Table ronde avec Alain Reyniers, Guy Fays, Bernard Devos, Luc Lefèbvre et Ahmed Ahkim
Peut-on considérer que la question Roms est une nouvelle question sociale ?
En 2008, il y a eu l’affaire Berlusconi, à propos des dispositions répressives à l’encontre des Roms. Cette affaire a eu des conséquences à échelle européenne puisque ce même année, un incident est venu perturber le premier sommet européen
consacré aux Roms. Lors de l’intervention José Manuel Barroso, président de la
Commission européenne, des militants ont affiché leurs t-shirts décorés d’empreintes digitales, symboles de la mesure répressive la plus emblématique décidée par Berlusconi, à savoir la prise des empreintes digitales de tous les Roms vivant en Italie.
En 2010, en France cette fois, lors du discours de Grenoble, les plus hautes sphères de l’Etat lancent les Roms et les Gens du voyage en pâture à l’opinion publique. La question rom est toujours d’actualité en 2013 en France et en Belgique : il y a eu récemment en France les propos du ministre de l’intérieur, Manuel Valls, à l’encontre des Roms et, à Bruxelles, plusieurs communes sont aux prises avec le phénomène des familles roms SDF.
Au Centre de médiation des Gens du voyage et des Roms, nous constatons que, systématiquement, lorsque l’on parle des Roms ou des Tziganes, l’émotionnel et le symbolique l’emportent sur la raison. L’affectif et les images d’Epinal très stigmatisantes prennent rapidement le dessus.
Réintégrer la rationalité au cœur de la question rom est l’objet de notre débat aujourd’hui concernant les Roms.
Tout au long de ces dernières
années, les informations sur les Roms se
sont multipliées. Pourtant, ceux-ci restent
globalement méconnus. Je viens de donner
à des étudiants en communication un cours
sur la musique tsigane des Balkans mais
ceux-ci sont incapables d’évoquer ne fusse
que l’ « affaire de l’ange blond ». Quand on
parle des Roms, la méconnaissance est de
règle. Or, ceux-ci ne viennent pas de la
planète Mars. Ils sont chez nous depuis
plus de 600 ans. Cette population apparait
en 1150 aux abords de Constantinople. On
a, à cette époque, des documents qui évoquent
des groupes de gens aux comportements
économiques très particuliers.
C’étaient des maquignons, des vétérinaires,
des artisans et des gens du cirque. Ils
avaient la capacité de pouvoir passer d’un
métier à un autre. C’étaient des gens très
flexibles.
Dans l’Empire Byzantin, ils étaient connus
comme « athingani » (en français, « tsiganes
») qui signifie : « personnes qui ne
touchent pas ». Il y a ici une question de
prise de distance entre ces personnes et la
masse des gens. Leur adhésion à un système culturel axé sur le respect de comportements
liés aux notions de pureté et
d’impureté les amenait sans doute à prendre
distance vis-à-vis de ceux qui ne partageaient
pas leurs croyances. Or le terme
« athinganoï » ne provient pas de la langue
des Roms ; il est d’origine grecque. Ce
terme fait référence à une secte religieuse
qui dans l’Empire byzantin considérait
comme impurs tous contacts avec des noncroyants.
Il n’est pas sûr du tout que les
Roms aient été adeptes de ce type de
croyance. Une autre origine pourrait aussi
être donnée au terme « tsigane » ; celui-ci
proviendrait d’un mot de la langue hittite
qui désignerait la personne non rattachée à
la terre. Or, pour désigner les non tsiganes,
les Roms utilisent le terme « gadjo » qui
provient du sanskrit et qui signifie précisé-
ment « l’homme attaché à la terre ». En
règle générale, dans les ouvrages traitant
des Roms, on le traduit par le terme «
paysan ». Mais ce n’est pas que le paysan.
En fait, ce terme désigne tous ceux qui
sont plongés dans un système social et
mental qui fixe l’individu quelque part et
l’amène à posséder, à réfléchir sur la mani
ère de faire fructifier les choses dont il a
la propriété.
Quand un Rom est devant nous, il va nous
dire qu’on est un « gadjo ». Ce n’est pas
une injure. C’est juste un constat. Il veut
simplement nous dire que nous ne sommes
pas dans le même système que lui. Etre
Rom pour lui, c’est être un homme marié,
dans son groupe.
Contrairement à des préjugés bien ancrés
qui présentent les Tsiganes comme un
peuple fermé sur lui-même, les Roms ne
se marient pas qu’entre eux. A chaque
génération, et bien que la tendance porte
les Roms à l’endogamie, il y a des mariages
mixtes. Les Roms sont donc mélangés,
comme toutes les autres populations. Le
« gadjo » qui vient du monde sédentaire
apporte avec lui ses coutumes et sa conception
de la vie (concernant par exemple
l’éducation des enfants). Mais il reçoit
surtout des manières nouvelles d’être
humain. Sous certains aspects, il devient
parfois beaucoup plus Tsigane que les
Tsiganes eux-mêmes. Une fascination
réciproque s’installe et elle existe depuis
des siècles de côtoiement.
Au Moyen-Age, ces populations quittent la
ville de Constantinople pour s’insérer dans
le Péloponnèse. Puis, ils émigrent vers
l’Europe occidentale. Ils arrivent dans les
villes de Bruges et de Tournai vers 1420.
