E, comme Eau

Mise en ligne: 15 mars 2013

Le développement constitue la possibilité d’ouvrir un robinet sans crainte que l’eau ne coule pas, par Pedro Rosa Mendes

Une des propriétés de l’eau est celle d’être agitée. Elle fuit quand elle peut, parfois au point de disparaître de la surface et même de la mémoire.

« Le Cap Vert a toujours souffert d’une sécheresse cyclique, en moyenne deux sécheresses tous les dix ans, en alternant grandes et petites crises. Mais tout changé en 1968, quand l’archipel a été frappé par la sécheresse du Sahel », raconte Elísio Rodrigues, fondateur de l’organisation d’intervention communautaire Citi-Habitat, lors d’une visite à São Francisco, sur l’île de Santiago. « Maintenant, il peut pleuvoir en une nuit ce qu’il pleuvait en un an, mais cela ne sert à rien » parce que l’eau, en s’écartant des hauts sommets volcaniques, dévale sur les pentes imperméables, entraînant dans la mer le peu de terres et les quelques cultures du paysage désolé de Santiago et des autres îles. Désormais, l’eau emporte la terre et laisse la soif. C’est pourquoi nous avons dû construire des digues de gabions (grands casiers cubiques métalliques remplis de pierres) pour retenir l’eau qui n’arrive toujours pas, mais qui viendra un jour. Dans ces casiers il restera seulement un peu de terre et d’humidité, pendant un court laps de temps.

Elísio me montre la vallée pierreuse que l’on peut voir à São Francisco. Il y a là une crevasse où jadis il y a eu une rivière et, sur les versants sans vie, nous pouvons suivre les fossés qui ne mènent nulle part. Certains finissent dans des réservoirs vides, vieux, gercés, crevassées par la chaleur et le soleil. Jusqu’aux années septante, ces accidents de paysage servaient à l’irrigation, dit Elísio. Il est difficile d’imaginer qu’il y avait de l’eau à cet endroit. « Ici, on cultivait la canne à sucre, les mangues, bananes et légumes ; le reste était des pâturages », confirme Porfírio, qui est né là. Dans les années nonante – d’après ce qu’on m’a dit, je n’ai eu ni confirmation ni démenti scientifique, technique ou politique - São Francisco a cessé soudainement d’avoir de l’eau, en raison d’un trou qu’on a ouvert en amont du quartier, pour alimenter la ville de Praia. La localité a dû même payer de l’eau de camion-citerne, non de source, au double du prix fixé.

En ville, le manque d’eau est une véritable angoisse. Mais les citadins, parce que c’est la ville qui commande, ont encore la possibilité d’aller rechercher de l’eau à un autre endroit. Tandis qu’à la campagne, quand il n’y a plus rien à boire, on ne peut rien y faire. C’est comme ça au Cap-Vert ; tout comme au Portugal. Dans les années septante, dans ma ville du Pinhal intérieur, on procédait durant l’été au rationnement d’eau pendant plusieurs mois, alors qu’il y avait trois lacs dans la province. Tout comme pour les incendies.

Bien sûr, entre la région du Pinhal intérieur et les volcans arides de São Francisco, il y a une grande différence, que l’on appelle le développement.

Le développement constitue à cet égard la possibilité d’ouvrir un robinet sans crainte que l’eau ne coule pas. Ou, éventuellement, le fait de penser au prix de l’eau, et non plus à son poids.