Impulsion et mise en place d’une plateforme d’échange d’expériences
en éducation au développement, par Adélie Miguel Sierra
Aborder la question de savoir quelle éducation voulons-nous et pour quel développement est une entreprise qui exige l’apport et la confrontation de différentes analyses, compétences et expériences.
Afin d’améliorer la portée de leur travail, les animateurs aspirent à confronter et consolider leur pratique éducative avec d’autres collègues investis dans différents secteurs éducatifs. Aujourd’hui, il existe peu de lieux qui favorisent ce type de dialogue et d’apprentissage entre acteurs d’horizons divers. Cependant, certaines initiatives se construisent petit à petit qui favorisent le dialogue entre les acteurs de la coopération et des acteurs investis dans d’autres types éducation aux valeurs (environnement, santé, paix, antiracisme…). Ces espaces sont des lieux d’échanges d’expériences et des apprentissages qui en découlent, ils permettent aussi de mieux connaître l’histoire et les missions spécifiques de chaque organisation représentée.
Ce projet de mise en réseau de différents acteurs éducatifs autour des questions de développement et de solidarité internationale n’est pas récent. Au début des années nonante, un groupe d’ONG et la Confédération générale des enseignants ont impulsé la création du Red Nord-Sud.
L’engagement d’ITECO, dès son adhésion, a été assez actif afin d’appuyer un projet orignal qui avait pour mission, dans ses premières années, d’entamer un dialogue entre le monde scolaire et celui des ONG ; et à partir de 1998, d’élargir la réflexion à d’autres acteurs sensibles aux questions de solidarité internationale (organisations socioculturelles, autres éducations aux valeurs). Voici la formulation de ses objectifs tels que définis à partir de 1998 :
« Le Réseau d’éducation au développement Nord-Sud est constitué d’une vingtaine d’organisations ayant une pratique significative en éducation au développement et actives en Wallonie et à Bruxelles, en Belgique. Le réseau, pluraliste, réunit actuellement des ONG de développement et des organisations d’éducation permanente.
Le Red Nord-Sud a pour objectif de promouvoir auprès des pouvoirs publics, du monde associatif, de l’enseignement, de l’éducation permanente et des médias une politique d’éducation au développement forte et cohérente basée sur les principes de sa charte.
Plus concrètement, les diverses actions du Red Nord-Sud sont :
*-La constitution d’un espace permanent de rencontres et d’échanges entre les concepteurs de l’éducation au développement en vue de mieux coordonner les efforts dans le domaine.
*-La formulation de propositions auprès des responsables politiques pour une meilleure reconnaissance de l’éducation au développement dans l’éducation en général.
*-L’organisation de séminaires, lieux de réflexion sur les contenus et les méthodes de l’éducation au développement.
Le Red Nord-Sud n’intervient pas directement auprès des écoles et du public en général. Il s’appuie sur le travail des membres et vise les acteurs de l’éducation au développement. Dans la mesure des possibilités, il sert de relais à leurs initiatives ».
Malheureusement, en 2004, le Red Nord-Sud, par manque de moyens, mais aussi à cause des positions divergentes entre certains membres, a cessé ses activités. Depuis lors, il n’existe plus de lieu en Communauté française qui facilite le dialogue entre différents acteurs associatifs sur les questions d’éducation au développement.
Les changements profonds que subissent nos sociétés exigent un renforcement important de la mission éducative des acteurs de la solidarité internationale. D’une pratique artisanale et intuitive, le métier d’éducateur au développement évolue vers une plus grande professionnalisation dans les compétences de base nécessaires à la mobilisation des acteurs de la société civile.
Pour mieux comprendre la complexité des enjeux du développement dans le contexte de mondialisation, des nouvelles thématiques ont été intégrées, ces dernières années, dans le champ de l’éducation au développement. D’une sensibilisation sur les pays du Sud, les ONG évoluent vers une analyse des articulations entre développement et mondialisation en abordant des questions telles que biens communs de l’humanité, développement durable, rapports sociaux hommes-femmes, rôle des acteurs décentralisés, migrations et développement.
Ces dernières années, la nouvelle génération de collaborateurs, engagée au sein des ONG pour renforcer leur mission éducative, souhaite s’appuyer sur l’expertise d’autres secteurs spécialisés sur certaines de ces thématiques tels que les associations de femmes ou de migrants, les environnementalistes ou les organisations de défense des droits humains. À travers les espaces de formation d’ITECO, les animateurs d’ONG expriment leurs besoins en matière d’échange d’expériences ou méthodologique avec d’autres acteurs associatifs.
Parallèlement, le secteur socioculturel intègre de plus en plus la dimension Nord-Sud dans ses pratiques éducatives et cherche à les consolider avec le secteur de la coopération.