On les appelle Bohémiens car à cette époque
ils bénéficient de lettres de protection
qui émanent apparemment du roi de
Bohème. Ces gens viennent de Roumanie
où ils sont astreints à l’esclavage dès 1350.
Cette persécution se termine vers le milieu
du 19ème siècle. La conséquence de cela,
c’est la présence toujours actuelle d’une
partie importante de Roms (ils seraient
près de deux millions en Roumanie).
Si certains furent meurtris socialement par
leur condition d’esclaves, d’autres comme
les chaudronniers payaient l’impôt et
pouvaient circuler pour pouvoir exercer
leur profession.
L’Empire byzantin va se disloquer ensuite
au profit de l’Empire ottoman (celui-ci va
s’étendre un temps jusqu’aux portes de
Vienne). L’Europe est alors scindée en
deux blocs culturellement très différents.
La frontière entre ces blocs va du sud de la
Croatie jusqu’en Ukraine. Les Ottomans
s’intéressent à l’impôt. Ils imposent tout le
monde même les nomades. Ceux-ci se
voient imposer le « boulibacha » (prévu
pour collecter l’impôt au bénéfice du Sultan).
Il faut savoir que l’impôt des Ottomans
se base sur la religion. Les musulmans
sont les moins imposés.
Dès lors, les Roms qui au départ étaient
massivement chrétiens, deviennent musulmans
en grand nombre. Ils adoptent un
islam émotionnel proche du soufisme (ex :
s’enfoncer un couteau dans la langue pour
souffrir et expier ainsi tous ses pêchés).
Aujourd’hui, parmi les Roms on compte
quelques millions de musulmans vivant
principalement en Turquie, en Bulgarie, au
Kosovo et dans le sud-est de la Roumanie.
Qu’en est-il des Tsiganes en Europe
occidentale ?
En Espagne : Les Tsiganes arrivent à une
époque où la Couronne espagnole est en
pleine reconquête de l’espace ibérique sur
les Maures. Ils vont en faire les frais. Les
suzerains espagnols rejettent massivement
la diversité. Et les Tsiganes doivent abandonner
leur culture. Ils sont désormais
considérés comme castillans avec une
interdiction formelle de se marier entre
eux et de pouvoir exercer une profession
qui leur est propre. Cette entreprise d’assimilation
débute en 1499 pour se terminer
sous Franco. Il y a entre 600 mille et
900 mille Tsiganes autochtones en Espagne.
En Allemagne : L’Allemagne ne va exister
qu’à partir de l’époque napoléonienne.
Avant cela, il y a 300 petits Etats qui ne
souhaitent pas de nomades chez eux. Les
Tsiganes sont là pour y exercer leurs
activités économiques mais on ne les tolère
pas. Il faut savoir que les gens du voyage
se définissent toujours à partir d’un réseau
social, ainsi le mot Rom signifie homme
marié (on définit une personne à partir de
son rôle dans les relations sociales).
Les Roms ne sont pas des gens perdus
comme on pourrait le penser. Ils vivent
avec des repères sociaux mais dans une
société plus globale qui les contrôle.
Les Tsiganes vont être victimes de deux
génocides. Le premier a lieu dans les Pays-
Bas entre 1725 et 1728. On considère les
Tsiganes comme des animaux qu’il faut
chasser et tuer. Ils fuient par l’est de la
Belgique vers l’Alsace (la région du nord
des Vosges). Et de là, ils repartent telle
que la famille de Django Reinhardt (nom
d’origine allemande). Ces gens sont dans
notre histoire et ils n’en n’ont pas vécu la
partie la plus heureuse mais ils sont là. Ils
se sont insérés dans une dynamique qui
leur est propre et il ne faut pas vouloir les
enfermer dans une dynamique que l’on
veut leur imposer.
Le deuxième génocide a lieu durant la
deuxième guerre mondiale. Les nazis
considèrent les Tsiganes comme des asociaux
qui risquent de rendre impur le
peuple allemand. Les nazis vont massacrer
500 mille Tsiganes. La plupart des familles
en Europe occidentale vont devoir se
cacher, comme les Juifs. En France, ils sont
considérés comme dangereux et assignés à
résidence. Puis, ils vont être déportés dans
des camps jusqu’en 1946, soit deux ans
après le débarquement de Normandie.
A l’Est, comme on l’a dit, les nazis les
massacrent, comme les Juifs. Aujourd’hui
des enquêtes sont menées pour exhumer
et mieux comprendre l’ampleur de ce qui
s’est véritablement passé.
De l’époque médiévale l’époque actuelle,
une histoire très complexe s’est déroulée
en Europe et les Roms, pris comme tous
les autres Européens dans celle-ci, sont
devenus parfois très différents les uns des
autres. On croit à tort que les Roms sont
tous nomades ou encore des mendiants et
qu’ils vivent dans la rue. Mais il faut savoir
que la majorité d’entre eux est aujourd’hui
sédentarisée et que, malgré une forte
tendance actuelle à la paupérisation, on les
trouve à tous les niveaux de la société. S’il
y a une masse de gens plongés dans les
difficultés économiques, il y a aussi nombre
de travailleurs indépendants, des officiers
roms, des chanteurs roms, des médecins et
des ingénieurs roms, des gens insérés dans
le monde ouvrier. Mais ceux-là, ne vous
diront pas toujours qu’ils sont Roms car
cela pourrait les stigmatiser.
