Les personnes souhaitant prendre le large rien que pour s’éclater sont priées de rester chez elles. Malgré la diversité des projets portés par les associations belges proposant des voyages vers le Sud, le séjour est conçu, dans tous les cas, comme une opportunité d’échange et de développement personnel. Petit tour d’horizon.
Ne dites pas tourisme alternatif. Et surtout pas tourisme tout court. Parlez plutôt d’échange ou de rencontre interculturelle. Car s’il y a un point commun à toutes les associations proposant des voyages vers le Sud, c’est bien une démarche de découverte de l’autre ainsi que de développement personnel. C’est du moins l’objectif affiché par les quatre organisations que nous avons rencontrées. Lesquelles ne voient pas le voyage comme une fin en soi, mais plutôt comme un outil, au service de leur projet éducatif et ou de développement. Dans ce contexte, le voyage au Sud acquiert une épaisseur ―éducative, sociale, culturelle...― aux antipodes d’un certain tourisme marqué par l’exotisme et la consommation.
Les institutions qui organisent ce type de voyage sont nombreuses en Belgique francophone [1]. Celles que nous avons rencontrées sont très variées, en termes de ressources disponibles, d’actions développées ou du nombre de destinations proposées. Il s’agit du Service civil international (SCI), de Défi Belgique-Afrique, d’Afrique au cœur, ainsi que du projet Solidarcités, de SOS-jeunes-Prospective jeunesse. Le SCI a une longue histoire. Né en 1920 et actif en Belgique depuis 1947, il fut l’une des premières ONG de coopération au développement dans les années soixante. De nos jours, le SCI est présent dans une centaine de pays de par le monde. Afrique au cœur est une petite association montoise qui propose, depuis 2001, des voyages au Burkina Faso, en partenariat avec le comité villageois de Ouahigouya. Quant à Défi Belgique-Afrique, cette ONG basée dans la commune bruxelloise de Forest, est active dans le milieu scolaire depuis 1987. Solidarcités, enfin, est un projet mis sur pied en 2001 par SOS-jeunes-Prospective jeuneuse, une association d’aide en milieu ouvert, située à Ixelles.
Le mot « tourisme » ne fait en aucun cas partie du vocabulaire des associations contactées. A ce propos, Serge Delporte, président d’Afrique au cœur, précise qu’avant même de lancer leur initiative, ils ont fait le tour de la question.
Le mot tourisme est dangereux ou en tout cas ambigu, affirme-t-il, en ce qu’il comporte le meilleur et le pire. Nous sommes donc particulièrement attentifs à être très clairs avec les voyageurs. Et cette question est, parmi d’autres, abordée lors des réunions de formation, avant le départ. Ainsi, les gens qui partent avec nous savent bien qu’il s’agit d’un voyage qui comportera des moments importants et intenses de proximité et de convivialité ; mais aussi de réflexion sur les différents modes de vie, sur les rapports Nord-Sud
La distinction « Nord-Sud », très employée dans le milieu, suscite également quelques appréhensions dans l’équipe du Service civil international. « Le problème avec cette distinction, explique Luc Henri, responsable des publications au SCI, est qu’elle est réductrice. Car elle associe trop facilement ‘Nord’ à richesse et ‘Sud’ à pauvreté, alors que, dans chaque hémisphère, il existe des réalités qui s’accommodent mal de cette distinction. Nous préfèrerons parler, par exemple de ‘choc culturel’. Mais j’avoue que l’expression ‘Nord-Sud’ peine à nous quitter... ». Luc Henri se garde également de présenter leur action comme de l’aide au développement : « Les volontaires ne sont pas nécessairement des experts et les actions sont souvent ponctuelles ; nous mettons plutôt l’accent sur l’échange interculturel ».
