D, comme Droits / 2

Mise en ligne: 15 mars 2013

Garantir le droit au développement, par Tânia Santos

Droits : ce sont les droits et libertés basiques de tous les êtres humains. Généralement, le concept de droits humains comporte également l’idée de liberté de pensée et d’expression, et d’égalité face à la loi.

La condition humaine s’exprime à travers deux éléments fondamentaux : la (conscience de la) vulnérabilité face à certains besoins et l’interdépendance des individus comme élément déterminant dans leur satisfaction. Cependant, ces deux éléments, liés, en expriment également un autre : la survie, comprise dans une perspective physiologique, qui toutefois ne se présente pas comme l’unique ou la dernière finalité de l’existence humaine.

La compréhension de cette condition, sous ces trois aspects, a abouti à la création de codes de principes éthiques et moraux qui guident la réponse aux besoins de l’homme, dans sa pluralité, en définissant les responsabilités des individus et les formes d’organisation collective, ainsi que les relations sociales dans un sens large. Cela s’est traduit plus tard en systèmes juridiques de droits et devoirs.

Il y a plusieurs codes directeurs des sociétés humaines. Parmi quelques-uns des plus anciens écrits, à savoir les textes sacrés du judaïsme, christianisme, hindouisme, islam et bouddhisme, on retrouve des principes fondamentaux communs : le respect de la vie, la solidarité, la tolérance, la justice, y compris économique, le respect des ressources naturelles essentielles pour assurer la subsistance. Des principes similaires peuvent être trouvés dans les textes classiques des philosophes grecs et romains, tout comme chez les penseurs africains, indiens, chinois et perses [1].

Mais la reconnaissance de la dignité inhérente à la condition humaine n’a jamais été universelle et souvent a été limitée aux hommes d’un certain âge et d’une certaine richesse, noblesse ou profession. Les femmes, les esclaves, les minorités ethniques et religieuses, les homosexuels, ainsi que les étrangers, étaient souvent considérés comme inférieurs, sous-humains, ce qui les empêchait de participer à la vie sociale sur un pied d’égalité et les rendait vulnérables aux abus physiques et psychologiques. En outre, si la dignité de condition humaine ne leur était pas reconnue, ils ne pouvaient pas satisfaire les besoins élémentaires de survie - nourriture, vêtements, logement. En ce sens, il convenait de démontrer à la communauté, en accord avec l’éthique et la morale en vigueur - les formes de compassion pour ceux qui se situaient au plus bas sur l’échelle sociale.

Historiquement, la condition humaine, en tant qu’espace d’égalité et d’universalité dans la reconnaissance de la dignité, a été un terrain contesté, que ce soit dans la conception des aspects inaliénables de la dignité des individus, ou dans l’attribution des détenteurs de cette condition. En ce sens, il convient de signaler certains processus historiques qui ont eu des influences majeures sur les débats actuels.

Outre les codes moraux et éthiques, présents dans les diverses civilisations et religions du monde, et qui influencent le mode de pensée et d’intervention sur la condition humaine, les transformations politiques, économiques, sociales et religieuses dans l’histoire de l’humanité nous positionnent aujourd’hui dans un cadre concret, qui peut se caractériser par la consécration de droits universels et inaliénables. Ces derniers restent toutefois l’objet d’un grand débat.

La Renaissance et le siècle des Lumières ont ouvert la voie en Europe à des processus de rejet – même si ces progrès se sont faits de manière très lente – de l’idée de groupes de sous-hommes, ainsi que d’affirmation de droits et devoirs inhérents à la condition humaine et de relations sociales fondées sur la liberté, l’égalité et la fraternité. Ces principes ont été proclamés par la Révolution française de 1789, dans le sillage de la Révolution américaine de 1776. Toutefois, d’autres civilisations, durant le Moyen Age européen, défendaient déjà des principes de gouvernement basés sur le respect de la vie, la liberté religieuse, l’importance de la liberté de pensée, de l’éducation et de la culture, ainsi que de la justice économique. Des exemples sont le gouvernement du Grand Moghol musulman en Inde (1542-1605), la Chine influencée par les idées confucianistes, et la région méditerranéenne au cours de la période islamo-arabe (750-1250) [2].

Cependant, les révolutions du XVIIIe siècle se distinguent par la création de codes juridiques qui ouvrent la possibilité d’une participation des individus dans la direction de l’Etat et dans le choix de leurs dirigeants. Ce phénomène représente un changement dans les relations de pouvoir avec des conséquences sociales et économiques, à savoir la capacité d’exiger des droits sociaux et économiques aux XIXe et vingtième siècles.

Mais la déclaration (progressive) d’une réelle universalité, dans la consécration et la garantie de droits pour les catégories sociales qui avaient jusque-là été exclues de ces mêmes pays, en grande partie les femmes, les peuples des pays colonisés et minorités ethniques, a eu lieu après la Seconde Guerre mondiale. La Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations unies dans l’après-guerre apparaît comme base normative et institutionnelle pour la reconnaissance des droits inhérents à la condition humaine. Entre ces deux déclarations, celle de la Révolution française et celle des Nations unies, plus de 150 ans se sont écoulés.

Dès le milieu du vingtième siècle, avec les processus de lutte contre la colonisation, le débat sur les droits est associé au débat sur le développement, à savoir le droit des individus à accéder aux ressources fondamentales pour une vie digne (ce que représente exactement une vie digne est encore en discussion). Ce débat a été approfondi dans les années quatre-vingt aux Nations unies, et a cherché à consacrer le droit au développement comme un droit à bénéficier du progrès économique de l’humanité à travers une redistribution plus équitable des ressources, en 1986.

L’affirmation de ce droit et le plan d’action qui se trouvait subjacent, à savoir les modifications des conditions du commerce international et de la dette des pays pauvres, n’a jamais été pleinement réalisé [3].

Le débat sur les droits appliqué au développement a montré des risques et des potentialités. Cependant, malgré l’absence de consensus et de recours au discours sur les droits des acteurs, et malgré les contextes très diversifiés, cette approche implique de faire appel à une dimension normative, politique et éthique qui n’est pas nouvelle, mais qui remonte aux fondements des luttes pour la libération des pays en voie de développement.

Toutefois, la focalisation de la coopération internationale sur la pauvreté et sur la satisfaction des besoins primaires, a dépolitisé le développement, en le réduisant souvent à la discussion sur la façon de « prêter des services à un plus grand nombre de gens, au plus bas prix » [4].

Le débat sur les droits relance le débat sur le pouvoir. Comment garantir les droits et devoirs dans le cadre de la coopération internationale ? Qui sont les détenteurs des droits et des devoirs ? Qui peut garantir et attribuer les pénalités en cas de non-conformité ? Qui doit définir ces droits ?

La réponse à ces questions n’est pas simple, universelle et immédiate. Cela nécessite une prise de conscience du fait que le changement dans les relations de pouvoir commence par la reconnaissance de leur existence, en particulier dans la coopération internationale, et implique également la remise en question des formes de responsabilités collectives, en vue d’outrepasser la vision de la pauvreté comme étant l’insuffisance de ressources. En ce sens, il faut repenser le terme d’« aide » qui implique une notion d’infériorité et de dépendance, et reprendre les termes de « droit », « devoir », « individuel », « collectif » et « coopération ».

[1Micheline Ishay, The History of Human Rights, University of California, 2004.

[2Ishay, op.cit.

[3Celestine Nyamu Musembi et Andrea Cornwall, What is the rights-based approach all about, 2004.

[4Nyamu Musembi et Cornwall, op. cit.