Au cours de cette histoire, un très
grand nombre de Roms furent des itiné-
rants. Ils se déplaçaient pour des raisons
économiques. Parmi eux, on avait : des
commerçants ambulants, qui vont acheter
des biens dans une ville et les revendre
dans une autre ville. Mais il y avait aussi
un grand nombre d’artisans ambulants :
des vanniers, des aiguiseurs de couteaux,
des forgerons et des chaudronniers et, bien
sûr, des artistes ambulants. Aujourd’hui
encore, ces activités perdurent chez les
Gens du voyage de nos régions. On voit
par exemple certains d’entre eux qui
rachètent des fonds de commerce en Belgique
et les revendent en France. Ils paient
l’impôt mais comme ils sont basanés et
qu’ils vivent en caravane, ils sont stigmatisés et contrôlés.
Et la musique ? Leurs ancêtres viennent
d’Inde du Nord mais ce n’est pas pour cela
que leur musique est restée indienne.
Regardez Django ! Leur musique va du
flamenco à celle de l’Europe centrale. Et
quand de la musique tsigane passe à la
radio ou est jouée dans un bar, ils sont tous
là, même les racistes, à tendre l’oreille. La
musique contribue parfois à une véritable
symbiose entre tous ceux qui l’écoutent.
J’ai séjourné à Belgrade dans les années
nonante. J’y ai rencontré des musiciens
tsiganes qui déclenchaient une folie indescriptible
dans les bars et les restaurants où
ils jouaient.
En Europe de l’Est, les communistes les
intègrent après la seconde guerre mondiale
dans la nouvelle classe uniformisée
des prolétaires. En Roumanie, comme dans
les autres pays devenus communistes, les
Roms vont entrer dans un système de
production collectivisé et dirigés vers les
grosses infrastructures agraires d’Etat ou
dans les entreprises qui demandent un
personnel peu qualifié (les industries chimiques,
sidérurgiques, les mines). Et ça,
c’est un gros problème.
Cependant, des Tsiganes vont
acquérir une formation intellectuelle. De
fait, ils étaient poussés à aller à l’école
comme tout le monde. Mais les autorités
communistes ne les comprenaient pas
bien. Pour répondre aux problèmes posés
par la réticence d’un grand nombre de
Roms à s’engager dans la société prolétariée, elles diagnostiquaient un problème
social là où les singularités culturelles
auraient dû être mieux cernées, là où les
représentations collectives des « gadjé » ne
poussaient pas non plus à faire une place
aux Roms. Par contre, en Russie, on reconnaît leur minorité et ce sous Lénine vers
1921. Une infrastructure culturelle tsigane
a créé un milieu de gens lettrés. D’ailleurs,
il existe un théâtre rom à Moscou.
Après la chute du communisme, les Roms
sont exclus des entreprises qui défaillent
techniquement. Ils vont être souvent
réduits au manque d’emploi, victimes
d’une exclusion xénophobe manipulées par
des groupes extrémistes et
On ne les veut pas ici en disant que le
problème vient de leur pays d’origine,
mais on ne les veut pas non plus dans
leur pays d’origine ultranationalistes. Ceux qui sont venus
dans nos contrées dans les années nonante
étaient des prospecteurs car on leur avait
suffisamment répété que c’était l’Eden
chez nous. Certains d’entre eux se sont
définitivement insérés ; la plupart sont
repartis. La position actuelle des Roms,
notamment migrants, n’est pas confortable.
On ne les veut pas ici en disant que le
problème vient de leur pays d’origine,
mais on ne les veut pas non plus dans leur
pays d’origine.
On peut arriver parfois à rencontrer
des situations tout à fait aberrantes : Ainsi
un Rom de Roumanie arrive chez nous
avec un savoir-faire. Il a pu, par exemple,
travailler comme maçon en Hongrie en
noir. Il arrive ici où il ne trouve pas de
travail car la loi exclut les travailleurs
originaires de Roumanie ou de Bulgarie de
certaines activités. Néanmoins, il arrive à
se faire un peu d’argent en noir et puis, il
retourne en Roumanie où il créée son
entreprise et travaille officiellement en
sous-traitance avec la Belgique.
Aujourd’hui, face à l’ampleur des
problèmes posés par la situation d’un
grand nombre de Roms, des voies, souvent
généreuses, se font jour. Il conviendrait de
cerner les Roms comme de véritables
citoyens européens et l’Europe les prendrait
en charge. Mais, ce faisant, le risque
de créer de toute pièce un peuple europ
éen légitimé à l’échelle du continent, mais
chassé, vilipendé, étranger sur le plan
local. Nous sommes des citoyens europ
éens. Et pourquoi sommes-nous des
citoyens européens ? Tout d’abord parce
que nous sommes les citoyens reconnus et
dûment enregistrés dans une commune,
avec des droits et des devoirs et si on ne
l’est pas, pas de carte d’identité. Et on
nous dit que sur les 350 millions d’europ
éens, il y aurait 13 millions de personnes
(des Roms) qui seraient des citoyens europ
éens comme cela, du simple fait d’être
présents en Europe. Mais, comment, en
étant désirables globalement et indésirables
partout, pourront-ils partager une
réelle concitoyenneté ? Si on ne vous veut
nulle part en Europe, comment agir, comment
être considérés comme les autres,
autrement que marginaux, autrement
qu’une exception ?
