A Beveren, au cœur d’une région qui vote largement à l’extrême droite, l’équipe de foot a compté jusqu’à douze Ivoiriens. En Belgique, sur les terrains et dans les tribunes, il reste préférable d’être blanc mais les joueurs d’origine africaine sont de plus en plus nombreux, par André Linard
Un dimanche, à l’heure du football, au stade de Beveren, près d’Anvers. La région est celle où l’extrême droite réalise ses plus beaux scores : jusqu’à 24,66 % dans ce canton. Mais ce jour-là, l’équipe locale compte neuf Africains sur onze joueurs. Tous - y compris le capitaine - sont Ivoiriens, amenés par le Français Jean-Marc Guillou (JMG), directeur technique de l’équipe, administrateur du club et propriétaire à Abidjan de l’Académie JMG, qui fut partenaire de l’ASEC, le club local.
JMG a parfois été accusé de s’enrichir grâce à une "filière" douteuse. Ce qu’il a toujours nié et qui jamais été établi. « Nous sommes d’abord des éducateurs, nous explique Guillou. C’est nous qui sélectionnons les jeunes qui entrent à l’Académie, et nous les suivons au fil de leur carrière, jusqu’à l’étranger ». Les joueurs démentent eux aussi « être de la marchandise ». Se sentent-ils bien pour autant, eux qui ont quitté très jeunes leur famille, leur pays, parfois leur fiancée ?
Si l’on se fie aux dirigeants du club, il faudrait tout apprendre à ces jeunes Africains un peu perdus à leur arrivée. Ils reçoivent des cours de flamand et d’histoire locale, jusqu’à « nos ancêtres les Gaulois ». Même la manière de gérer son argent et de ranger sa chambre est expliquée. Aujourd’hui encore, du côté des supporters, certains acceptent difficilement de voir neuf ou dix postes de l’équipe occupés par des Africains. Un club n’a-t-il pas aussi vocation à donner sa chance aux jeunes de la région ? « Encore faut-il que le club existe ! rétorque Guillou. Ce sont les Africains qui lui permettent d’être en Division 1 » Et de conclure : « Affirmer qu’une équipe européenne doit être plutôt blanche, c’est un argument sous la ceinture ».
Les Blacks de l’équipe ne font en tout cas pas état de problèmes avec leurs coéquipiers belges. « Ce fut difficile au début », reconnaît Arsène Né. « Ceux qui le méritent jouent, personne ne dit à l’entraîneur d’aligner tous les Blacks ou tous les Blancs ». « Nous formons un seul groupe, une équipe », insiste Ndri Romaric, un attaquant. A l’heure du repas, pourtant, dans le resto du club, les Ivoiriens forment une tablée, les Blancs une autre. « Pas de problème, précise Boubacar Copa, le gardien de but prêté par Rennes, c’est juste une question de langue ». En tout cas, foi de cuisinière : le repas servi est identique pour tous.
Pourtant, le foot belge n’échappe pas au racisme. En janvier 2007 encore, des cris de singe ont surgi des tribunes du club de Roulers, et un joueur de Zulte, apparemment coutumier du fait, a fait l’objet d’une plainte de la part d’un Africain du Standard. Mais nos stades semblent épargnés par les actes racistes spectaculaires vus en Italie, en Angleterre ou ailleurs. Nordin Jbari, Belge d’origine marocaine, qui a joué notamment à Troyes, en France, avant de venir à Bruges, rappelait naguère que « bougnoule, macaque... » sont parmi les injures que l’on entend régulièrement.
