté très limitée de la part des directions syndicales de construire une résistance. Pourtant, il y avait des forces sociales vives venant de nouveaux mouvements qui ont émergé de la crise en Europe (comme le mouvement des Indignés ou Occupy movement), du syndicalisme combatif, du monde associatif et de militants politiques de la gauche radicale qui voulaient agir sans attendre.

Jusqu’alors le fait que la Belgique n’avait qu’un gouvernement en affaires courantes (2010-2011) avait empêché la prise d’importantes mesures d’austérité bouleversant le status quo social. Mais un gouvernement « normal » venait de se former sous la pression de la Commission européenne qui voulait voir ses « suggestions » économiques appliquées avec un accord clair de tous les partis. Les allocations de chômage et les prépensions ont été les premières victimes du programme gouvernemental. Mais parmi les initiateurs de Comités contre l’austérité il y avait beaucoup de gens originaires du sud de l’Europe qui savaient d’expérience que cela n’allait pas s’arrêter là. Ces craintes ont été confirmées avec le gel global de salaires imposé par décret royal pour 2013 et 2014. Depuis 2011, les Comités contre l’austérité sont sûrs que tout le monde ou presque allait être touché par ce « tsunami austéritaire » européen.

La première étape a été d’appeler une assemblée générale ouverte à toute personne intéressée parun thème spécifique : quel type d’action capable d’attirer une certaine attention des médias et du grand public pourrait être organisé pour protester contre l’adoption de la législation « austéritaire » et antidémocratique de la gouvernance économique par le Parlement européen. Sans se faire trop d’illusions sur notre capacité réelle de faire rejeter ce texte à ce moment-là, on voulait maximiser les résistances et le « coût politique » pour ceux qui le voteraient, mais surtout pour sensibiliser les gens. On a décidé de bloquer le train qui allait ramener les eurodéputés de Bruxelles à Strasbourg pour voter à la plénière. On a réussi à bloquer les rails et à retarder le train. Cela a créé de l’appétit pour plus d’un participant.

On a continué à se voir en AG, on a créé des groupes de travail pour la communication, la préparation « pratiquo-pratique » des actions et de thèmes qu’on voulait aborder au fur et à mesure. On a organisé des journées de formation notamment sur les politiques économiques de l’Union, des conférences et des meetings internationaux pour écouter les expériences d’autres pays victimes des mêmes politiques et réfléchir sur la manière de coordonner nos luttes. On aussi organisé des soirées de soutien aux grèves ou aux expériences d’autogestion de travailleurs ailleurs, notamment en Grèce.

Mais on est resté centrés sur l’action. Nous avons organisé successivement l’encerclement de ce qu’on a nommé le « banquet de riches », une soirée au palais d’Egmont réunissant le leadership politique de l’UE avec de PDG de grandes multinationales ; l’occupation de l’Office national de l’emploi le premier jour où la dégressivité des allocations de chômage a été mise en œuvre ; l’occupation du Direction générale économique et financière de la Commission européenne, partie prenante de la fameuse troïka, avec la coalition européenne « Pour un printemps européen » le 14 mars 2012 ; une manifestation de 1er mai contre la mise en concurrence des travailleurs malgré le refus de la police de nous l’autoriser ; une manifestation près du parlement fédéral contre le projet de loi belge sur la « compétitivité internationale des salaires » qui aura comme résultat le gel de salaires jusqu’en 2018 au moins et l’abolition en pratique de négociations collectives ; la participation à l’interruption du speech du président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, dans une conférence à Bruxelles en faveur d’une administration publique au service du grand business. Une initiative semblable a été prise par des groupes amis lors d’un speech de Barroso à Liège.

L’organisation de tous ses activités a été émancipatrice de deux points de vue : 1) elle a signifié la réappropriation provisoire de l’espace public pour protester contre des politiques injustes hors de normes de la protestation rituelle, autorisée et donc anodine, et 2) elle a été faite de façon horizontale au sein d’assemblées où tous les participants avaient les mêmes droits et les mêmes occasions à intervenir, contribuer et développer leur analyse de la situation et de la riposte qu’on pourrait amener. Ni la position dans des hiérarchies syndicales ou autres ni la trajectoire militante antérieure n’ont donné plus de poids aux propos de tel ou tel participant. Le type d’action, les slogans, les objectifs immédiats ont tous fait l’objet d’un débat ouvert et d’une décision collective par consensus ou parfois par majorité.

Ceci a permis à des gens qui voulaient agir de développer leur potentiel en laissant de côté les clivages historiques entre différentes organisations syndicales, politiques ou associatives et sans devoir convaincre et manipuler des structures compliquées et souvent trop lentes à prendre de décisions d’action. La réussite des actions a prouvé qu’il est possible d’agir sur base purement volontaire et sans une hiérarchie formelle, sur base des engagements. Cela ne veut pas dire que les Comités contre l’austérité veulent remplacer les organisations structurées ni les proclamer inutiles. Des syndicats, des associations et des partis politiques sont indispensables pour se battre pour le changement social, même si ces organisations doivent sortir du concept du « partenariat social » qui est en fait déclaré caduc par le camp des employeurs. Mais quand la nécessité d’action unitaire presse et les structures tardent, d’autres doivent prendre le devant. C’est que les Comités contre l’austérité ont essayé de faire, en donnant aux éléments les plus militants de la confiance en eux. De cette manière, ils ne se sentent plus isolés et ils créent une dynamique de lutte.

