L’intégration par le sport restera un mythe tant que des sportifs ne s’investissent pas dans la vie civique, par Antonio de la Fuente
Les joueurs de l’équipe de France de football retracent une carte de l’ancien empire français presque complète, à l’exception de l’Indochine : on y retrouve les vieilles colonies (Martinique, Guadeloupe, Guyane), l’Afrique du nord (Algérie), l’Afrique occidentale française (Mali, Sénégal) et même l’Afrique équatoriale française (Congo), d’après Pap N’diaye, chercheur à l’Ecole de hautes études de Paris, interviewé par Laetitia Van Eeckhout pour Le Monde.
Toujours d’après N’diaye, l’attachement à l’équipe nationale française n’est pas affaibli par le fait qu’elle compte une majorité de joueurs noirs. Au contraire. Beaucoup de ceux qui descendent sur les Champs-Elysées pour fêter les exploits de l’équipe de France « sont issus de l’immigration et s’identifient d’autant plus à cette équipe qu’elle représente la diversité. Il y a une double identification : une identification nationale à la France et une identification que j’appellerai « minoritaire ». Les minorités visibles éprouvent une fierté supplémentaire à ce que des hommes d’origine non métropolitaine fassent gagner la France. Les minorités savent très bien d’où viennent les joueurs. Chacun se projette sur un joueur qui vient de la même région que lui ».
Cependant, toujours d’après N’diaye, « on peut donc être un supporter enthousiaste de Henry, Vieira et Thuram, et dans le même temps avoir un comportement discriminatoire, raciste. L’intégration par le sport serait, ainsi, un double mythe. « D’une part cela concerne une toute petite minorité de personnes. L’intégration par le sport est un miroir aux alouettes qui peut pour certains avoir des conséquences dramatiques. D’autre part le sport, même lorsqu’il s’exprime de façon joyeuse, n’abolit pas les stéréotypes racistes qui veulent notamment que les Noirs se caractérisent par leurs prouesses sportives, leurs forces physiques : elles les renforcent au contraire. Personne n’est donc surpris de voir que les Noirs réussissent en sport. Pas même les racistes. Pour que les victoires sportives favorisent la lutte contre les discriminations, il faudrait que les joueurs s’investissent, de manière plus évidente, dans des domaines extra-sportifs, dans la vie civique. Or ce n’est pas encore le cas, à l’exception de Lilian Thuram qui a, lui, fait preuve d’un énorme courage alors que tout va dans le sens d’une dépolitisation du sport ». C’est aussi, en partie, le cas de Zinédine Zidane.
Originaire des Antilles, Liliam Thuram, est membre du Haut Conseil de l’Intégration en France. Champion du monde avec la France en 1998 et d’Europe en 2000, Thuram joue à présent à Barcelone, a accepté d’être le parrain de l’exposition Only a Game qui se tiendra à Bruxelles en mettant en valeur la dimension européenne du football. En 2006, Thuram a invité, en septembre 2006, septante jeunes sans papiers menacés d’expulsion, connus comme les squatteurs de Cachin, regarder un match de l’équipe de France. A une autre occasion, Thuram a rencontré le ministre de l’intérieur français Nicolas Sarkozy. Le footballeur a accusé le ministre d’avoir une « vision raciale de la crise des banlieues ».
Zinédine Zidane, Zizou pour ses supporteurs, à la retraite après la finale de la Coupe du Monde en Allemagne en 2006, admet avoir connu des temps durs à ses débuts. « Je sais ce qu’est la pauvreté. Moi aussi, j’ai vécu dans des quartiers « difficiles » où nous n’avions rien. Alors aujourd’hui, je veux aider. Il y a ces choses dans le monde qui sont plus importantes que le football. » Il décrit son implication dans la lutte contre la pauvreté comme « le genre de choses que ma famille, mon éducation et les gens que j’aime ont toujours encouragé. C’est quelque chose qui fait ou qui ne fait pas partie de vous ; mais ce n’est pas le genre d’entreprise dans laquelle vous vous lancez ou que vous abandonnez pour une gloire ou des succès si grands soient-ils ».
Zidane collabore avec le Programme des Nations unies contre la pauvreté, PNUD, depuis septembre 1999, lorsqu’il a lancé avec le brésilien Ronaldo, la campagne « Faire équipe contre la pauvreté ». Ils ont été vus dans une annonce diffusée gratuitement par plus de 150 agences de presse dans toute l’Europe pour inviter les particuliers, les entreprises et les institutions à participer aux actions anti-pauvreté à échelle locale et internationale. Zinédine Zidane a choisi, lui, d’appuyer un projet d’éducation en Albanie, l’un des pays les plus pauvres d’Europe, a participé à un match avec l’équipe de France organisé par le Secours populaire français au bénéfice de 60 mille enfants et a mobilisé plus de 800 mille dollars pour financer des projets de lutte contre la pauvreté dans les pays en développement, lors du « Match contre la pauvreté » qui a eu lieu à Bâle, en Suisse.