Enfin, nous observons aussi que de nombreuses Hautes écoles proposent à leurs étudiants des stages, mémoires ou projets interdisciplinaires qui explorent les processus d’apprentissages liés aux questions de développement et à la solidarité internationale.
ITECO, de par sa position à la croisée du travail de coopération, d’éducation permanente et de l’action sociale, est interpellé depuis plusieurs mois pour initier la mise ne place d’un espace de dialogue entre les éducateurs motivés à croiser leur regard et savoir-faire en vue d’une meilleure mobilisation des citoyens francophones sur les questions de développement.
Avec le soutien du Commissariat général aux relations internationales de la Communauté française, ITECO s’est proposé donc d’impulser une dynamique de création d’un nouveau réseau d’échanges d’expériences, de capitalisation et de renforcement de compétences à partir de la méthodologie de travail suivante :
1. Élaboration d’un diagnostic des besoins et attentes des différents acteurs par rapport à un travail en réseau.
Aujourd’hui, une multitude de réseaux a vu le jour tant sur le plan international que local, avec des finalités et des formes de structuration très diverses. De nombreuses instances tant publiques que privées valorisent les synergies entre différents groupes en vue d’une meilleure efficacité des actions menées et aussi pour un renforcement des acteurs qui les portent. Ces différents réseaux se structurent en tant que plateforme, fédération, collectif, coordination, groupe formalisé ou informel.
Face à ce phénomène grandissant de travail en réseau, différentes recherches, produites particulièrement par les universités1, se penchent sur ces nouvelles formes de participation et de collaboration. Elles identifient certains principes de base essentiels pour le bon fonctionnement d’un réseau et l’implication active de ses membres. Un de ceux-ci est évidemment que l’organisation impliquée y trouve une plus-value pour son travail.
C’est pourquoi, afin de mieux appréhender les attentes des acteurs éducatifs en la matière, ITECO a élaboré un questionnaire qui permet de relever leurs besoins spécifiques en la matière en fonction de leur contexte et public spécifique ; d’identifier leurs attentes par rapport à un travail en réseau (plus value pour leur organisation) ; et de connaître leurs propositions et conditions sur les modalités de structuration et de fonctionnement pour la mise en en place du réseau.
S’appuyant sur les apprentissages de l’ancien Red Nord-Sud, ITECO a opté pour organiser des entretiens directs avec une vingtaine d’organisations non liées à la coopération (associations d’éducation permanente ou Hautes écoles). Bien que les ONG souhaitent s’ouvrir à d’autres acteurs éducatifs sensibles aux problématiques internationales, elles ont des difficultés à se décentrer par rapport aux parcours et priorités d’organisations sociales ou culturelles. Et de ce fait, toute tentative de collaboration reste souvent marquée par la logique des ONG. Construire un réseau d’acteurs éducatifs de différents horizons, c’est permettre à chacun de trouver sa place et son intérêt.
Ayant une connaissance plus approfondie du secteur de la coopération, nous avons opté pour l’envoi des questionnaires aux ONG d’éducation au développement via les outils de communication de la fédération Acodev. Dix réponses on été reçues.
Nous avons réalisé une synthèse de ces différentes rencontres et identifié des documents de références sur le travail en réseau, la capitalisation et les méthodologies participatives d’échanges d’expérience afin d’une part de visualiser la position des acteurs éducatifs francophones en matière de travail en réseau sur les questions d’éducation au développement et, d’autre part, de socialiser certains documents pédagogiques théoriques qui peuvent nourrir chaque acteur.
2. Élaboration d’une proposition de base sur les missions, les modalités de fonctionnement et les axes stratégiques de travail commun
Lors de nos contacts et entretiens avec les différents secteurs éducatifs et associatifs, nous avons identifié les conditions de participation de chaque partenaire potentiel et leur proposition de structuration.
À partir de ces données, ITECO a élaboré une proposition martyre avec les missions, modalités de fonctionnement et axes de travail en commun qui servira de base pour les acteurs qui souhaitent s’engager activement à la mise en ouvre de ce réseau. Ce document a été discuté lors de l’atelier organisé le 5 juin 2008 qui a regroupé l’ensemble des organisations potentiellement intéressées.
ITECO a tenu aussi compte des éléments d’évaluation partagés par les membres de l’ancienne structure du Red Nord-Sud : il s’agit de ne pas reproduire les mêmes erreurs du passé tout en capitalisant les forces de ce réseau qui a rayonné de nombreuses années.
3. Organisation d’un atelier avec les acteurs concernés pour valider le diagnostic, affiner le document martyr et élaborer un calendrier de travail commun.
En juin 2008, ITECO a invité l’ensemble des organisations contactées à participer à une journée de réflexion et d’échanges pour l’éventuelle mise en place d’un réseau de renforcement et de valorisation des pratiques des acteurs de l’éducation au développement et à la solidarité internationale.
