Quinze propositions

Mise en ligne: 17 décembre 2008

Le réseau implique une culture politique transformatrice et en est l’expression elle-même, par Oscar Jara

1. Le travail en réseau est une manière de faire les choses, qui suppose le « tissage » de relations, apprentissages, complicités, en avançant « nœud après noeud » jusqu’à parvenir à la constitution d’un espace commun, ouvert et diversifié, au sein duquel puissent venir se greffer de nouvelles initiatives, propositions et défis.

2. Le travail en réseau suppose de mettre en exergue le processus de construction de l’espace d’action commune et non la structure organisationnelle, qui devient, elle, secondaire en fonction des nécessités. Il ne s’agit pas de créer des réseaux pour les « lancer » et « repêcher » d’autres personnes, mais bien d’inviter à la participation au processus de construction du réseau.

3. Il est indispensable d’avoir des objectifs ou des buts stratégiques communs, qui supposent des défis à atteindre dans un effort commun. Objectifs ou buts stratégiques, ce qui signifie des résultats qualitativement différents de ceux que nous avons aujourd’hui dans une situation déterminée.

4. Le facteur dynamique du travail en réseau est jalonné par les objectifs ou buts stratégiques et non par le travail en réseau en soi-même. Le réseau n’a aucun sens vers l’intérieur, mais bien en fonction de ce que l’on fait en réseau vers l’extérieur, son efficience et son efficacité. C’est pourquoi la forme et l’intensité que peut prendre le travail en réseau dépendront de l’ampleur de l’impact que nous pourrons avoir sur la transformation de la situation qui nous sert de point de départ vers un objectif planifié.

5. Travailler en réseau suppose différentes formes de coordination opératoire au sein desquelles chacun apporte ce qui lui est propre et ce qu’il connaît le mieux, au travers d’actions, de projets et de lignes de travail concrètes. Sans action, les « nœuds » des réseaux « se desserrent ».

6. Travailler en réseau suppose, en lien avec le paragraphe précédent, de respecter et de tirer parti des diversités. Elles constituent un facteur de renforcement, précisément dans la mesure où elles se voient respectées et mises à profit et où l’on n’impose pas des particularités au détriment des autres. C’est pourquoi le débat, la planification et le fondement des propos et actions sont essentiels, ainsi que la spécialisation des tâches, afin de rendre possible la complémentarité des efforts et des capacités.

7. Nous ne devons pas d’emblée supposer que – par principe – toutes les personnes et organisations réunies autour d’un objectif général sont déjà d’accord sur tous les points. Il s’agit de promouvoir l’explication de toutes les idées et visions pour trouver les points de convergence qui donnent au travail en réseau son identité. Mais également afin de connaître et de travailler les divergences. Prêter de l’attention à ces dernières, parce que les résoudre peut être une grande force et les ignorer, un grand piège. Les « consensus bon marché » ou rapides sont les ennemis du travail en réseau. A la longue, un désaccord non travaillé peut devenir un facteur de conflit qui éclate précisément parce qu’il a été maintenu sous tension latente trop longtemps.

8. D’un autre côté, s’efforcer de trouver tous les points de convergence possibles, incluant des « accords minimes » basés sur le critère que personne n’a totalement raison ni totalement tort, et que donc, nous devons toujours prêter attention à « la partie d’accord » qui peut surgir entre ma position et celle d’une autre personne ou organisation.

9. Stimuler une dynamique et un esprit d’apprentissage mutuel. Ceci implique une disposition à partager ce que chacun de nous sait, mais également une disposition à l’écoute pour apprendre de ce que les autres savent déjà. Il est important, pour cela, de mener une action réflexive critique et autocritique, qui rende possible non seulement l’échange de descriptions ou de narrations des expériences particulières, mais également le partage des apprentissages que nous laissent ces expériences. Cette tâche, produit d’un processus de systématisation – en tant que réflexion critique sur la pratique elle-même – est fondamentale pour alimenter un travail en réseau, puisqu’elle permet de construire une pensée propre et partagée, à partir des apports de chacun.