Je m’intéresse aux injustices faites
aux enfants roms mais je suis aussi le
défenseur de tous les enfants. J’ai vécu ce
lundi 4 novembre 2013 à St Josse la pire
journée de ma carrière de Délégué général
aux droits de l’Enfant. J’étais au Gesu où
220 familles roms vont être mises à la rue.
Pour les politiciens, il s’agit simplement
d’un squat délabré. Mais j’y ai découvert
un endroit avec des logements coquets
d’où partent les enfants pour aller à l’école
et les parents pour aller travailler. Les
parents qui y vivent sont parfaitement
bien investis dans leurs rôles d’éducateurs.
J’ai tenté de les rassurer, même si la situation
qu’ils vivent est catastrophique. J’ai
vécu des moments très durs et très émouvants.
Ainsi, j’ai rencontré une famille avec cinq
enfants. L’aîné, un jeune d’une dizaine
d’années, m’a supplié de prévenir la directrice
de son école qu’il ne pourrait plus s’y
rendre puisqu’il allait être expulsé avec ses
parents. Je suis choqué par ce que vivent
ces gens. J’ai vu aussi cinq adolescents se
rendre tôt le matin (sachant qu’ils allaient
être expulsés) dans leur école pour s’y
réfugier et ne pas manquer les cours. Mais
le concierge les a refoulés. Ils sont retourn
és rejoindre leurs parents au Gésu. Les
éducateurs de l’école sont venus les y
rejoindre .
Bernard Devos parle ensuite de trois
familles roms avec neuf enfants qui ont
vécu pendant trois mois sous le porche de
la porte d’Anderlecht, un endroit réputé
dangereux où les voitures roulent vite et
où les camions font des manœuvres.
« Personne ne s’est occupé d’eux. Ils n’ont
pas les mêmes droits que nous. Je n’imagine
pas une famille belge autochtone
dormir dehors avec enfants et ne pas avoir
le lendemain l’ensemble des services sociaux
à son secours. Or ici, pour les familles
roms rien n’a été entrepris.
Et cette situation perdure. Ces familles de
la porte d’Anderlecht ont été chassées et
se sont retrouvées dans le parc Maximilien.
Une petite solidarité s’est organisée et
leur a fourni des tentes et couvertures.
Voyant cette solidarité se mettre en place,
d’autre Roms sont venus. Un petit camping s’y est vite installé.
Parmi ces gens, il y beaucoup de Slovaques
qui tournent dans Bruxelles et qui sont
ponctuellement aidés par les services
sociaux. Le 21 juillet, il faisait fort chaud et
j’ai craint qu’ils ne meurent de chaleur
sous les tentes.
J’ai alerté l’opinion publique via la presse
et j’ai pu obtenir un accord avec le Premier
ministre et la secrétaire d’Etat à l’asile et
la migration pour que ces gens soient pris
en charge par Fedasil durant les congés
politiques mais qu’à la rentrée, ils puissent
bénéficier de solutions plus pérennes. Or, à
la rentrée, rien n’a été fait.
J’ai dû relancer la machine.
Par la suite, la Région bruxelloise s’est
engagée avec d’autres associations comme
le Ciré à fournir des logements individualis
és et un soutien aux familles roms pour
les aider à s’insérer socialement et économiquement.
Le gouvernement avait décidé
d’engager un médiateur et tout semblait se
débloquer. Les logements en question ont
été identifiés par le secrétaire d’Etat au
logement. Ils se trouvaient sur une commune
bruxelloise.
Or un jour, il y a eu à la commune un
conseil très négatif et stigmatisant à l’encontre
des Roms. Résultat de cela : les
familles roms sont passées au Samu social
et certaines ont été remises à la rue. Voilà
à quoi on en est arrivé. Il faut savoir que le
statut des personnes expulsées ne s’améliore jamais.
Pour moi, quel que soit le statut administratif
ou juridique des parents roms, il est
hors de question que leurs enfants dorment
dans la rue ou soient sous-alimentés.
C’est tout à fait incorrect. D’ailleurs la
Belgique est souvent remise à l’ordre par
le Comité des droits de l’enfant. Ce comité
est toujours cité à chaque examen périodique
du bilan de la Belgique ».
Beaucoup d’observateurs ressentent
un malaise devant les prises de position
des différentes instances européennes et
du Conseil de l’Europe qui tentent d’attirer
l’attention des Etats sur le sort des
Roms, perçus comme une minorité victime
de discriminations. Car dans le même
temps ces instances imposent sur le plan
économique des mesures drastiques
d’austérité excluant toujours plus de
personnes, les Roms compris…...
Mythe et préjugés
J’ai le sentiment qu’on est dans un mythe
quand on parle des Roms et que l’on construit
une forme d’entité qui sert à masquer
un échec du monde politique europ
éen concernant la prise en compte de la
spécificité culturelle des Roms. Ceux-ci
représentent une mosaïque complexe et il
y a beaucoup de préjugés sur eux.
Quand j’étais enfant, on parlait des Romanichels
en des termes négatifs (on parlait
des camps volants). On confondait les
nomades avec les itinérants. Or, les itiné-
rants ont un domicile fixe où ils reviennent.
On fait une confusion des genres
entre itinérants et nomades qui n’ont pas
de lien et allant à l’encontre culturellement
de cette sédentarisation que l’on vit depuis
des milliers d’années.