Un des objectifs de cette rencontre était de mener une réflexion et des échanges sur les différentes formes de collaboration entre organisations, leurs défis et potentialités.
La matinée a été introduite par une personne-ressource, Anne Versailles qui, depuis de nombreuses années, se penche sur les formes de mobilisation des intelligences citoyennes. Elle nous a proposé une typologie et les défis d’un travail en réseau (voire son article pages 4 à 9).
On constate l’existence de quatre grands modèles de réseau
1. Des réseaux dont l’objectif prioritaire est l’échange de pratiques.
2. Des réseaux dont l’objectif prioritaire est la rencontre et l’échanges d’informations.
3. Des réseaux dont l’objectif est la formation et renforcement des compétences.
4. Des réseaux dont l’objectif prioritaire est le changement sociopolitique.
Les deux premiers modèles se centrent davantage sur les membres, tandis que les deux derniers modèles se centrent sur le contexte. Les modèles 1 et 4 sont des réseaux dirigés vers l’action. Les modèles 2 et 3 sont des réseaux d’appui.
Ce cadrage a permis à ITECO de présenter la synthèse du diagnostic des attentes et des besoins des acteurs. Nous constatons, à travers les questionnaires, qu’une partie des organisations rencontrées souhaite la mise en place d’un réseau plus centré sur l’échange de pratiques, tandis qu’un autre groupe voit l’intérêt du réseau comme un espace d’interpellation politique sur les enjeux éducatifs. Le défi sera dont mettre en place un réseau qui concilie ces deux objectifs. Ou si, à travers un choix plus tranché, certaines organisations ne s’impliquerons pas dans le nouveaux réseau.
Fortes de ce cadrage, les trente organisations présentes ont, à travers différents sous-groupes, échangé leurs desiderata en la matière justifiés par l’histoire de leurs structure mais aussi leur intégration dans une contexte spécifique (lutte contre l’exclusion, défense des demandeurs d’asile, articulation des enjeux Nord-Sud). Parallèlement, ces espaces ont permis à de nombreuses organisations de mieux se connaître. Alors qu’ils visent globalement la même finalité, certains acteurs n’ont jamais eu la possibilité d’échanger leurs points de vue de manière directe !
Les différentes visions sur le futur réseau se sont cristallisées autour de l’analyse du document martyr sur les missions et modes de fonctionnement : voulons-nous un réseau informel pour se protéger de la « récupération » potentielle de certains leaders associatifs ou des exigences de bailleurs de fonds ; ou voulons-nous un réseau institutionnalisé qui permet une meilleure reconnaissance et visibilité mais qui exige beaucoup d’énergie dans sa structuration au détriment des échanges de pratiques ?
Par contre, le nom fédérateur que pourrait avoir cet espace d’échange : Réseau d’éducation à la citoyenneté à dimension internationale (Reci) a été aprouvé de manière unanime.
Suite à cette journée, chaque organisation souhaite prendre le temps de socialiser ces discussions au sein de leurs équipes. Une seconde rencontre doit être organisée afin de mettre en oeuvre ce réseau et définir ses modalités de fonctionnement sur base de principes démocratiques (coordination en alternance et horizontalité des rapports entre les membres), de co-responsablité (implication active et non de consommation), de respect des disponibilités de chacun (degré d’implication variée et diverse en fonction des ressources et compétences de chacun).
Le défi est double, mais ô combien mobilisateur : penser la complexité du monde en articulant nos différentes portes d’entrées et expérimenter de nouvelles formes de partage de pouvoirs et d’action !
Organisations ayant participé aux entretiens
Amnesty international
ATD Quart monde
Atelier Graphoui
Centre bruxellois d’action interculturel
Coppération pour l’éducation et la culture
Coordination d’initiatives pour les refugiés
Changements pour l’égalité
Centre national pour la paix et le développement
Libération films
Ligue des droits de l’homme
Mouvement Action chrétienne rurale des femmes
Média animation
Mouvement contre l’antirascisme et la xenophobie
Periferia
Réseau Culture et développement
Réseau Idées
Université de paix
Institut Sainte Croix de Liège
Ecole normale catholique du Brabant wallon Léonard de Vinci.
Organisations ayant répondu au questionnaire
COTA
Iles de paix
Frères des hommes
Le monde selon les femmes
Magasins du Monde Oxfam
Service civil international
Solidarité socialiste
SOS-faim
Universud
Vétérinaires sans frontières.
Organisations ayant marqué leur intérêt pour cette initiative
Oxfam- solidarité
Le Grain
École sans racisme
Centre de théâtre action
(Footnotes)
Centre national de coopération au développement.