Le salaire annuel d’une travailleuse du textile au Cambodge représente 0,0009 % du bénéfice annuel de la multinationale qui l’emploie, par Cordula Sandwald
Formule 1, football, tennis, basket ou athlétisme : ces sports professionnels
sont suivis par des centaines de milliers d’admirateurs.
Les sports
de masse comme le VTT, la course à pied et le snowboard se pratiquent
aujourd’hui parce qu’ils font partie d’un certain style de vie. Et dès qu’il
est possible d’enthousiasmer les foules, l’économie flaire les bonnes
affaires et la course aux marchés commence. Pour les droits de retransmission,
les fédérations sportives se livrent à des luttes sans merci avec
les géants des médias et les télévisions publiques. Dans le combat mené
par les gouvernements et les fédérations nationales pour accueillir des
manifestations comme la Coupe du monde de football ou les Jeux olympiques,
il est plus souvent question d’intérêts politiques que de fair-play.
Les soupçons de corruption sont courants.
Les clubs
de foot sont devenus une marque dont la valeur se calcule d’après le rang
qu’ils occupent dans les classements. Les sportifs sont de
véritables marchandises et leurs transferts se chiffrent en millions. Les
stars du sport érigées en idoles populaires par des stratèges du marketing
empochent aujourd’hui des sommes colossales. Si l’on en croit les
médias, David Beckham gagne 22 millions d’euros par an,dont 14 millions
versés par des sponsors. La star du tennis Serena Williams est l’une des
sportives les mieux payées ; son revenu annuel est estimé à 22,5 millions
de dollars. Quant au revenu annuel de Michael Schumacher, champion
du monde de Formule 1 à sept reprises,il est chiffré à 50 millions d’euros.
Face à de telles sommes, le fait que certaines multinationales du pétrole
et du tabac fassent partie des sponsors et des organisateurs des courses
semble secondaire. En 2004, Schumacher, Ambassadeur extraordinaire
de l’Unesco, a versé 1,5 millions d’euros pour des projets en faveur des
enfants.
Même les Jeux Olympiques,
basés sur de nobles idéaux et des principes éthiques, sont un
marché. Les recettes provenant des licences octroyées pour l’utilisation
du logo olympique ainsi que les fonds versés par les sponsors rapportent
des montants estimés à des millions de dollars. Les fabricants de matériel
de sport, de chaussures et de vêtements y trouvent leur compte. Pour
eux, tout tourne autour des parts de marché, de la promotion de leur
image et de leur chiffre d’affaires. En utilisant des supports publicitaires
populaires, ils cherchent à attirer les foules enthousiasmées par le sport.
Ils y consacrent beaucoup d’argent. 16,3 milliards d’euros auraient été
injectés dans le sport par les sponsors en 2004, année du championnat
d’Europe et des Jeux Olympiques. Et les montants continuent d’augmenter. Le commerce européen du sport et la branche des articles de
sports aux Etats-Unis annoncent des chiffres en hausse ; des fabricants
comme Nike, Adidas, Fila, Kappa, Reebok et Puma enregistrent même des
gains records. En 2002, le chiffre d’affaires des articles de sport s’élevait
à 58 milliards de dollars.
Il n’est désormais plus question du sport en tant que tel. Il ne s’agit pas
non plus de fair-play et d’idéal olympique, déplorent les organisations
initiatrices de la campagne CleanClothes qui plaide en faveur de conditions
de travail équitables dans l’industrie des vêtements de sport. Car il
y a bien longtemps que tous les intéressés ne profitent pas de la même
manière de ce commerce lucratif. Alors que des sommes colossales sont
investies dans le design et le marketing, les entreprises peinent à assumer
leurs responsabilités dans les pays de production.
Les fabricants de vêtements de marque ont transféré une
grande partie de leurs secteurs de production à des entreprises sous-traitantes
en Thaïlande, en Malaisie, en Inde, au Vietnam,au Bangladesh, en
Roumanie, en Bulgarie ou au Paraguay. Pour des pays pauvres comme le
Bangladesh, c’est important. D’après la Déclaration de Berne, 1,6 millions
de couturières - moins de trois pour cent de la population active -
gagnent dans plus de 2 700 fabriques plus des trois quarts des recettes
de l’exportation du pays. Le salaire mensuel moyen ne dépasse pas
40 dollars. La plupart des employés - 82 pour cent de femmes -
gagnent même moins que le salaire minimum de 20 dollars fixé par
la loi parce qu’ils sont sans formation.