Qui peut donc bien vouloir se « dépayser » en compagnie de gens qui réfléchissent de la sorte ? Ils sont pourtant des centaines, chaque année, à prendre le large dans des conditions différentes de celles du tourisme traditionnel. Ils ne correspondent cependant pas à un portrait type. Certes, ils ont en commun le fait d’avoir les moyens pour se payer le voyage, à l’exception des jeunes qui partent dans le cadre du projet Solidarcité, qui sont issus d’un milieu plus modeste. Pour le reste, l’origine, l’âge et les motivations varient dans chacune des quatre organisations. Mais les moyens financiers ne suffisent pas à assurer le départ. Les candidats, nous dit-on, doivent prouver au préalable leurs bonnes dispositions et leur sensibilité pour « les rapports Nord-Sud » ou pour « l’interculturel » lors des formations ou des séances d’information organisées par les associations.
Les voyageurs de Solidarcité, ce sont des filles et des garçons entre 17 et 25 ans, pour la plupart en décrochage scolaire. Ils participent aux chantiers internationaux organisés par Quinoa ou par Asmae. Cette activité leur est proposée dans le cadre d’un projet de volontariat d’un an. Ces quatre dernières années, des chantiers ont eu lieu en Egypte, au Sénégal, au Maroc et au Bénin. « En plus de l’apprentissage des différences culturelles, signale Houssain El-Boubsi, animateur et éducateur au sein de l’association, le but est de montrer aux jeunes, souvent en difficulté, que les problèmes existent partout. Dans ce sens, le voyage fait partie de leur processus de maturation personnelle ». Détail très révélateur de la vocation éducative du voyage : c’est l’association qui impose la destination.
« Défi Belgique Afrique » s’adresse, quant à lui, à un public essentiellement scolaire, très jeune, de 15 à 18 ans, inscrits aux dernières années du secondaire. Les élèves intéressés par l’aventure doivent obligatoirement assister à neuf journées de formation, où l’on parle de sujets comme la situation des femmes et des enfants dans le Sud, d’écologie et de politique, ainsi que du travail humanitaire. « Nous voulons donner une vision de l’Afrique différente de celle qui en existe en Belgique, commente Anne Van Ruymbeke, l’une des deux permanentes de l’ONG. Ces problématiques sont, malheureusement, peu abordées dans nos écoles. En juillet prochain, 90 jeunes partiront pour trois semaines au Burkina Faso, au Sénégal ou au Bénin ».
A la différence des deux associations citées, le Service civil international n’impose aucune limite d’âge. « Mais dans les faits, la majorité de ceux qui partent se situent dans la fourchette d’entre 20 et 30 ans », nous confie Luc Henri. Profitant d’un réseau assez étoffé, le SCI envoie des volontaires un peu partout dans le monde. Et il en reçoit également en Belgique une petite dizaine chaque année. 250 personnes sont parties cette année, 50 d’entre elles vers des pays ―riches et pauvres― du Sud. Les volontaires doivent faire preuve d’une certaine sensibilité en matière d’interculturalité et participer à deux séances de formation. Au retour, ils doivent également rendre un rapport écrit de leur expérience. Ces témoignages sont utilisés comme matériel pédagogique lors des formations ultérieures.
Quant à Afrique au cœur, ses voyages sont « tout public ». Mais ces derniers temps elle prend également en charge les étudiants de la Haute Ecole Roi Baudouin de la Louvière. La promotion des voyages est assurée par un site web, par une revue trimestrielle tirée à 450 exemplaires et, surtout, par le bouche à oreille. Cette petite association, portée par une équipe de bénévoles, travaille avec un seul partenaire : le comité villageois de Ouahigouya, dans les environs de Goubré, au Nord du Burkina Faso. Serge Delporte, le président de l’association, tient à souligner que « le caractère démocratique du comité, ainsi que sa rigueur dans la gestion des fonds, constituent un critère fort du rapport ». Le partenariat ne se limite par ailleurs pas aux seuls voyages. Sur la base des besoins exprimés par le village, d’autres projets ont vu le jour : en matière de scolarité des enfants, d’autosuffisance alimentaire et de mise en place d’activités rémunératrices pour les femmes. Mais aussi « Parures et cultures », un projet d’échange entre artisans burkinabés et hennuyers. Cette initiative est soutenue par plusieurs bailleurs publics belges. Si l’association a fait le choix de concentrer son travail sur une seule communauté, les bénéfices apportés par le projet à Ouahigouya ont fait mouche et d’autres villages commencent à manifester leur intérêt pour cette expérience.
