Six risques à maîtriser

Mise en ligne: 17 décembre 2008

Souplesse et décloisonnement sont des compétences liées au travail en réseau, ainsi que la vigilance permanente sur des dérapages potentiels, par Philippe Dumoulin

L’atteinte des objectifs suppose la maîtrise, dans le long terme, d’un certain nombre de dérives possibles. Sans vouloir, par l’examen de ces derniers, décourager de la nécessité de s’orienter aujourd’hui résolument dans la mise en œuvre des réseaux, il conviendra de développer dans l’animation une vigilance permanente sur ces dérapages potentiels :

• On entrevoit bien le risque de développer, dans une recherche d’efficacité, une forme abusive de contrôle social sur l’usager par le partage d’informations convergentes et la mise en œuvre d’actions concertées… Les mailles du réseau (étymologiquement : « filet ») peuvent se resserrer dangereusement, l’utilisation non contrôlée des réseaux secondaires comporte le risque de générer un quadrillage social à l’encontre des libertés individuelles. L’association de l’usager à la définition comme à l’évaluation de l’impact des actions est ici essentielle.

• Deuxième risque, au cœur du réseau professionnel : celui de la sélectivité. Le réseau fonctionne, on le sait, sur le développement du lien relationnel entre professionnels. Il peut se figer dans l’élaboration progressive d’un cocon affectif excluant les candidatures externes, de manière volontaire ou involontaire. L’animation devra lutter contre ce risque de l’entre soi qui nivelle la dialectique nécessaire entre la différence et l’identité. Ce dérapage comporte un certain nombre de déclinaisons, parfois observées dans les réseaux : le développement de logiques centrifuges par rapport aux institutions d’appartenance, l’illusion égalitaire entre les membres, le verrouillage du groupe de base sur lui-même…

• Troisième risque, lié au précédent : celui de la personnalisation. On est ici dans l’hypothèse d’un fonctionnement appuyé sur les seules relations entre les personnes ; le renouvellement d’une ou plusieurs d’entre les personnes ; le renouvellement d’une ou plusieurs d’entre elles entraînera la fin du groupe.

• Quatrième risque : on peut observer, dans les fonctionnements, des stratégies de colonisation du réseau par l’une des institutions impliquées. Dans les cas extrêmes, il pourra y avoir confiscation (manifeste ou non) du réseau par l’un des membres. Une vigilance de l’animation et de la coordination est essentielle à ce niveau.

• Le cinquième risque à maîtriser est celui de l’autolégitimation, souvent appuyée sur le développement de productions autonomes. On le sait, les réalisations concrètes du réseau vont poser la question d’un positionnement en complémentarité des actions classiques des institutions, dans les interstices vacants… ou celui d’un positionnement possible en nouveau concurrent. Le réseau se met en risque de fragilité dans ce second cas.

• Enfin, il existe en permanence un risque d’affaiblissement des réseaux primaires des personnes,lié à l’efficacité même de ce nouveau mode d’organisation de l’offre de service.

Aussi, plus encore que dans la démarche classique, l’intervention à base de réseau nécessitera de redéfinir les règles déontologiques d’une action partenariale.

Celle-ci se fonde sur :
• la confiance mutuelle entre les participants
• le respect des objectifs définis en commun
• le respect des engagements pris
• la volonté de transparence sur les choix posés.

Elle suppose aussi de réaffirmer des règles éthiques et professionnelles :
• la place du sujet-acteur
• la vigilance à la manipulation et à la personnalisation de l’action,
• la discrétion professionnelle,
• la vigilance aux effets de filière ou d’exclusion.

Ceci revient à dire que le réseau appelle au développement de nouvelles compétences dans l’intervention ; souplesse, décloisonnement, lisibilité, accent porté sur les ressources plus que sur les pathologies… à l’encontre peut-être des
« modèles canoniques » de l’intervention sociale.

Extrait de Travailler en réseau. Méthodes et pratiques en intervention sociale, de Philippe Dumoulin, Régis Dumont, Nicole Bross et Georges Masclet, Dunod, 2008.