Cinq siècles de discriminations
Dans les pays de l’Est, à l’époque du communisme,
on a traité les minorités ethniques
par assimilation. On a nié leur réalité
culturelle en les intégrant de force à l’appareil
communiste pour que la question de
la romanité ne soit plus problématique.
Les Roms vont ensuite faire les frais de la
désagrégation du modèle communiste. Ils
seront davantage persécutés (ils ont toujours
été persécutés et ce depuis au moins
cinq siècles). A Košice, on a construit des
murs pour écarter de la vue des gens et
des touristes les quartiers Roms.
Lors de l’éclatement ethnique du Kosovo,
les Roms vont devoir choisir leur camp
entre les deux ethnies qui s’affrontent. Ils
vont être instrumentalisés par les Serbes
pour commettre des actes de guerre.
Après la guerre, cela va se retourner contre
eux.
Changement socio-économique à
l’Est
Quand le bloc communiste se désagrège, il
va y avoir un changement du modèle
socio-économique. On assiste à l’arrivée
brutale (sans transition) d’une économie
capitaliste dans des pays où on avait tenté
d’assurer une forme de régulation du bien-
être de la population.
Il y a parfois une sorte de nostalgie du
communisme car à cette époque, le minimum
de survie était assuré. Maintenant, le
système économique accentue les inégalités. Les Roms qui avaient été « intégrés »
dans les structures étatiques communistes
(administrations ou entreprises), en plus
d’avoir massivement perdu leur emploi,
sont désormais victimes de nouvelles
discriminations, car accusés d’avoir, à
l’époque communiste, pris la place des
populations dites « d’origine ».
Élargissement de l’Europe : une
meilleure intégration ?
Même si L’Europe s’est construite à partir
de traités économiques (CECA, CEE), elle
avait pu jusque-là, par un processus relativement
lent, assurer l’intégration des
nouveaux États visant à améliorer progressivement
le niveau de vie, de protection
sociale…...
L’Europe, en 2004, prend une autre tournure
dans sa construction, tout en prétendant
lui donner une dimension plus politique.
On y intègre dix pays de l’ancien bloc
de l’Est avec des disparités entre les niveaux
de vie de ces populations et il y a la
volonté de la part de l’Europe de ne plus
amener ces nouveaux États-membres à un
niveau de bien-être plus élevé. On entre
dans la construction d’une Europe qui se
veut libérale. Le projet de traité constitutionnel
européen de 2005 parle d’une
économie de libre concurrence non faussée, mais qui met surtout les États dans un
système de concurrence en la faussant
dans la réalité.
La fiscalité : outil de compétitivité
entre États
Comment ? Tout simplement, en laissant à
chaque État la possibilité de fixer sa propre
fiscalité des entreprises (donc de l’économie
du pays), ce qui dans les faits revient
à introduire un fonctionnement
libéral des États, basé sur un principe de
concurrence où l’on fausse les règles du jeu
en matière de recettes des États.
En effet en rendant obligatoire l’unanimité
des États sur les questions fiscales, on rend
impossible l’harmonie fiscale qui serait
pourtant un outil bien nécessaire de régulation
de l’économie européenne où les
grandes entreprises transnationales, mondiales
ne pourraient plus venir faire leur
« marché » en imposant qui plus est une
forme de dérégulation sociale. On assiste à
un jeu de compétitivité entre États.
Oui mais, et les Roms
dans tout cela ?
Dans ce mécanisme et avec l’arrivée en
2004 des pays de l’ancien bloc de l’Est, on
va faire de la question Roms une question
européenne. Chaque État va devoir décrire
sa stratégie pour l’intégration des Roms.
On va faire de la question Roms une question
transnationale qui va en fait les stigmatiser
davantage.
Beaucoup de Roms n’affirment pas qu’ils
sont Roms car il reste difficile pour eux de
nos jours d’affirmer cette identité culturelle.
Mais pour l’Europe, les Roms sont
pour la plupart devenus des citoyens
européens.
Dès lors, ils ne peuvent plus demander
l’asile politique et il ne faut plus parler de
persécution, elle n’est plus « possible », ce
n’est plus politiquement correct.
Pourtant l’Europe voit ce qui se passe en
Roumanie et en Slovaquie à l’égard des
Roms.
Mais comme ceux-ci sont devenus europ
éens, on ne va pas régler le problème
comme on le ferait pour des Roms non
européens. L’Europe fait donc semblant de
s’occuper de la question rom en finançant
des projets dont on ne contrôle pas vraiment
l’utilisation des fonds dans les pays
bénéficiaires.
Quand la tension culturelle est renforc
ée par la tension sociale
Nombre de questions ou tensions culturelles
sont exacerbées par une situation
économique difficile : d’où la résurgence de
nationalismes de tout acabit, de stigmatisations
de groupes sociaux ou culturels.
Alors que la crise économique et sociale ne
peut être résolue que par un plan de relance
ambitieux, L’Europe demande aux
États-membres de surveiller leurs finances.
À la suite de la crise financière, économique,
sociale de 2008, on adopte différents
traités qui vont en fait renforcer l’austérité
dans les États et entre les États. Ainsi,
avec l’adoption du traité budgétaire europ
éen (TSCG), on va interdire aux États
d’avoir des déficits de plus de 0.5 %. On
veut « éviter le spectre de la dette publique
».
Très bien, mais en clair, les États-membres
ne pourront plus se lancer dans des
projets importants au niveau social et
économique pour relancer la machine
quand le secteur privé est défaillant.