Une fois sur place, quel est le programme ? Là aussi, les activités varient selon les associations, mais l’accent est partout mis sur les occasions de rencontre et d’échange avec la population locale. Et le séjour est en général assez balisé. Les Belges partent en petits groupes d’une dizaine de personnes au maximum, pour une période allant d’une dizaine de jours à trois semaines. Dans le cas du SCI, les périodes sont beaucoup plus flexibles : s’agissant d’un volontariat individuel, il peut s’étendre à plusieurs mois. Sur place, les voyageurs sont encadrés par des animateurs qui ont fait le déplacement avec eux ou par des représentants des associations partenaires locales. Le séjour (alimentation, transport, logement) est assuré également par l’association hôte. Les jeunes de Solidarcité sont accueillis par les familles du village tandis que ceux de Défi Belgique-Afrique dorment dans des écoles ou dans des centres locaux.
En ce qui concerne le travail sur place, l’idée est de se mettre au service du partenaire local. Par exemple, dans le chantier béninois proposé l’année passée aux jeunes de Solidarcité, il était question de donner un coup de main dans la pépinière d’une organisation villageoise. Dans le cas de Défi Belgique-Afrique, le chantier comprend toujours une activité de reboisement, au Sénégal, au Bénin ou au Burkina Faso, dans le cadre d’une campagne visant à faire reculer le désert sahélien.
Bâtir des sentiers hors des sentiers battus, cela a un prix. Le financement constitue la principale difficulté évoquée par nos interlocuteurs. Mais pas la seule. Luc Henri, du SCI, parle du manque d’engagement exprimé parfois par les volontaires, qui prennent le voyage « dans une optique de consommateurs, ou comme des vacances bon marché ». Le volontaire du SCI doit payer son ticket et, en échange de son travail, le coût du séjour est couvert par les associations locales qui l’accueillent. « Mais parfois, ajoute Luc Henri, celles-ci demandent une participation financière supplémentaire, ce qui peut être discutable dans certains cas ». Le SCI est subsidié par des bailleurs publics belges, en tant qu’organisation de jeunesse et d’éducation au développement.
L’engagement des voyageurs n’est jamais un problème, affirme pour sa part Houssain El-Boubsi, de Solidarcité. La difficulté la plus courante est d’ordre financier. Les jeunes qui veulent partir doivent récolter des fonds pour les frais sur place, dans un délai assez court, c’est-à-dire huit mois avant le départ, en mai. Le coût des billets d’avion est toutefois pris en charge par l’association SOS-jeunes, grâce au soutien de la Communauté française.
Enfin, Serge Delporte, d’Afrique au cœur, évoque des difficultés aussi bien du côté belge que du côté burkinabé. Ici, il s’agit de problèmes propres au bénévolat. La charge de travail est assez lourde à porter, « même si parmi ceux qui partent, il y a toujours quelqu’un prêt à donner un coup de main ». Là-bas, il est question d’améliorer la formation des personnes impliquées dans le projet, ainsi que de continuer à approfondir la dynamique démocratique au village. Mais le grand défi, conclut-il, est de permettre au village de voler de ses propres ailes : « Notre objectif a toujours été de promouvoir tout ce qui permet un meilleur échange, un meilleur dialogue des cultures. Mais il est évident qu’on ne peut pas rencontrer des amis sans se demander s’ils mangent à leur faim, s’ils peuvent éduquer leurs enfants, s’ils peuvent se soigner » (AP).