10. Il est très important de stimuler les processus et mécanismes d’accumulation d’expérience : tenir des registres et collectiviser des mémoires de ce qui a été réalisé, synthétiser les accords, laisser des preuves des évaluations et des plans. Il arrive trop souvent de répéter des erreurs et de ne pas construire de nouveaux « échelons » afin de mieux atteindre les nouveaux défis, faute de ne pas respecter ces procédés.

11. Le processus de construction du travail en réseau n’est pas linéaire ni régulier ; il est asymétrique et variable. C’est pourquoi, il est fondamental de maintenir une dynamique communicative très intense, qui alimente les possibilités d’être en contact, d’apporter et de recevoir des contributions, en utilisant toutes les formes et moyens possibles : écrits, électroniques, rencontres interpersonnelles, etc. afin de « suivre le rythme » des faits et de collectiviser les propositions et décisions.

12. S’assurer que tout s’effectue dans la transparence pour la collectivité, sans crainte de la mise en évidence d’erreurs ou de difficultés. Il n’existe pas de travail en réseau possible qui ne se base pas sur la confiance mutuelle. Mais cette confiance ne s’octroie pas gratuitement, elle se construit au sein d’une relation (et elle peut se perdre, également). L’honnêteté, la franchise et la disposition à la critique consolident les relations d’un réseau.

13. Il est nécessaire de compter sur des formes et des instances d’animation et de coordination. Le travail en réseau ne fonctionne pas par lui-même, mais bien en tant que produit d’initiatives, de propositions, de réactions, d’accords et de divergences, que l’on peut structurer en plans d’action. Au mieux sont distribuées les tâches d’animation et de coordination, avec plus de répartition des responsabilités, plus le travail en réseau sera dynamique et plus il « appartiendra » à tous ceux qui y participent. Cependant, avoir des axes ou des espaces centraux de référence – qui ne signifient pas des points autoritaires ou permanents de décision – est fondamental si l’on veut compter sur des liens de contact de référence en commun. Je ne crois pas aux réseaux dispersés d’initiatives isolées qui utilisent occasionnellement un parapluie commun et prétendent être si « démocratiques » qu’elles n’acceptent personne qui prenne des initiatives de coordination et d’articulation de leur ensemble. Je crois aux relations horizontales, démocratiques et mutuellement exigeantes, où chacun contribue à conditions égales, mais où il existe également des rôles (et responsabilités auxquelles ont doit rendre des comptes) de leadership, d’animation, d’orientation, d’articulation et de décision.

14. Au sein du travail en réseau circulent également des relations de pouvoir, tout comme dans tous les domaines de la vie. Mais ces relations de pouvoir n’ont pas à prédominer dans les réseaux qui font face à nos sociétés capitalistes, inégales, d’exclusion et autoritaires. Elles peuvent être des relations de pouvoir synergiques, c’est-à-dire où le pouvoir de chacun alimente le pouvoir des autres et de l’ensemble. Où les capacités se développent offrant des possibilités à toute personne et à tout groupe qui participe, et non seulement à un groupe qui exerce ou impose ses décisions. Relations où la jonction de nos capacités donne lieu à de plus amples possibilités d’action que celles que l’on obtiendrait de manière isolée ; relations qui amènent, après chaque rencontre et chaque tâche, richesse et nouvelles ressources afin d’affronter des défis nouveaux et toujours plus complexes.

15. En synthèse, le travail en réseau implique une culture politique transformatrice et en est l’expression elle-même. C’est pourquoi nous pouvons parler du réseau comme d’une culture organisationnelle. Non seulement en tant que notion générale ou théorique, mais également comme une création quotidienne qui traverse tant les espaces d’existence et de travail institutionnel que personnels. En définitive, le travail en réseau exigera de nous une réelle implication, contribuant ainsi à notre propre croissance en tant que personnes. De cette manière, nous pourrons être capables de nous transformer nous-mêmes, en tant que personnes, dans la mesure où nous nous engageons dans des processus transformateurs des relations sociales, économique, politiques et culturelles du contexte dans lequel nous sommes amenés à vivre.

Traduction d’Antonia de la Fuente