Les multinationales affirment qu’elles exigent,de la part de leurs soustraitants,
des codes de conduite respectant les normes de l’Organisation
internationale du travail, OIT (par exemple, liberté d’association, âge minimum
d’engagement, rémunération équitable, pas de discrimination, sécurité
sur le lieu de travail, limitation du temps de travail). En même temps,
elles les contraignent à enfreindre les règlements existants en leur
imposant des délais de livraison trop serrés et des commandes à court
terme. Les multinationales menacent de se tourner vers d’autres soustraitants
si elles ne sont pas satisfaites.
Les enquêtes menées par les ONG montrent que les
conditions de travail sont problématiques dans les entreprises soustraitantes,
tant en Europe centrale et orientale qu’en Asie. Les femmes
sont les premières à subir des discriminations. Durant les périodes de
pointe, les couturières travaillent 110 heures par semaine, parfois même
48 heures d’affilée, sous le contrôle de surveillants. Ceux et celles qui
présentent des signes d’épuisement peuvent s’attendre à être licenciés.
Les punitions, le harcèlement sexuel et même la distribution de produits
dopants ne sont pas rares.
Il n’existe souvent pas de contrats de travail réguliers, la création de
syndicats est interdite et les travailleurs ont peu de moyens de se défendre.
Même quand les heures supplémentaires ne sont pas imposées, les
employés ne peuvent pas y échapper. Les salaires suffisent à peine à la
survie. Une travailleuse du textile au Cambodge doit s’en sortir avec un
salaire annuel de 1 500 dollars ; cela représente 0,0009 pour cent du
bénéfice annuel de Puma en 2002.
La ville de Sialkot est le centre de l’industrie pakistanaise d’articles de
sport. 70 à 80 pour cent de la production mondiale de ballons de football
en sont originaires. Les ballons sont produits dans près de 200 usines et
sont cousus par environ 25 mille femmes et hommes dans plus de 1 500
centres de couture. Le travail des enfants était auparavant très répandu
dans la production de ballons. Suite aux efforts internationaux contre le
travail des enfants et dans la perspective du championnat du monde de
football en 1997 a été signé le traité d’Atlanta, entre l’OIT, l’Unicef au Pakistan et la chambre de commerce
de Sialkot. L’objectif en était d’abolir le travail des enfants dans la
production de ballons de football. En 1998, le Fifa a en outre introduit un
code de conduite pour les entreprises de production qui travaillent sous
licence pour la Fifa. Depuis cette date, la grande majorité des fabricants
de ballons de football locaux, qui produisent environ 90 pour cent des
ballons, ont signé le traité.
Le travail des enfants n’est depuis lors plus un
problème dans ces entreprises, à en croire les déclarations des instances
de surveillance. Il faut toutefois souligner que le traité d’Atlanta a surtout
été signé par les fournisseurs des grandes marques sportives. Beaucoup
de producteurs, en particulier ceux des ballons sans marques
destinés au marché des jouets et de la publicité, continuent à employer
une main-d’oeuvre enfantine bon marché. À l’occasion du championnat
du monde de 2006, le commerce de ballons équitables a été encouragé
et soutenu dans le monde entier. Ainsi, par exemple, l’organisation
de commerce équitable Transfair Allemagne a interpellé la Fifa pour qu’elle
utilise exclusivement des ballons provenant du commerce équitable
lors des matchs de ce championnat. Si les travailleurs reçoivent des salaires
équitables, ils dépendent moins du salaire que peuvent leur apporter
leurs enfants.
Qui est responsable de l’injustice
qui règne dans le commerce du sport ? D’une part, ce sont les entreprises
sous-traitantes, qui ne respectent pas les normes de travail de
l’OIT reconnues par la plupart des
Etats. Ce sont également les multinationales : en raison de leur stratégie
d’achat, elles mettent les sous-traitants et les gouvernements sous pression,
même si, face au public, elles affichent une certaine éthique. Enfin,
la responsabilité incombe aux gouvernements qui se soumettent à la
pression des entreprises multinationales et ne satisfont pas à l’obligation
qui est la leur : créer des conditions cadre économiques et sociales, qui
permettent aux enfants d’aller à l’école plutôt que d’accepter un travail
préjudiciable à leur santé. Les consommateurs dans
les pays industrialisés portent eux aussi une part de responsabilité. C’est
à eux que s’adressent les ONG en leur demandant d’acheter des articles
produits et commercialisés de manière équitable - même s’ils sont
nécessairement un peu plus coûteux.
Cordula Sandwald a écrit le dossier Le sport, enjeu global à l’occasion de l’année internationale du sport et de l’éducation physique pour la Coopération suisse, Alliance Sud et Education et développement.