Voyages en milieu scolaire

Mise en ligne: 12 septembre 2005

« La meilleure manière de savoir, c’est d’y aller »... Est-ce bien vrai ?

Les écoles ou, du moins, des professeurs, organisent des voyages dans le Sud, particulièrement en Afrique. En novembre 2003, le Forum d’Annoncer la Couleur « Vous reprendrez bien un peu de Sud », consacrait un atelier au thème de la préparation aux voyages Nord-Sud en milieu scolaire. ITECO animait cette atelier. La question de départ était « comment réussir à faire des voyages un véritable projet éducatif qui conduit à un changement social ? »

Pour démarrer dans l’exercice, nous sommes partis du témoignage et de l’analyse d’un professeur qui organise des échanges entre des classes de son école et des associations du Burkina Faso, mais, très vite, les autres participants y sont allés de leurs expériences, de leurs questionnements. Pour systématiser l’analyse, nous avons exploré les atouts et contraintes et les avons, ensuite, catégorisés selon la grille d’Ardoino. Celle-ci permet de classer les contraintes et atouts selon différents niveaux : individuel, relationnel, groupal, organisationnel, institutionnel, philosophique.

De cet exercice est née une « photo », une mise en forme de ce que représente l’organisation de voyages Nord-Sud en milieu scolaire. Un trait marquant de cette photo était l’importance du niveau individuel, dans le sens où beaucoup d’atouts et contraintes se retrouvaient sur ce plan, les atouts surtout du côté des jeunes, les contraintes, de celui des professeurs.

« On remarque donc que ce sont des individus, généralement les professeurs, qui créent des projets. Ils invitent d’autres individus, leurs élèves, qui forment un groupe, à rencontrer des individus du Sud, qui ne forment pas spécialement un groupe. L’impact recherché au Nord est le changement individuel tout en souhaitant que, le Sud, lui, fasse des projets collectifs » (extrait du rapport de l’atelier).

La mise en place de ce type de projet est difficile et lourde, principalement parce qu’elle est assumée de manière individuelle. De plus, ces échanges se font d’abord dans un but de changement personnel, du moins pour les jeunes du Nord. La décentration qu’opère le voyage, le lointain, la différence entre ici et là-bas, provoque « quelque chose »... que le meneur du projet espère toujours positif.

Quant aux jeunes du Sud, ils apparaissent peu dans la grille. Il est juste mentionné qu’ils ne peuvent pas voyager aussi facilement et en aussi grand nombre que ceux du Nord, par manque de moyens.

De cet atelier et d’autres expériences, nous pouvons retirer quelques éléments d’analyse et questionnements.

1) Les voyages, tels qu’ils sont conçus, ne permettent pas spécialement d’atteindre des objectifs d’éducation au développement. Ceci, notamment, pour deux raisons :

Il y a souvent une confusion d’objectifs : entre initiation personnelle, expérience de vie et éducation au développement.

La logique individuelle qui se manifeste à divers échelons est paradoxale par rapport à un projet éducatif sur les relations Nord-Sud qui se veut participer au changement social. L’éducation au développement s’appuie sur une vision du monde où le changement passe par l’organisation collective (mouvements sociaux, comités de quartier, syndicats, groupements politiques). Les logiques de la coopération au développement, du moins, pour la majorité de ses acteurs, valorisent le collectif plutôt que l’individuel.

Ces deux éléments sont, selon nous, des facteurs qui limitent la portée d’éducation au développement de ce type de projets.

L’initiation, en tant que telle, le « passage », « l’ouverture des yeux », la décentration sont, en soi, de bonnes choses dans l’évolution d’un être humain. Il s’agit d’un éveil. Cependant, ces derniers ne constituent pas l’objectif prioritaire de l’éducation au développement, même s’ils en font partie. En ce sens, la confusion d’objectifs peut mener à des résultats eux-mêmes confus et produire des déceptions, des effets à court terme, des « sensations » plutôt que des compréhensions.

Dans la même lignée, en termes d’éducation au développement, ce type de projet pourrait viser la découverte de l’importance du collectif pour construire le développement. Si ce thème n’est pas traité comme tel, si l’objectif est essentiellement une décentration individuelle, on arrive à organiser des voyages relativement inopérants en termes d’éducation au développement.

2) « Mieux vaut voir une fois que d’entendre mille fois », motive les voyages. En d’autres mots, la meilleure manière d’appréhender la réalité, c’est de la vivre. Ou, en ce qui concerne le Sud : « la meilleure manière de savoir, c’est d’y aller »... Qu’en penser ? Est-ce bien vrai ?

Tout d’abord, ce n’est pas parce qu’on voit qu’on voit « bien »... Notre regard est filtré par nos connaissances, nos savoirs informels, nos stéréotypes, nos émotions, nos attentes et nous ne voyons jamais « tout »... Alors, peut-être qu’il vaut mieux entendre mille fois et puis, éventuellement, aller voir...

De plus, cet adage se base sur un a priori selon lequel les changements des élèves vont être « positifs », l’expérience vécue va mener à une plus grande ouverture, la mise en cause des stéréotypes, plus d’empathie et de solidarité. Cependant, certaines situations vécues lors des voyages, du fait de leur caractère non sécurisant pour certains jeunes, peuvent produire tout à fait l’inverse.

On pourrait dire aussi que les voyages favorisent une « illusion » de la connaissance. Les personnes qui ont voyagé seraient plus crédibles pour parler d’un pays que les autres. Or, ce n’est pas en dix ou quinze jours au Burkina ou au Sénégal qu’on connaît le pays. La simplification est donc toujours un risque important.

Lors de nombreuses rencontres, et ce fut le cas pour l’Atelier d’Annoncer la Couleur, les participants recommandent toujours une bonne préparation et un suivi aux voyages afin qu’ils s’inscrivent dans un processus d’éducation au développement. Il ne s’agit pas seulement de se préparer à « rencontrer l’autre » et à se former à l’interculturel, il s’agit aussi d’entrer dans une démarche d’analyse des rapports Nord-Sud et de comprendre (pas seulement sentir) la réalité.

Pour qu’un projet de ce type atteigne les objectifs pédagogiques dans un cadre d’éducation au développement, il faudrait que le voyage n’en soit qu’un épisode et pas une finalité.

Il est donc très important, comme dans tout projet, que les objectifs soient clairs et que, s’il y a confusion, elle soit au moins mise à jour et gérée. Voyager dans le Sud est aujourd’hui, pour beaucoup de jeunes, semble-t-il, un rite de passage. On ne peut pas critiquer cela en tant que tel. On peut néanmoins se demander en quoi ces voyages participent au développement du Sud, et quels en sont les impacts sur les personnes du Sud qui accueillent et qui ne peuvent, elles, pas souvent venir en aussi grand nombre et avec autant de moyens chez nous (AH).