La dérégulation sociale va empirer
Lors des crises de 2008 et 2009, le privé a
trouvé des solutions puisque, d’une part le
secteur financier a été sauvé grâce à l’injection
de dizaines de milliards de fonds
publics.
Le secteur industriel et les PME ont fait le
gros dos à la crise en ne licenciant pas trop
de gens. On avait un système de
prépension et de chômage temporaire qui
était un bon amortisseur social pour pouvoir
faire cela.
Maintenant l’Europe dit que la prépension
n’est pas la solution car cela empêche
d’avoir un taux de travailleurs âgés occup
és. L’Europe prend souvent l’exemple
des pays scandinaves qui ont justement ce
taux de travailleurs âgés en disant qu’ils
ont moins de problèmes que dans les
autres pays. On parle de flexibilité en
voulant déréguler le marché et le temps de
travail.
Mais, en faisant cela, on ne garantit plus la
sécurité des travailleurs. Jadis lors des
négociations interprofessionnelles, les
syndicats exigeaient un mieux-être pour
les travailleurs. Maintenant, la négociation
a trait aux cahiers de revendications des
patrons qui veulent diminuer la protection
des travailleurs. Ils estiment que nos
salaires sont trop élevés par rapport à
ceux des travailleurs de l’Est.
L’Europe renforce les discriminations
sociales
Des directives européennes sur le travail à
la sauce libérale voient le jour : la directive
Bolkenstein qui avait pu être bloquée en
2004, revient sous une autre forme avec la
directive « détachement ».
Ainsi, sous certaines conditions, des travailleurs
d’un pays peuvent venir travailler
dans un autre pays membre aux
conditions (de sécurité sociale) du pays
d’origine. On assiste dans les faits à un
véritable dumping social. Les travailleurs
des pays de l’Est vont être engagés à
moindre coût par les partons belges. On va
dès lors engager un vitrier roumain plutôt
qu’un ouvrier belge ou polonais car il coûte
moins cher au patron.
Et ces Roumains (ces Roms ?) qui travaillent
sur nos chantiers se voient coller
toutes sortes de préjugés. On en fait le
voleur de poule attitré.
Et au travers de la médiatisation de toute
une série d’affaires, après l’ennemi arabe
ou le juif, le Rom redevient le bouc émissaire
d’une Europe de moins en moins
sociale.
Nous vivons dans un contexte
d’austérité, de dérégulation, de concurrence,
de confrontation entre Etats et
populations. Et les Roms sont au milieu de
tout cela. Il y a eu certaines tentatives
d’intégration des Roms dans les pays
communistes qui se sont révélées être un
échec car elles étaient centrées uniquement
sur le nivellement social.
En situation de crise, qu’en sera-t-il de ces
projets d’intégration des Roms tant au
niveau européen que national ? Seront-ils
des citoyens comme les autres ? Pour ne
pas reproduire les erreurs du passé, il est
important d’avoir le témoignage des familles
roms vivant dans la grande précarit
é notamment sur le plan culturel. Car les
tentatives d’intégration sociale des Roms
ont la fâcheuse tendance à nier la culture
familiale et culture technique.
Je suis grand-père de sept petits-enfants
et je travaille auprès de l’association LST
(Luttes, solidarités, travail) depuis ses
origines. Je suis militant et acteur d’éducation
permanente. Il y a des choses qui me
frappent dans ce qui a été dit :
Les mots contrôle et répression : Alain
Reyniers a fait état de la situation des
Tziganes par rapport ces deux thématiques
là. On nomme, on compte les Tziganes
à des fins de répression. J’ai connu des
militants de l’association LST qui étaient
manouches et ils étaient très méfiants
quand on parlait de comptage et d’identification
même pour des terrains. Ils avaient
sans cesse en tête les persécutions nazies à
leur encontre durant la deuxième guerre
mondiale. Ces notions de contrôle et de
répression sont également très présentes
dans le quotidien des personnes pauvres.
Reconstruire l’histoire : La tradition
orale est celle des plus pauvres. Chez eux,
l’histoire se transmet dans le partage, dans
l’échange et dans le vécu. Très souvent
tout ce qui naît dans la résistance à la
misère pour survivre est rarement reconnu
dans les services sociaux. Il y dès
lors une incohérence dans la logique des
services sociaux.
Négation de la solidarité : Elle se ressent
moins chez les Tziganes qui développent
une culture forte face aux répressions
nazies. Par contre pour les plus pauvres,
les plus fragilisées, il y un mécanisme de
contrôle des solidarités naturelles développ
ées par la société. Nous assistons au
développement du contrôle des solidarités
qui existent entre parents et enfants,
entre amis. Il y a un mécanisme de contr
ôle des choses qui se situent au niveau de
la culture humaine. Par exemple, on ne
peut plus héberger ses enfants, ni un ami
qui se retrouve à la rue car il y la législation
du chômage et la législation du loge-
ment qui interdisent que l’on héberge des
gens. Des dimensions essentielles de résistance
à la misère sont réprimées.
Un aspect qui me touche, c’est la
reconstruction de l’histoire pour retrouver
ses racines et la vérité. Suite aux massacres
perpétrés par les nazis à l’encontre
des Roms, il faut effectuer tout un travail
afin de pouvoir se réapproprier l’histoire et
de savoir ce qui s’est vraiment passé. LST
effectue cette démarche avec les familles
qui subissent le placement des enfants
pour des raisons de pauvreté. C’est courant
(également en Angleterre). LST tente
de préserver les traces de la réalité des
familles dans les esprits car cette réalité
est souvent niée.