Bien sûr, l’effort n’a pas été privé de difficultés. L’idée de créer de groupes de quartiers qui auraient leurs propres réunions et leurs propres actions s’est montré assez difficile à réaliser. C’était peut-être prématuré et cela a demandé un investissement en plus à la cinquantaine de membres actifs des Comités contre l’austérité. Les tentatives de créer des groupes dans d’autres villes ont été, jusque-là, contradictoires, car ce n’est pas simple de définir leurs relations avec l’AG de Bruxelles. Le modèle a été lancé et a réussi à inspirer, mais chaque groupe local a besoin du temps pour trouver son propre mode de fonctionnement et surtout comment s’articuler avec les organisations et les mouvements locaux. Tout cela, ce sont des travaux en cours afin de trouver le modèle d’organisation et d’émancipation militante le plus efficace et de lui donner forme sur le plan national. Parmi les expérimentations de ces premières années des Comités contre l’austérité il y a eu une tentative de création d’un comité en France. Ceci a été extrêmement compliqué à gérer, mais - de nouveau - des graines ont été disséminées.

On a aussi souvent fait face à la question de mettre en avant ou pas des alternatives à la présente gouvernance oligarchique. Nous avons décidé que l’important, c’est que les mouvements sociaux et populaires regagnent confiance en eux en mettant un frein à des politiques désastreuses. On s’est contenté alors de mettre nos principes de base sur une charte et laisser le débat passionnant sur les alternatives lorsque les conditions seront plus mûres.

Les Comités contre l’austérité ont été une expérience émancipatrice personnelle aussi. Je vis en Belgique depuis neuf ans et j’ai été impliqué dans des mouvements sociaux, notamment lycéens et étudiants, dans mon pays natal, la Grèce. Dès le départ, j’essayais de participer dans les mouvements et la vie politique belge, mais j’avais du mal à dépasser ce sentiment d’observateur extérieur ou du « touriste révolutionnaire ». Mon travail dans une association européenne m’incitait à rester concentré sur la vie de la bulle européenne, transplantée au cœur de Bruxelles. Les Comités contre l’austérité ont été, alors, une occasion d’intégration sociale extraordinaire pour moi, qui m’a donné le sentiment que je peux mettre mes connaissances au service d’une cause authentiquement populaire. On dit que les questions européennes sont trop compliquées pour les expliquer aux gens. L’expérience de Comités contre l’austérité m’a appris que si on se centre sur ce qui a un vrai impact pour la majorité de gens et si on ne reproduit pas les mythes construits pour servir de justificatif d’un système non démocratique, les travailleurs (des hôpitaux, des chemins de fer...) feront avancer l’analyse. Les Comités contre l’austérité m’ont aussi encouragé à exprimer mes points de vue personnels en sachant qu’ils vont être pris en considération. C’était le cas, pour plein d’autres camarades qui n’ont pas grandi ici.

Ce ne sont pas seulement les discriminations en fonction de l’ancienneté militante qui sont absentes des Comités contre l’austérité mais aussi par rapport à l’âge, au sexe et à l’origine. Je n’ai pas vu beaucoup de groupes avec une mixité générationnelle aussi importante et équilibré lors des débats. Du point de vue des origines, les Flamands, les Wallons et les Bruxellois « de souche » coopèrent de façon naturelle avec des personnes originaires du Maghreb, de l’Amérique Latine ou de l’Europe du Sud. Cela donne une richesse inestimable au groupe.

Après une méfiance, je dirais naturelle, au départ de la part de certains acteurs institutionnels, les Comités contre l’austérité commencent à faire partie intégrante de la « scène » militante et activiste belge et en participant à des coopérations diverses avec des syndicats, des associations et des groupes informels. Leur capacité de mobilisation n’est pas énorme, mais elle est d’une complémentarité utile. Surtout, tout le monde ou presque en apprécie la fraicheur du discours et l’originalité des actions.

En même temps, les Comités contre l’austérité ne revendiquent l’exclusivité en rien du tout. Au contraire, ils sont contents de voir d’autres initiatives de coordination et d’unité se développer à tous les niveaux. L’Alliance D19-20 est un magnifique exemple. A l’appel des fédérations des agriculteurs, une alliance incluant plusieurs centrales syndicales de deux couleurs, d’associations et d’autres groupes a vu le our. L’objectif est d’exiger lors du sommet européen du 19 décembre 2013 la retraite immédiate du Traité sur la convergence et le gouvernance économique, qui constitutionnalise les politiques d’austérité et du traité de libre-échange et de protection d’investissements entre l’Union européenne et les Etats-Unis et qui laissera tomber la protection de l’environnement, de la santé publique et des travailleurs sur de nombreux domaines. Les Comités contre l’austérité seront au rendez-vous et espèrent voir un maximum de gens prendre place dans les sept points définis par l’Alliance D19-20 afin de s’émanciper collectivement en influençant notre avenir commun.