Entre joueurs, on n’est pas toujours tendres ; l’auteur de ces lignes, qui a joué au foot, peut en témoigner. A Bruxelles, un journaliste sportif raconte qu’il a entendu des témoignages de ce qui se dit sur le terrain, « et parfois de la part de joueurs belges qui, par ailleurs, semblent parfaitement éduqués ». Si le stress de la compétition peut expliquer des gros mots que l’on oublie aussitôt, justifie-t-il la connotation raciste de certains propos ? « Attention », précise Felipe Antonissen, de l’Union belge de football, qui gère cette problématique : « Sur un terrain, on cherche aussi à déstabiliser l’adversaire. A un joueur blanc on dira ‘fils de pute’ ; à un Africain, ‘sale noir’. Mais ce n’est pas vraiment du racisme ».
« Il m’est déjà arrivé de me faire insulter par des attaquants adverses, explique Moustapha Douai, d’origine marocaine, mais c’était plutôt pour m’intimider ». D’ailleurs, ajoute Moussa Sanogo, Ivoirien de Beveren, « si des gros mots sont échangés dans le feu de l’action, à la fin du match, on oublie et on se serre la main ». « Le but est d’essayer de nous déconcentrer », renchérit Louis Gomis, Sénégalais qui a joué à Mons. « ‘Sale black’ ou ‘retourne dans ta cabane’, oui, je l’entends quelquefois, témoigne à son tour Mahamoudou Kéré, du Burkina Faso, mais je m’y fais ; cela ne me coupe pas les jambes ».
On perçoit cependant chez plusieurs joueurs une sorte de résignation. Lorsqu’il jouait à Anderlecht, l’international ivoirien Aruna Dindane, aujourd’hui à Lens, nous confiait qu’à son avis, « c’est inévitable. Il y a des bons et des cons partout. Ceux qui n’ont pas compris que le foot est international, tant pis pour eux ». Il admet que « nous ne pouvons pas oublier que nous restons des étrangers ici, c’est normal, nous ne sommes pas chez nous ». Même point de vue chez son compatriote Gilles Yapi-Yapo : « Une ou deux fois, un adversaire m’a crié ‘retourne chez toi’. Je savais, en venant en Europe, que cela arriverait, parce qu’on n’est pas chez nous ». « Je suis venu ici pour travailler, je m’attendais à un certain racisme, ajoute Kéré. Un jour, des cris de singes venaient des tribunes ; un de mes équipiers, Africain aussi, en pleurait. Je lui ai dit de ne pas s’en faire, que c’est normal ». « Normal » au point de devoir accepter les injures ? Non, précise Aruna Dindane, mais « cela ne vaut pas la peine d’y accorder tant d’importance ». L’explication vient peut-être de Moussa Sanogo : « Plus tu accordes d’importance aux paroles racistes, plus tu en suscites ».
En janvier 2006, pour la première fois, un homme en maillot jaune mais noir de peau arbitrait un match de division 1 belge : Jérôme Efong Nzolo, Gabonais d’origine, naturalisé belge. « Aujourd’hui, cela s’est bien passé, a-t-il expliqué à l’issue de son premier match, mais je sais que chaque semaine risque d’être différente ». À nos confrères du Soir, il a raconté qu’à ses débuts, un spectateur lui a crié de retourner... au Congo. « Je lui ai répondu par un sourire et je ne l’ai plus entendu de tout le match ». Et lorsqu’un autre confrère lui demanda s’il trouvait étonnant qu’on fasse tant d’histoires à cause de sa couleur de peau, il répondit : « Pour moi, c’est du racisme positif, celui où on met l’autre en évidence grâce à ses qualités. Je suis le premier donc c’est un petit événement, mais je suppose qu’il en fut ainsi aussi la première fois qu’un joueur noir a joué dans l’équipe nationale. Aujourd’hui, c’est banal ».
Mais la même semaine, le président d’un club de football de province s’est adressé à la presse, ulcéré par les insultes racistes proférées dès les compétitions de minimes envers les gamins noirs ou maghrébins, devenues le lot commun des matchs. Les bagarres, entre ces enfants qui ont entre huit et dix ans, sont souvent attisées par les parents supporteurs. Combien de Jérôme Efong Nzolo faudra-t-il pour en finir avec ça ?