Je constate qu’il y un mécanisme de désinformation
concernant les Roms et les plus
pauvres. Pour cette raison, il est important
d’organiser des conférences sur les Roms
pour modifier le regard des gens. Les
Roms ont un mécanisme d’errance liée à
leur activité économique et culturelle. Pour
les plus pauvres, cette errance est organis
ée très souvent de manière structurelle.
Dans le cadre de la journée de lutte contre
la misère du 17 octobre 2013, nous avons
entrepris une réflexion sur la sécurité
d’existence. Comment la garantir dans
notre société ? Les activités de survie (tri
des métaux par exemple) exercées par les
Roms, Manouches et aussi par les familles
les plus pauvres sont de nos jours bannies,
interdites. Tout ce qui relève de l’autonomie
est pénalisé par l’institutionnel.
Je prends l’exemple des personnes
isolées qui perçoivent le minimex, actuellement
le revenu d’intégration). Résidant
dans des petits logements, elles ne peuvent
cuisiner ensemble, car elles sont alors
considérées comme co-habitantes et seront
moins bien rémunérées. Paradoxe, si
elles fréquentent les restos du cœur elles
garderont leur statut d’isolés pour le revenu
octroyé par le CPAS.
Cela nous pousse à dire que quand on fait
preuve d’initiative, le système institutionnel
nous pénalise. Quand on banalise des
faits comme l’expulsion (par exemple,
l’affaire du Gésu), on peut banaliser la
souffrance humaine et des seuils d’exploitation
outranciers. On constate que le jeu
des institutions et des médias banalisent
l’intolérable.
Lutter contre la banalisation, Ahmed
Ahkim
Lutter contre la banalisation est une de
nos motivations à travers l’organisation de
ces différents événements. Banalisation
d’une certaine misère que subit une majorit
é de la population et banalisation aussi
de ce qui a trait à la question rom. Ainsi
par exemple, on appelle les bidonvilles où
vivent les Roms des campements. On
banalise l’inacceptable. Le terme campement
induit un choix délibéré, voire un
mode de vie. Les conditions imposées par
la crise du logement sont complètement
éludées.
La situation des familles roms en grande
précarité est en tout point semblable aux
familles SDF vivant dans les mêmes conditions.
Par contre la perception et le point
de vue de notre société sur cette catégorie
est différente. Cependant, à y regarder de
plus près, la situation des familles roms
met en évidence des déficiences concernant
l’ensemble des personnes
précarisées.
Ainsi, depuis 2007-2008, nous avons
constaté au Centre de médiation que des
infrastructures existent pour les sansabris
seuls mais très peu pour les familles.
Celles-ci sont systématiquement renvoy
ées vers des centres d’hébergement
situés ailleurs (à Bruxelles, ou Charleroi
par exemple). Dans ces conditions, les
familles préfèrent souvent se loger avec
leurs enfants dans des gares plutôt que
d’être séparés de leurs proches.
Les Roms que l’on croise à la Gare
du Nord, sont-ils des exclus parmi
les Roms ?, Alain Reyniers
Les Roms de la Gare du Nord ont été exclus
de la vie sociale slovaque mais pas de
la communauté des Roms. Ils viennent de
Košice, en Slovaquie, et le maire a décidé
d’enfermer les Roms en bout de course au
niveau social dans un lieu infâme. La ligne
de bus Eurolines (qui va jusqu’à Ostende)
passant par-là, la plupart de ces pauvres
gens ont quitté la commune pour se réfugier
sur le sol belge. Ces gens ont réagi,
pour venir chez nous. Ils ont fait preuve
d’une force culturelle.
En 1997-1998, ils ont été chassés avec
leurs enfants du territoire belge et ramen
és de force en Slovaquie. Certains parlementaires
belges ont fait le trajet jusqu’à
Košice pour voir leur situation sur place.
Ils ont été accueillis en néerlandais car les
familles s’étaient installées à Gand, Bruges
et Tirlemont. Des Roms reviennent chez
nous même si on les remballe (notamment
pour les ressources qu’elles peuvent percevoir).
Bernard Devos a d’ailleurs reconnu les
familles photographiées dans le cadre de
l’exposition « Des Roms debout ! ». Elles
ont toutes connu le même trajet avec le
bus Eurolines. Ce sont des citoyens europ
éens qui n’ont pas droit à l’asile politique,
ni à un titre de séjour pour pouvoir travailler.
Ils sont sans domicile et ne parlent
pas notre langue. Ils n’ont pas les compé-
tences professionnelles correspondant aux
attentes des employeurs belges. Ils ont
pourtant droit à un minimum d’accueil et à
recevoir des informations de qualité. Il
faut savoir aussi qu’ils sont peu nombreux
chez nous.
Les Roms et la mort, Alain Reyniers
La mort est le moment de la vérité et c’est
un moment fort notamment pour les Manouches.
Ils ont des caveaux de famille.
C’est parfois mille à cinq mille personnes
qui se rendent au cimetière pour se recueillir
sur la tombe de la personne décé-
dée. On la visite régulièrement. La mort
est un moment intense de l’identité du
groupe qui suit les rituels funéraires officiels
du pays où il vit. Malheureusement
tout ne se passe pas toujours facilement.
La mort peut être pour les Gens du voyage
ou les Roms un moment où ils font l’expé-
rience de la répression et de l’exclusion.
Ainsi en Yougoslavie dans les années quatre-
vingt, il y a eu des contestations en
territoires musulmans pour interdire aux
Roms musulmans de pénétrer dans des
cimetières musulmans. Dans certaines
communes belges, on refuse d’accueillir un
mort voyageur car cela fait revenir les
membres de sa famille. La mort enracine
quelque part les Gens du voyage.
Roms : culture d’en haut, culture
d’en bas ?, Luc Lefèbvre
Il y a deux choses qui m’ont frappé dans
l’exposition « Des Roms debout ! ». Ce sont
les aspects qui tournent autour des enfants
et de la scolarité. On y voit notamment
une petite fille sur un banc d’école. On
devrait dire à ceux qui ont été à l’école d’y
aller un peu moins. Les personnes qui
rejoignent LST nous ont dit : « si vous
venez chez nous, on va vous apprendre à
faire le poirier pour vous montrer le
monde d’en bas car plus on fait d’études et
plus on est déformé par une rationalité à
travers laquelle les choses échappent.
Selon nous, il y une grosse tension entre
les familles précarisées et les services
sociaux. Lorsque les familles précarisées
veulent s’en sortir de manière autonome,
les services sociaux savent difficilement
rentrer dans ce processus de libération
puisqu’ils n’en n’ont plus la maîtrise. Certaines
familles ne souhaitent pas se rendre
dans un centre d’accueil voyant les consé-
quences que cela implique, notamment
pour l’environnement familial. Cette attitude
d’évitement est mal comprise par les
services sociaux et génère alors de l’agressivit
é de leur part : « Puisque vous ne
souhaitez pas vous établir dans un centre,
débrouillez-vous tous seuls. On ne vous
aide plus ! ».
La commune comme lieu de citoyennet
é ?, Guy Fays
La commune est le lieu le plus paradoxal
qui soit en termes de citoyenneté. On la
présente comme un lieu où le citoyen est le
plus proche de la représentation politique.
Et, en même temps, j’ai le sentiment que la
commune est devenue l’endroit où on peut
le moins exercer la citoyenneté car on fait
reposer sur l’épaule la plus faible une
solidarité qui doit s’exercer à un niveau
supérieur. Concernant les expulsions,
certaines communes n’ont plus les moyens
d’assumer des politiques sociales et se
disent : cachons ce Rom, ce SDF que je ne
saurai voir car je ne peux plus m’en occuper.
Toutes les politiques d’austérité mises
en place appauvrissent l’Etat car on fait
des cadeaux fiscaux aux riches et on fait
reposer la contribution sur les plus pauvres.
Cela ne peut avoir comme consé-
quence d’exacerber la pauvreté des plus
pauvres y compris a dans les communes.
Et en rejetant la solidarité sur le niveau le
plus bas possible, on exacerbe les sentiments
de frustration et de stigmatisation à
l’égard de ceux qui sont pointés comme les
fauteurs de difficultés. Par le jeu médiatique,
on va mettre en avant des cas problé-
matiques concernant les Roms notamment
et on trouve ainsi le bouc émissaire en le
Rom du coin. La solution serait de nous
ouvrir les yeux sur une autre manière de
concevoir l’Etat et d’avoir une fiscalité plus
juste en faveur de la collectivité y compris
les plus pauvres. Or, l’histoire politique va
dans le sens contraire.
En conclusion, Ahmed Ahkim
La commune comme lieu de citoyenneté, d’accord. Mais il n’y a pas qu’elle. Dès le début, le Centre de médiation a tenté de travailler simultanément avec les niveaux communal, régional et fédéral. Il y aussi le niveau européen mais qui reste relativement insaisissable pour la plupart d’entre nous. Il faut aussi avoir à l’esprit la transversalité. Nous ne pouvons pas aborder la question rom sans avoir à l’esprit que quand on croit voir un Rom à la gare du Nord, ce n’est finalement pas nécessairement un Rom. C’est un SDF qui est peut-être rom.
Quand des familles roms veulent trouver un logement sur Namur, il importe peu qu’elles soient Roms. Ce qui importe c’est leur nationalité, leur situation administrative qui ouvre des droits ou pas. Parler d’intégration, c’est important au niveau social, économique et professionnel mais il ne faut pas oublier non plus le niveau culturel ou familial. Les solidarités familiales qui sont toujours là quand plus rien d’autre n’est là. Il faut les soutenir.
Nous ne pouvons aborder la question des familles roms en grande précarité sans avoir à l’esprit l’opinion publique. C’est une particularité qui dépasse tout ce que nous pouvons imaginer par rapport au racisme ambiant, aux discriminations dont certaines catégories de la population font les frais.
Quand nous parlons des Roms ou des Tziganes, il y a un fond de réactions qui est commun à beaucoup de populations et que l’on ne peut nier. Il faut prendre cela en considération pour trouver des solutions sur le terrain. Car c’est à ce niveau que resurgissent les vieilles peurs. Dans ces moments-là, le savoir-faire quotidien des associations et des personnes qui accompagnent les familles roms est essentiel. Et la manière dont la couverture médiatique va faire pencher les choses d’un côté ou de l’autre va dépendre du savoir-faire des associations qui soutiennent les Roms.